Philosophe politique, écrivain essayiste, l’Abbé Éric Arnaud Aguénounon est le Directeur de l’Institut des artisans de justice et de paix (IAJP)-Chant d’oiseau de Cotonou. Avec l’hebdomadaire catholique La croix du Bénin, il s’est prononcé sur la rencontre Talon- Les Démocrates et les enjeux liés aux élections générales de 2026. Matin Libre vous propose ici l’interview du prélat.
La Croix du Bénin : Observateur attentif de la vie politique nationale, vous avez suivi ces derniers jours l’actualité au Bénin, marquée par la rencontre que le président Patrice Talon a eue avec le parti « Les Démocrates ». Le chef de l’Etat s’est montré inflexible par rapport à la libération de Reckya Madougou et sans doute de Joël Aïvo, et bien d’autres. Analyste politique que vous êtes, quelle réflexion vous inspire cet état de choses ?
Père Arnaud Éric Aguénounon : Je vais intervenir en trois points. Le premier point, c’est de souligner que le chef de l’État est resté dans sa logique. Une stratégie qui correspond à celui qui est au pouvoir. Avec toutes les armes politiques et l’arsenal du pouvoir, on peut choisir de prendre telle option ou telle autre. Le président de la République a pris une option claire : celle de la démocratie hybride. Elle consiste à prendre des ingrédients de la démocratie pour atteindre un but. C’est ce que le chef de l’Etat fait et il est droit dans ses bottes. Il le fait de façon structurée et aussi avec une bonne rhétorique qui accompagne son projet.
Deuxième point, dans les faits, il est inadmissible qu’en démocratie, des personnalités politiques, des jeunes ou des cadres s’exilent à cause de la pensée qu’ils portent ou à cause de l’activisme politique.
Dans une démocratie respectueuse des droits de l’homme et vraiment incarnée où l’homme a toute sa place, on ne peut pas avoir des opposants en prison ou en exil. Cela dit, il faut reconnaître que ceux qui sont aussi en prison ou en exil ont voulu être engagés. Joël Aïvo et Reckya Madougou savaient les risques, mais pourtant, ils ont été engagés jusqu’au bout. Pour moi, les mettre en prison est un manque de stratégie politique. C’est un manque de perspicacité. On pouvait faire mieux. Parce que c’est un manque à gagner pour l’image du pays, c’est une défiguration pour le pays, pour notre démocratie. Nelson Mandela est sorti de prison pour devenir chef de l’État. D’autres ont fait la prison pour devenir chef de l’État. Donc on fait une publicité gratuite pour ces deux personnalités. Il paraît qu’ils ont un mental très fort même en prison. Ça veut dire qu’à leur sortie, cette retraite en prison va leur permettre d’aller davantage au-devant de la scène politique. C’est une erreur politique de les avoir mis en prison. Mais pour celui qui l’a fait, c’est une option.
Patrice Talon pouvait les empêcher d’aller aux élections. Mais avait-on vraiment besoin de les mettre en prison ? A-t-on vraiment besoin d’instaurer un recul démocratique? A-t-on vraiment besoin de ceinturer, de triturer et de créer la psychose de peur ? Patrice Talon n’en avait pas besoin. Quand vous voyez toutes ces réalisations qu’il fait, mettez-les sur le plateau de balance et sur un autre, le recul démocratique, lequel des deux plateaux va le plus peser ? Politiquement, il faut avoir toute la lucidité pour faire cette analyse et tenir les deux bouts : le bout des droits humains et le bout du développement. On ne peut pas vouloir développer en contraignant les populations au silence. La démocratie est un dialogue, c’est un échange, ce sont des concertations, ce sont des panels d’échanges, c’est tenir compte de l’opinion de tous pour avancer. Cela prend du temps certes, mais quand on veut plutôt aller vite on agit autrement, on prend l’autre option. Le président Patrice Talon a voulu aller trop vite et avec ça il est obligé de rester dans sa logique. Il est un homme cohérent et structuré. Il a commencé son mandat en ordonnant très tôt le déguerpissement des personnes des artères. Cette manière d’agir est une mauvaise stratégie politique. Il devrait d’abord construire des lieux, des marchés, prévoir des solutions pour secourir, pour constituer des filets de sauvetage, des lieux pour reloger ces personnes-là avant de faire détruire leurs étals. Parce que quand il a tout cassé, il a perdu l’électorat à Cotonou, et comme lui-même a su le dire : « On sera impopulaire ». Or en démocratie, on ne pas être impopulaire si on veut aller aux élections. Et comme il est devenu impopulaire, l’avalanche des élections exclusives et du recul est devenue inévitable et plus violente.
A PRÈS DE DEUX ANS DES ÉLECTIONS GÉNÉRALES QUI VONT COMPORTER DE GRANDS ENJEUX, QUE FAIRE SELON VOUS DANS CES CONDITIONS POUR QUE LA PAIX DURABLE RÈGNE AU BÉNIN ?
Il faut décrisper l’atmosphère. Mais cette atmosphère ne peut pas être totalement décrispée parce que le faire totalement, ce serait se renier soi-même. Patrice Talon ne peut pas se renier lui-même. Il va faire certains compromis, mais il ne peut plus faire un compromis total et général. Il se renierait lui-même. A l’heure actuelle, il y a certains compromis. La rencontre avec Les Démocrates a permis au parti de l’opposition d’obtenir l’audit du fichier électoral. Je ne sais pas si c’est cela qui va permettre que les élections soient inclusives. Il faut un travail de terrain et de fond. Toucher le cœur des Béninois et leur conscience par un acte de terrain et aussi par beaucoup de plaidoyers. Ils posent des actes qui montrent qu’ils sont sensibles au peuple, mais cela ne suffit pas. La bataille politique sera rude pour eux face à la machine de la mouvance présidentielle, une bataille de longue haleine.
COMMENT VOYEZ-VOUS L’AVENIR DE LA DÉMOCRATIE BÉNINOISE AVEC CE NOMBRE DE BÉNINOISES ET BÉNINOIS EXILÉS OU EMPRISONNÉS, EXCLUS DU DÉBAT NATIONAL ?
Je crois qu’il y a beaucoup de blessure et il faut les panser. Je ne sais pas si ces personnes qui sont des leaders politiques, des entrepreneurs, des cadres ou des citoyens lambdas auront le cœur et le courage de pardonner et de se réconcilier à nouveau avec leur pays, leurs frères et sœurs qui ont été au pouvoir pendant ce temps-là.