La lutte contre le tabac au Bénin et dans la plupart des pays de l’Afrique de l’ouest peine à porter ses fruits. Dans un entretien exclusif accordé à votre journal, Inoussa Saouna, secrétaire permanent de l’Observatoire de lutte contre le tabac en Afrique francophone (Otaf) et président de SOS tabagisme Niger, évoque les faiblesses de la lutte anti-tabac. Membre du Conseil d’administration de l’Alliance contre le tabac en Afrique, il avoue que les recettes du tabac sont détruites par l’investissement dans les maladies.
Inoussa Saouna, quel intérêt ont les Etats à autoriser la commercialisation du tabac ?
C’est un produit légal, en vente légale sur le plan international. C’est un produit de consommation d’une large gamme de la population. Donc en termes de profit, les Etats se retrouvent dans la fiscalité. Mais, c’est une recette complétement détruite par l’investissement qui sera fait par les personnes qui seront atteintes par les maladies liées au tabac. D’où la nécessité d’avoir des restrictions pour réduire cette consommation.
Si le tabac est un produit légal, pourquoi alors le combattre ?
Parce que sa consommation entraîne des grosses conséquences. Prenons l’exemple de la vente des armes, elle est légale mais on sait bien que ça tue les gens. Mais il y a une réglementation pour que les armes ne soient pas disponibles à tout le monde parce qu’on connait ses conséquences. Et pour nous autres, on considère la cigarette comme étant une arme de destruction massive.
Inoussa Saouna, depuis des années, vous vous êtes engagé dans cette lutte contre le tabagisme en Afrique. Les lignes semblent bouger à peine. Quelles sont, selon vous, les faiblesses de la lutte ?
En termes de faiblesses sur le dispositif, ce qu’on peut constater, c’est de deux ordres. Premièrement, c’est la question du manque d’engagement des autorités politiques pour appliquer les textes réglementaires et législatifs dont les pays se sont dotés. Deuxième facteur, toujours d’ordre politique, c’est le manque de financement. Quand je parle de financement national, c’est-à-dire la question du tabac dans nos pays en Afrique de l’ouest est toujours négligée sur le plan budgétaire même au sein du ministère de la santé publique. Voilà de mon point de vue, les deux facteurs qui plombent aujourd’hui les actions. C’est devenu pratiquement une activité des organisations de la société civile. Alors qu’elle relève bien de la santé publique donc de la santé des populations. Ça devrait être pris en charge au même titre que les autres maladies notamment les maladies transmissibles…
Vous avez souligné un aspect important. L’arsenal juridique dont dispose les pays pour mener efficacement la lutte anti-tabac. Que retenir des textes en la matière ?
Vous savez depuis 2003, l’Organisation mondiale de la santé a fait adopter la convention-cadre internationale pour la santé, la lutte contre le tabac. C’est la première convention internationale en matière de santé publique et la plupart de nos pays l’ont ratifiée. Et pour domestiquer cette convention, les Etats ont eu à adopter des lois ou des règlements à travers des décrets qui prennent en charge les grandes orientations de cette convention. Donc l’objectif est la limitation de la consommation du tabac notamment chez les populations plus jeunes et les plus pauvres. Ceci, à travers l’interdiction de fumer dans les lieux publics, l’interdiction totale de la publicité et plusieurs autres mesures fiscales tendant à créer une réduction drastique de la consommation du tabac. Malheureusement, ces dispositions sont mitigées, leur application reste mitigée et c’est du fait du politique.
Ne pensez-vous pas qu’au regard du caractère nocif des produits du tabac, il urge de passer à l’interdiction de la commercialisation et de la consommation du tabac ?
Non, la prohibition a montré ses limites même dans les années 1930 en ce qui concerne l’alcool. Le tabagisme est un phénomène social, c’est une habitude néfaste et aussi l’addiction. Donc, il faut agir sur l’offre et sur le revenu du consommateur et ensuite, il faut créer un environnement de restrictions. Quand vous prenez aujourd’hui les pays développés, ils sont arrivés à une courbe descendante de la consommation du tabac. Pourtant, ils n’ont pris aucune mesure d’interdiction…Il y a des règlements au niveau international. Le tabac est un produit légal, vendu légalement aux consommateurs. Donc, il faut agir sur un mécanisme pour amener les fumeurs à ne pas fumer, les jeunes à ne pas s’engager dans la consommation du tabac et l’Etat doit prendre des dispositions pour un environnement très respectueux de cette transformation et progressivement que les gens ne consomment pas. Les industries de tabac seraient obligées de changer de métier.
Pensez-vous qu’avec la disponibilité du tabac, la dissuasion est-elle garantie ?
Oui, je vous ai donné tout à l’heure des exemples. Il y a des pays développés comme le Canada, les Etats-Unis, la Malaisie où on assiste à une forte réduction de la consommation du tabac, qui est la conséquence des mesures et des réglementations strictes qui sont appliquées. Chez nous, il faut seulement respecter les réglementations. On ne va pas assister du coup à la disparition du tabac mais nous allons assister à une réduction de la consommation. Et progressivement, une perte de revenus pour l’industrie qui va vouloir investir ailleurs.
Dans plusieurs de vos communiqués, vous avez dénoncé des industries de tabac qui initient des activités de sensibilisation et de formation sur la lutte anti-tabac. Que leur reprochez-vous ?
Il s’agit d’une stratégie de relations publiques qui a été organisée par les compagnies de tabac en utilisant justement les journalistes de ces pays-là pour créer la diversion…..pour tromper les autorités dans la prise de décisions fortes qui contrarient donc leurs profits. Donc, nous avons dénoncé ces agissements parce que l’article 5 code 3 de la convention internationale sur la lutte contre le tabac interdit à tous les pays aujourd’hui, journalistes, chercheurs, tout le monde de s’associer avec l’industrie du tabac quel que soit l’objet apparent qu’ils vont essayer donc de faire apparaître.
Parlez-nous de l’Observatoire de lutte contre le tabac en Afrique francophone…
A la limite de nos moyens, nous assurons un conseil aux Etats, nous mobilisons la société civile chaque fois qu’il y a une action identifiée et visible de l’industrie du tabac et nous sensibilisons à travers les médias… Pour alerter les opinions à comprendre qu’il faut que les gouvernements agissent parce que si on n’agit pas aujourd’hui, on se retrouvera dans les années à venir avec les conséquences plus dramatiques que ceux que nous connaissons sur les autres pandémies.
Un message à lancer ?
Le message, c’est à l’attention de tous nos dirigeants africains, je les invite à comprendre qu’autant il faut s’occuper des maladies transmissibles comme la tuberculose, le sida et toutes les autres pandémies existantes, autant aujourd’hui, il faut s’accorder à avoir des mesures importantes par rapport aux maladies non transmissibles…Aujourd’hui, nous parlons du tabac, il faut agir, il faut faire respecter les lois, augmenter les taxes pour que la cigarette coûte chère et que les pauvres ne puissent pas avoir accès.