Face aux crises endogènes et exogènes, il devient impérieux pour l’Afrique de repenser son modèle de développement. Plusieurs options s’offrent au continent pour une transformation structurelle des économies.
S’il n’y a pas de panacée en matière de modèle de développement et que chaque pays peut incarner son propre paradigme, certains impératifs sont communs aux pays. Selon les auteurs de la Note de politique économique (Npe) n° 1 de la direction générale de l’Economie (Dge/Mef) du Bénin, il urge de réconcilier le système éducatif avec les besoins et défis réels de l’économie, afin de rompre avec le sous-emploi massif des jeunes. Pour ce faire, l’éducation doit pouvoir insuffler un esprit de créativité, d’innovation et de prise de risque pour former des citoyens actifs, capables de contribuer à l’éclosion des niches d’avantages comparatifs des économies africaines, estiment-ils. Ainsi, l’enseignement technique et la formation professionnelle doivent prendre le pas sur les formations générales dans les centres de formation africains.
Les économistes soulignent la nécessité de renforcer l’Etat-providence et de promouvoir le patriotisme fiscal, afin d’élargir la base fiscale et disposer de ressources domestiques conséquentes pour répondre aux enjeux de développement interne. L’accent est également mis sur la bonne gouvernance à travers l’instauration d’institutions fortes, laquelle implique la culture de la transparence et une lutte implacable contre les comportements déviants (corruption, détournement de deniers publics, évasion fiscale).
Autre axe, il convient d’accélérer le développement du secteur privé pour réduire la pression de l’emploi sur les Etats. L’amélioration du climat des affaires, à travers des conditions d’exercice plus favorables et l’accès au financement adapté, doit être un cheval de bataille pour permettre aux entreprises et industries de jouer pleinement leur rôle de pourvoyeur d’emplois et de richesse. Il est question pour les pays de se donner les moyens de transformer davantage leurs matières premières en produits finis ou semi-finis afin de créer les conditions d’une croissance inclusive. Cette transformation productive est source de diversification économique et favorable à l’intensification du commerce régional.
Forte dépendance
Avant d’esquisser ces options du nouveau paradigme à implémenter, y compris celles que porte désormais le gouvernement béninois, les auteurs ont passé en revue les limites du modèle de développement actuel de l’Afrique qui montre ses limites. Ils notent que la concentration des sources de revenus de l’Afrique autour de quelques matières premières, ce qui n’est guère favorable à une croissance soutenue et inclusive. Bien au contraire, elle fait du continent le principal perdant de la globalisation.
La croissance économique qui s’affichait, en moyenne, à un taux de 5,2 % pour l’ensemble du continent et à 5,4 % pour l’Afrique subsaharienne au début des années 2000, selon la Banque mondiale, a été secouée ces derniers temps par une série de crises. « Si cette croissance a permis de réduire le taux de pauvreté sur le continent, elle n’a pas été suffisamment inclusive », analysent les économistes. La revue fait constater que « Les inégalités intra et inter-pays africains se sont creusées ».
Les économistes soulignent que, « Même lorsqu’elle n’est pas directement le théâtre de crises économiques majeures, l’Afrique en paie le prix fort en raison de l’extraversion de son économie et de la forte concentration de ses exportations sur quelques matières premières ». Ils en veulent pour preuve les chocs induits par la pandémie de Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne qui ont révélé « une double fragilité préjudiciable pour l’Afrique ».
Selon la Npe, « D’une part, la récession subie par le continent en 2020 est essentiellement le fait de l’effondrement des prix des matières avec l’arrêt de l’activité mondiale. Les économies les plus diversifiées du continent ont été plus résilientes face à la pandémie. D’autre part, la flambée actuelle des prix et le risque d’insécurité alimentaire sont le fait, en grande partie, de la dépendance du continent aux importations de ces produits ».
Cette double dépendance à l’exportation de produits non transformés et à l’importation de produits alimentaires obère le développement de l’Afrique qui reste très largement dépendant des aléas de l’environnement international. Du coup, un nécessaire changement de paradigme économique s’impose afin d’opérer une transformation structurelle des économies et sortir des vulnérabilités récurrentes dont les pays souffrent, préconise Aristide Mèdénou, directeur général de l’Economie. En effet, « Les pesanteurs imposées par les conditions initiales ― ce que les économistes appellent les dotations factorielles naturelles ― sont encore trop présentes, notamment dans les pays riches en ressources naturelles », fait-il savoir dans son avant-propos à la Note de politique économique.
« Pour sortir durablement de cette pression au double visage, il est important que les politiques économiques volontaristes prennent le pas sur le déterminisme et l’immobilisme économiques dictés par les conditions initiales et leurs relatifs conforts », pensent A. Mèdénou et les autres. Ils en veulent pour preuve que les économies les plus diversifiées du continent aient été plus résilientes face à la pandémie. Aussi, la flambée actuelle des prix et le risque d’insécurité alimentaire sont le fait, en grande partie, de la dépendance du continent aux importations de ces produits. Malgré un accroissement continu de ses échanges avec le reste du monde, la part de l’Afrique dans le commerce mondial n’a cessé de baisser, passant de 6 % en 1960 à 2,6 % en 2021, selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced).
Pour inverser la tendance, les pays ne peuvent exister en vase clos. L’Afrique doit miser sur l’accélération du rythme de son intégration économique tout en se structurant autour des projets clés relatifs à la santé, à l’éducation et aux infrastructures, prônent les auteurs de la Npe. Cela passe par la suppression des contraintes liées à la libre circulation des biens et des personnes, l’interconnexion quantitative et qualitative des pays à travers des réseaux de transports et de télécommunication, précisent-ils.