Noel Chadaré au sujet de la situation des agents territoriaux : « on ne peut pas faire une revalorisation dans un secteur public de façon discriminatoire »
Les agents territoriaux sont laissés sur le carreau, alors qu’ils ont jubilé comme tous les fonctionnaires, à l’annonce de la revalorisation des salaires des agents de l’Etat. Cette joie a laissé place à une grosse déception qui provoque des grincements de dents des agents territoriaux. Ils n’ont pas encore constaté un changement sur leur fiche de paie comme les autres bénéficiaires de cette mesure. A ce sujet, le Secrétaire général de la Confédération des organisations syndicales indépendantes du Bénin, Noël Chadaré a apporté des clarifications sur la chaine de télévision Canal3 Bénin.
Les syndicats des collectivités territoriales sont affiliés à la Cosi-Bénin. Et vous avez pris part à toutes les rencontres de négociations qui ont abouti à l’augmentation des salaires. Qu’en est-il aujourd’hui pour les agents territoriaux ?
A la Cosi-Bénin, on a une fédération des collectivités locales constituée des syndicats issues des différentes mairies. On a fait le constat comme vous. En fin janvier, on a constaté que rien n’a été fait pour les agents des collectivités locales. Alors que, selon le statut de la fonction publique, ils font partie des fonctionnaires territoriaux et ils sont régis par le même statut que celui des fonctionnaires d’Etat. On a été désagréablement surpris de constater que rien n’a été fait pour eux. Et la fédération et moi avons échangé. J’ai alors compris qu’il fallait agir. Parce qu’on ne peut pas faire une revalorisation dans un secteur public de façon discriminatoire. Pendant que les uns en profitent, les autres sont laissés sur le carreau.
Alors que tout le monde va sur le même marché. Ils doivent payer l’électricité, l’eau, le riz etc… au même prix que les fonctionnaires de l’Etat. On a interpellé le ministre en charge de la décentralisation qui m’a fait la courtoisie de recevoir la Cosi-Bénin avec la Fédération des collectivités locales le 16 janvier 2023. Nous avons échangé sur les sujets tels que la revalorisation des agents territoriaux, le retard dans le paiement des salaires des Secrétaires Exécutifs et la gestion de leur carrière et autres.
Le ministre nous a dit de lui donner un temps pour investiguer afin de voir ce qu’il faut faire. Entre temps, les syndicats des mairies ont continué à mettre la pression. Et la fin du mois de Février, on a constaté que les mairies ont commencé par tenir compte des sursalaires. Je me suis frotté les mains et j’ai dit c’est tant mieux. On était content. Et cette fin de mois de Mars, on a défalqué ce qu’on a donné. A la mairie de Cotonou, on a défalqué de façon sauvage pour le mois de mars.
Les gens se sont retrouvés avec 2.500 FCFA, 3.000 FCFA etc…Le maire de Cotonou est interpellé. Il est le Président de l’Association nationale des Communes du Bénin. Dans sa mairie qui a plus de ressources que les autres mairies, on a un tel acte. Il faut que les agents travaillent avec un esprit dégagé. Il faut que le maire de Cotonou et son Secrétaire Exécutif trouvent une solution rapide à cette situation.
Même en droit du travail, on ne peut pas défalquer des salaires de cette manière. Il y a une quotité cessible. On ne doit pas défalquer le tiers.
Après cela, le ministre de la décentralisation m’a fait appeler et a demandé à avoir une séance avec la Fédération des collectivités locales. C’est ce jour-là qu’il a envoyé une note circulaire pour rappeler à l’ordre les mairies qui ont commencé par payer les salaires à leurs agents. Après explication du ministre, nous avons compris que les fonds Fadec risquaient d’être menacés et qu’il ne fallait pas utiliser ces fonds pour payer les sursalaires, alors qu’ils sont destinés à un but précis.
Dans la foulée, la Fédération des collectivités locales de la Cosi-Bénin a écrit au Chef de l’Etat pour dénoncer cette injustice criante qui a été faite. Même chose à l’endroit du ministre d’Etat Wadagni et au ministre de la fonction publique Adidjatou Mathys. Comment peut-on procéder comme cela alors qu’on est régi par la même loi. Les uns sont traités différemment que les autres.
La Cosi-Bénin, elle-même, a aussi écrit au ministre d’Etat Abdoulaye Bio Tchané, afin qu’il nous reçoive et qu’on aborde ce sujet. Nous espérons que ces ministres nous rencontrent. C’est donc une situation qui n’est pas normale, parce qu’on ne peut pas comprendre qu’on traite les gens de cette façon. Sinon, c’est un acquis. Au mois de Février, les gens ont eu leurs salaires. Mais là, on est en train de remettre en cause un acquis.
Quand on sait que la gestion de la carrière de ces agents est régie par la loi portant statut général de la fonction publique, cela ne devrait pas poser problème en principe
Cela ne devrait pas poser problème. On devrait trouver un mécanisme pour régler cela. Et puis, ce n’est pas seulement un problème de revalorisation. Les agents territoriaux ont également un problème de carrière, parce qu’ils ont un statut particulier. Et ils sont régis par le même statut que les fonctionnaires d’Etat. Et il est dit qu’on devrait prendre des décrets d’application en leur faveur en vue de la gestion de leur carrière. Mais ce n’est pas fait. J’ai le sentiment que la réforme concernant les Secrétaires Exécutifs vient créer des dysfonctionnements au sein des mairies. Voilà des S.E hyperpuissants dont les attributions ont amené les élus communaux à se soumettre à eux. Certes, l’intention est bonne. Cela permet de mieux gérer les ressources humaines et financières des mairies. Mais il faut marquer un arrêt pour évaluer le chemin parcouru. Parce que des problèmes perdurent.
