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Lutte anti-tabac au Bénin: Les accords commerciaux lient les mains aux Etats, selon Faton Augustin

Publié le lundi 3 avril 2023  |  Matin libre
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© Autre presse par DR
Le tabac
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Les conséquences du tabagisme sur la jeunesse sont énormes et davantage inquiétantes dans un contexte où le tabac reste un produit légal, donc accessible à tous. Dans un entretien accordé à votre journal, le Directeur exécutif de l’Ong Initiative pour l’éducation et le contrôle du tabagisme (Iect), Augustin Faton voit les accords commerciaux comme un véritable handicap face à la volonté des gouvernants de protéger les citoyens. Lire l’intégralité de l’entretien !



M Augustin Faton, déjà de longues années que vous menez cette lutte contre le tabac au Bénin. Quelles sont les armes ou encore instruments juridiques dont vous disposez ?

Je crois déjà qu’il faut parler des acteurs. Et en termes d’acteurs, le gouvernement vient en première ligne, appuyé par l’Organisation mondiale de la santé. L’Etat béninois fait des progrès dans l’application et dans la domestication des instruments juridiques internationaux notamment la Convention-cadre de la lutte anti-tabac. Tous les pays l’ont ratifiée en 2005 et suite à cela, le Bénin s’est doté d’une première loi en 2006. Mais, vu le contexte et l’évolution de la lutte anti-tabac, le développement des bonnes pratiques au niveau international, il s’est avéré nécessaire de revoir ce cadre. Il faut avouer que le Bénin a fait beaucoup dans ce sens et aujourd’hui nous disposons d’une loi plus moderne. Une loi qui est beaucoup plus structurée, qui s’arrime avec la convention-cadre pour la lutte contre le tabagisme. Alors, une chose est d’avoir une loi mais le plus grand défi, c’est l’application. Et au niveau de l’application, il y a encore des défis à relever parce qu’il y a des instruments juridiques d’application qui devraient normalement faciliter la mise en œuvre de l’application de la loi. Il y a des décrets qu’il faut prendre, il y a des arrêtés qu’il faut prendre donc il y a tous ces chantiers qui sont toujours en instance et nous pensons qu’à ce niveau il y a beaucoup à faire. Même si en même temps, l’Etat a doté le pays d’une loi en écoutant le cri de la société civile. Il faut que cette loi soit appliquée parce que si cette loi n’est pas appliquée, les jeunes et nos enfants sont exposés. Un adulte peut prendre des décisions en toute responsabilité…C’est nous les adultes qui prenons les décisions pour les enfants. Il y a beaucoup de choses dans l’environnement économique, dans l’environnement social qui ne sont pas favorables au développement des bonnes mœurs et habitudes au niveau de nos enfants et en même temps, on estime que la jeunesse, les enfants sont l’avenir du pays.

Pour nous, c’est important qu’il ait une salubrité dans l’environnement social et économique pour permettre à l’enfant de grandir, de porter les espoirs de la nation. C’est indispensable. Quand on voit la chicha qui se développe, on voit les comportements bizarres qui se développent, la toxicomanie. Voilà le djihadisme qui se développe dans nos pays, c’est souvent parmi nos enfants ayant certains comportements, enclins à faire certaines choses que ces personnes viennent recruter. Donc, on se retrouverait dans une insécurité totale si au-delà de la promulgation de cette loi, le Chef de l’Etat, en bon père de famille, ne fait rien pour que ces instruments juridiques soient non seulement pris mais appliqués. Et ça, nous savons que le chef de l’Etat peut le faire et il a démontré dans le passé qu’il est un acteur stratégique de la lutte contre le tabagisme.

Si le tabac reste un produit légal, pourquoi alors mener une lutte anti-tabac ?

