(Reconnaître sa culpabilité, le prix de la liberté)
La proposition de loi d’amnistie introduite par le parti d’opposition Les Démocrates n’a aucune chance de connaître une issue heureuse. La mouvance présidentielle n’y taille aucune importance. Pour elle, les députés de l’opposition sont juste en train d’amuser la galerie. C’est la lecture qu’il convient de faire de l’attitude de certains députés de la mouvance, à l’instar de Gérard Gbénonchi.
Interrogé sur la proposition de loi d’amnistie en faveur de Reckya Madougou, Joël Aïvo et consorts, le 2e vice-président du parti Union progressiste le Renouveau trouve qu’une telle loi n’a pas lieu d’être. L’argumentaire de Gérard Gbénonchi, c’est qu’il y a déjà eu un précédent en 2019. Les députés de la 8e législature avaient, en effet, voté une loi d’amnistie pour permettre la libération des personnes incarcérées dans le cadre des violences pré et post-électorales, cette année-là. Pour Gérard Gbénonchi, refaire la même chose va créer un sentiment d’injustice à l’égard du commun des Béninois qui va en prison tous les jours, pour toutes sortes d’infractions et qui ne peut compter sur une loi d’amnistie. A la place d’une loi d’amnistie, le député de l’Up-R propose la loi de suspension des peines. « Il y a d’autres mécanismes pour atteindre ce même résultat. Si c’est qu’il faut libérer ceux que vous nommez (Reckya Madougou et Joël Aïvo, Ndlr), je pense que nous avons voté récemment une loi qui permet la suspension des peines de prison. Il suffit donc de vouloir, de décider d’en bénéficier et ils sortiront de prison immédiatement », a laissé entendre l’actuel président de la Commission des finances et des échanges de l’Assemblée nationale. Comme lui, des soutiens du régime en place pensent la même chose. Il n’est pas rare d’entendre dans les discussions que si Reckya Madougou et Joël Aïvo sont toujours en prison, c’est parce qu’ils le veulent. Pour ces Béninois qui ne jurent que par Patrice Talon, la loi sur la suspension des peines a été taillée sur mesure pour permettre à Reckya Madougou, Joël Aïvo et autres de recouvrer leur liberté. Il suffit qu’ils en fassent la demande. Gbénonchi a même ajouté qu’ils seront « immédiatement » libres après.
Le piège…
Depuis leur condamnation à 20 et 10 ans de prison, Reckya Madougou et Joël Aïvo ne cessent de clamer leur innocence. Leur statut d’opposants au régime et de surcroit candidats recalés à la présidentielle de 2021 conforte l’opinion publique dans l’idée qu’ils sont victimes de leur opposition au régime de Cotonou. Du coup, le procès est perçu comme un simulacre qui a permis au régime en place de mettre hors d’état de nuire des opposants insoumis. Le Groupe de travail de l’Onu sur la détention arbitraire a même qualifié d’arbitraire l’incarcération de Reckya Madougou et demande sa libération immédiate. Tout ceci met mal à l’aise le régime de la rupture. Alors, il faut quelque chose pour prouver à l’opinion publique nationale et internationale que Reckya Madougou et Joël Aïvo sont bien coupables des faits qui leur sont reprochés. La loi de suspension de peine peut servir cette cause. Puisqu’avant de bénéficier d’une telle loi, il faut que ce soit la personne en détention qui en fasse la demande. Voilà que Reckya Madougou et Joël Aïvo clament toujours leur innocence et sont considérés, dans l’opinion, comme des « détenus politiques ». Faire une demande de libération, dans ces conditions, revient à reconnaitre être coupable des faits mis à leurs charges. On ne peut donner autre preuve de sa culpabilité. Le régime s’en saisirait immédiatement, le brandirait pour justifier le fait que la justice n’a pas été instrumentalisée et que ce sont les personnes condamnées qui reconnaissent, elles-mêmes, leur culpabilité.
Le prix à payer…
L’opposition et l’opinion publique veulent que Reckya Madougou et Joël Aïvo recouvrent leur liberté. Le gouvernement et son chef ont besoin de justifier qu’ils sont coupables. Vous voulez sortir de prison, reconnaissez alors les faits qui vous sont reprochés, semble être la posture du régime. Et, une sortie de prison dans ces conditions, le gouvernement a la garantie que Reckya Madougou et Joël Aïvo seront hors d’état de nuire. Puisqu’il pèsera toujours sur eux l’épée de Damoclès. Ils pourront être embastillés à nouveau à la moindre tentative d’opposition contre le régime. Voilà peut-être le nœud du problème entre les célèbres détenus et le régime de Patrice Talon. Lequel problème maintient encore en détention Reckya Madougou et Joël Aïvo. Mais jusqu’à quand l’un ou l’autre sera fatigué ? Jusqu’à quelle limite Reckya Madougou et Joël Aïvo vont supporter les conditions de détention à eux imposées ? Jusqu’à quand le régime Talon aura marre d’être chaque fois interpellé sur la détention des opposants ?