En principe, depuis 2015 qu’ils sont devenus des fonctionnaires territoriaux, les décrets d’application devraient être pris pour leur permettre de bénéficier de tous les avantages. Mais cela n’a pas été fait. Pourquoi cela ?
Je l’ai notifié au ministre de la Décentralisation au moment où il nous a rencontrés les 16 janvier et 7 mars 2023. Il a dit que des dispositions sont en train d’être prises. Selon lui, un certain nombre est déjà en projet. Mais on attend de voir du concret. Ces fonctionnaires ne vivent pas des conditions agréables. Il y a des primes qui avaient été supprimées. Ce n’était pas normal.
Qu’en est-il des travailleurs du secteur privé qui sont laissés en rade ?
Les travailleurs du secteur privé sont laissés sur le carreau. Vous savez, à plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de dire que c’est un souci pour les travailleurs du secteur privé. Il faut qu’ils en bénéficient, parce qu’ils vont sur le même marché que ceux du secteur public. Dans le même pays, on ne peut pas augmenter pour les uns au motif que la vie est chère, et en même temps oublier les autres. Le Chef de l’Etat a dit qu’il va sensibiliser le patronat. Il va falloir qu’on se retrouve pour voir ce qui a été fait. On veut savoir s’il y a eu des avancées, trois mois après notre dernière rencontre. On a appris qu’il y a certaines entreprises privées qui ont fait des efforts. Mais ce n’est pareil pas pour les petites et moyennes entreprises. Il va falloir continuer de les sensibiliser. Nous allons continuer de jouer notre rôle, en tant que Secrétaires Généraux de Centrales et Confédérations syndicales. On ne peut pas être heureux si une partie des travailleurs retrouve satisfaction, alors que les autres sont rangés aux oubliettes. Nous avons du chemin en la matière. Nous allons continuer de tirer la sonnette d’alarme, notamment pousser le patronat à faire des efforts en vue d’améliorer les conditions des agents du secteur privé. Il faut rappeler que tout est cher aujourd’hui.
Est-ce que quelque chose a changé dans le quotidien des travailleurs qui bénéficient déjà de la revalorisation des salaires ?
Il faut faire remarquer que cette revalorisation a touché le grand nombre de travailleurs dans le secteur public. Les travailleurs ont vu leurs salaires boostés, et on a apprécié l’effort du gouvernement. On a pensé que cela servirait à quelque chose. Mais aujourd’hui, les travailleurs me disent que cela n’a pas changé grand-chose. Parce que les prix des produits de première nécessité ont flambé, l’électricité est encore plus chère. Et vous savez ce que cela pourrait entrainer. Tous les autres produits deviennent plus chers, ensuite l’eau…Tout cela fait que les travailleurs n’ont pas le sentiment que le panier de la ménagère s’est vu améliorer. On n’est pas très loin de dire que c’est le statu quo. Presque rien n’a changé.
Pensez-vous qu’il faut une nouvelle augmentation ?
Oui, c’est bien cela. Tous les efforts du gouvernement ont été anéantis par cette augmentation du prix des produits sur le marché. C’est comme si rien n’avait été fait.
Parlons un peu politique, même si vous ne l’êtes pas. Les députés du parti Les Démocrates proposent une loi d’amnistie en vue de la libération de Joël Aïvo, Reckya Madougou et autres. Quelle est votre opinion sur cette proposition de loi ?
L’intention n’est pas mauvaise. S’il y a des actes qui peuvent être posés pour qu’on ait un apaisement du climat socio-politique, c’est une bonne chose. Mais je crains que cette initiative prospère, parce que le parti Les Démocrates est en minorité. Et il y a la discipline des partis. Les deux partis qui sont majoritaires, sont d’un certain bord politique. Seulement cela a le mérite d’attirer l’attention sur une réalité. Peut-être, après cela, il serait bon qu’ils procèdent autrement, qu’ils fassent le lobbying auprès du Chef de l’Etat, et chercher des voies plus indiquées en vue de la libération des détenus. J’ai entendu le Chef de l’Etat, à l’occasion de son discours sur l’état de la nation, dire qu’on va tourner cette page. Je souhaite vraiment qu’il aille dans le sens de ces députés en vue de la décrispation de la tension socio-politique.
Est-ce qu’ils peuvent compter sur le soutient du monde syndical ?
Si ! On verra tous les partis représentés, et même le Président de l’Assemblée nationale. Parce qu’il y a des textes qui ont consacré le recul de l’exercice du droit de travail au Bénin. Il faut revoir ces textes qui ont été votés au cours de la 8è législature. Il s’agit des lois sur la grève, sur l’embauche. Il faut qu’on s’asseye et qu’on évalue la mise en œuvre de ces lois. La Cosi-Bénin va utiliser ses moyens de négociation pour la relecture de ces lois qui ne nous honorent pas.
Votre mot de la fin
J’invite les agents territoriaux à rester mobilisés, à faire le lobbying nécessaire pour obtenir gain de cause. J’invite aussi le Gouvernement à rétablir les choses. Nous avons demandé qu’on convoque la commission permanente de négociation Gouvernement-Centrales syndicales. Ce sont des sujets qui nous tiennent à cœur. Il faut que le ministre d’Etat nous dise les dispositions prises pour que les agents territoriaux soient pris en compte au mois d’Avril.