Alors, vous savez, la liberté de l’individu est déterminante dans sa responsabilité sociale. Voilà un produit toxique, un produit dépendogène. Les études scientifiques, preuves à l’appui, ont démontré que la cigarette contient plus de quatre milles substances toxiques dont plus de cinquante-deux sont cancérigènes. Et au-delà de l’aspect cancérigène de ces produits, il n’y a pas une dose de tabac qui ne soit nocive pour la santé d’une personne qui en fait usage. Donc, c’est indispensable. Il faut éloigner nos enfants de ce produit qui n’est pas indispensable. C’est un produit nuisible pour la santé et je crois que la santé n’a pas de prix. Pour nous les acteurs de la société civile, la force que constitue la jeunesse est amortie ou sera davantage amortie quand l’usage de ce produit va entrer dans le quotidien de la jeunesse. Et malheur aux nations dont les enfants ne peuvent pas compétir parce que nous vivons davantage dans un monde compétitif, où la compétition est rude. Et les enfants doivent être préparés à cela. Le tabac ne fait pas bon ménage avec une bonne santé, le tabac ne fait pas bon ménage avec une jeunesse éclairée, une jeunesse responsable qui s’engage aux côtés des pouvoirs publics dans l’atteinte des objectifs de développement. Le chef de l’Etat a pour ambition de révéler le Bénin. Mais révéler le Bénin avec des individus malades ? On ne peut pas s’appuyer sur des enfants malades pour révéler une nation et nous n’avons pas un meilleur pouvoir d’achat. Nous n’avons pas cette capacité, cette possibilité comme les pays occidentaux où on peut soigner tout le monde sans problème. L’assurance maladie, la couverture sanitaire, on ne les a pas encore même s’il y a des efforts qui se font. Mais ce n’est pas coûteux pour l’Etat d’interdire le tabac, c’est quand on n’interdit pas que cela est coûteux parce que ce que l’Etat engage dans les évacuations sanitaires, les prises en charge des malades du fait d’un comportement, c’est énorme.

Peut-on avoir une idée de la prévalence du tabagisme au Bénin ?

Nous n’avons pas beaucoup documenté cette question mais l’Oms a beaucoup fait au Bénin. La prévalence du tabagisme est là. Elle recule au niveau des adultes mais prend de l’ampleur même si les taux sont encore bas chez nous. Nous sommes à 8% selon certaines études. On a constaté qu’au moment où ça régresse au sein de la population en général, elle a tendance à monter au niveau de la jeunesse….

Que peut-on retenir des dispositions de la loi anti-tabac au Bénin ?

Elle dispose clairement sur des mesures pour baisser l’offre et la demande. Elle a aussi prescrit des mesures pour protéger l’environnement social des individus. Ensuite elle a parlé des sanctions. Elle dispose des sanctions au cas où quelqu’un n’obéirait pas. L’autre aspect, c’est qu’elle permet à l’Etat aussi de prendre des mesures parce que l’environnement de la lutte contre le tabac est un environnement évolutif. Nous avons affaire avec une industrie qui est vecteur de transmission du tabac. Une industrie qui innove au quotidien. Avant, on ne parlait pas de chicha, on ne parlait pas de la cigarette électronique. Donc, cette loi offre à l’Etat la possibilité de s’adapter.

Si le tabac menace si tant la santé et la vie des citoyens, pourquoi ne pas l’interdire sur le territoire national ?

Nous sommes dans un contexte international et le Bénin est engagé par les accords commerciaux. Tout ça lie les mains de l’Etat, lie les pouvoirs publics à un certains nombres d’accords. Il y a aussi certaines populations qui opèrent dans ce secteur. De manière brutale, on va créer d’autres problèmes, il faut aller de manière méthodique. L’Oms a offert au pouvoir public, six politiques pour faire face à cela. Lorsqu’on interdit par exemple la consommation dans les lieux publics, la consommation par les enfants et la vente, qu’est ce qui se passe ? On réduit à la fois la demande et à la fois l’offre. Lorsqu’il est interdit par exemple que la cigarette soit vendue dans les rayons des établissements d’un certain nombre de formation sanitaires, scolaires ainsi de suite, c’est qu’on donne peu de possibilité à ceux qui opèrent dans ce secteur d’agir. Alors qu’est ce qui va se passer ? Ils vont se reconvertir. Ils auront le temps de réflexion et eux-mêmes vont commencer par abandonner. Quand on interdit par exemple la consommation de la chicha dans tous les restaurants discothèques telle que notre loi le dispose et que cela soit effectif, ça veut dire qu’il n’y aura plus de gens qui vont consommer, les restaurants ne feront plus la demande. Ça va fonctionner… Aucun opérateur économique n’ira chercher un bien qui n’est pas demandé par les populations. Donc c’est rationnel que d’aller dans une démarche progressive, dans une démarche plus élaborée sans tomber dans des travers. Il faut en même temps, aider dans la reconversion mais aussi de ceux qui opèrent dans le secteur…Les mesures fiscales par exemple permettront de renchérir les coûts. Or, en économie, lorsque le prix d’un bien augmente, le monde économique cherche à le substituer. Donc, c’est un peu comme ça que ça a été défini pour permettre à notre Etat de ne pas rentrer en conflit avec d’autres pays…La convention-cadre que notre pays a ratifiée l’oblige à prendre des mesures et lorsqu’il s’agit de la santé de la population, l’Etat a toujours le moyen d’actions. L’Etat peut créer des restrictions. On crée un agrément dont l’accès est difficile aux acteurs qui veulent opérer dans le secteur. Mais j’avais toujours encouragé qu’on interdise totalement mais il y a trop de ramifications et je crois que la prudence aussi ça fait partie de la diplomatie.

Doit-on alors sacrifier la santé des personnes au nom des accords commerciaux ?

Ce n’est même pas possible et il est même prescrit que s’il s’agit de la santé des populations, les Etats, les pouvoirs publics sont libres, s’ils peuvent prouver que la santé de leurs populations est affectée par un bien. L’Etat est libre de porter des restrictions. Le tabac n’est pas un bien, c’est un produit toxique.

Et pourtant le tabac n’est pas interdit…

En tout cas, même si on devrait le faire, nous aurions souhaité qu’on puisse au moins régler cette question. Nous n’en avons pas le pouvoir, cela relève des pouvoirs publics et nous encourageons l’Etat à le faire parce que nos enfants ont besoin de vivre dans un environnement sain, consommer des produits sains pour pouvoir révéler le Bénin.

Le fait qu’une industrie du tabac décide de sensibiliser des acteurs de la lutte dans un pays est souvent mal perçu par la société civile. Dites-nous pourquoi ?

C’est juste de la manipulation. Nous avons alerté…nous nous sommes rapprochés du ministère de la justice qui était beaucoup ciblé en ce moment-là pour attirer leur attention sur le fait que ce n’est pas une action qui doit recevoir la caution d’un pouvoir public. L’industrie qui vend un produit ne peut pas venir sensibiliser pour combattre ce produit. Il y a une véritable contradiction. La plateforme en son temps à réagir en attirant l’attention des autorités judiciaires du Bénin sur le fait que l’industrie fait de la duplicité. C’est la même industrie qui vend les produits toxiques, la même industrie qui vient nous sensibiliser…alors que c’est l’industrie qui organise le trafic… c’est des stratégies qu’on connait de l’industrie du tabac…C’est de demander de la part de nos autorités et de la société civile aussi de la vigilance…Nos Etats doivent faire preuve de transparence lorsqu’il s’agit de questions d’interactions avec les industries du tabac…

Quelles sont aujourd’hui les défis à relever pour l’efficacité de la lutte anti-tabac ?

Pour rendre une lutte pérenne c’est important de l’institutionnaliser. La loi dispose qu’un office devrait être mis sur pied et doté d’une personnalité juridique et d’une autonomie financière pour organiser la lutte anti-tabac au niveau national…L’Etat pour rendre cette lutte efficace, devrait institutionnaliser la lutte anti-tabac et quand on le fait, ça va être bénéfique pour notre population.

Un message à lancer ?

C’est de dire à nos gouvernements qu’ils font beaucoup mais qu’il reste à faire…Il y a toutes les mesures et les éléments juridiques à mettre en place qui sont encore des chantiers pratiquement vierges et auxquels nous invitons le Chef de l’Etat à apporter une attention particulière parce que ça participe de la santé de nos enfants, à l’amélioration de la santé de la population et cela participe aussi à la révélation de notre pays dans le concert des nations.



Propos recueillis par Aziz BADAROU
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