Le trafic de stupéfiants gagne du terrain au Sahel, un vaste territoire d’Afrique. « La cocaïne, la résine de cannabis et les opioïdes pharmaceutiques » y sont les plus répandus, souligne l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (Onudc).
Dans un rapport intitulé «Trafic de drogue au Sahel : Évaluation de la menace de la criminalité
transnationale organisée », rendu public ce vendredi, l’organisme dont le siège se trouve à Vienne, en Autriche, indique que l’herbe de cannabis, en termes de quantité, est le psychotrope le plus couramment saisi au Sahel. Localement cultivé pour principalement une consommation régionale, le chanvre indien est également « la principale substance pour laquelle les gens se font soigner » au Burkina Faso, au Mali, au Niger, en Mauritanie et au Tchad, rapporte le document reçu à APA.
Il ressort, en outre, du travail d’investigation de l’Onudc que l’Afrique de l’Ouest est au cœur des nouveaux circuits de la cocaïne : « Sa situation géographique en fait une étape naturelle pour cette drogue dure produite en Amérique du Sud en route vers l’Europe, l’un des plus grands marchés de consommation de cocaïne après l’Amérique du Nord. Dans un contexte d’augmentation de la production en Amérique du Sud et de demande croissante en Europe, les flux de cocaïne transitant par l’Afrique de l’Ouest se sont intensifiés. La réémergence d’importantes saisies de cocaïne depuis 2019 suggère une augmentation des expéditions significatives de drogue vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest ».
Si la majorité de la poudre blanche atteignant l’Afrique occidentale continue généralement sa route vers l’Afrique du Nord et l’Europe via les voies maritimes, un nombre croissant de saisies record de cocaïne impliquant des pays du Sahel ont fourni la preuve d’un trafic à grande échelle à travers la région. « D’une moyenne de 13 kg par an sur la période 2015-2020, la quantité de cocaïne saisie au Sahel est passée à 41 kg en 2021 et 1466 kg en 2022, l’essentiel étant signalé par le Burkina, le Mali et le Niger », précise le rapport de l’Onudc.
Le cannabis fait de la résistance
Le chanvre indien, en raison de son prix abordable, est très prisé des toxicomanes du monde entier. Sa résine est la deuxième drogue la plus saisie dans les pays du Sahel, après l’herbe de cannabis, avec 24,8 tonnes entre 2021 et 2022. Cela représente plus de 52,6 % de la quantité totale de résine de cannabis saisie en Afrique de l’Ouest et du Centre au cours de la même période considérée. Une augmentation exponentielle qui illustre l’importance de la route du Sahel pour le trafic de cette substance prohibée.
« Selon les données des pays du Sahel, la résine de cannabis trafiquée dans la région provient généralement du Maroc où une augmentation de la production a été signalée, atteignant environ 901 tonnes en 2022. Elle est généralement destinée aux pays d’Europe occidentale et du Nord. Au-delà de la route directe entre l’Espagne et le Maroc, la résine de cannabis est surtout acheminée par voie terrestre du Maroc vers la Mauritanie, le Mali, le Burkina, le Niger et le Tchad, puis vers l’Algérie, la Libye et l’Égypte », fait savoir l’Onudc.
Il y a aussi, éclaire la source, une voie maritime alternative allant du Maroc aux portes du golfe de Guinée. « La reconfiguration des routes du trafic de résine de cannabis en Afrique de l’Ouest est susceptible d’avoir un effet sur les réseaux de distribution de drogue opérant entre l’Afrique du Nord, le golfe de Guinée et le Sahel. Par exemple, les trafiquants de drogue marocains deviendront probablement moins dépendants des groupes criminels organisés maliens, tandis que les trafiquants du golfe de Guinée seront probablement de plus en plus exposés à la résine de cannabis. Ce qui leur permettra de diversifier leur commerce et les marchés auxquels ils ont accès », mentionne l’étude.
L’usage des opioïdes en hausse
Ce sont des médicaments aux propriétés analgésiques pour soulager la douleur. Mais les opioïdes, pouvant provoquer une sensation d’euphorie, sont également utilisés par des personnes en quête de sens.
« Entre 2011 et 2021, la prévalence annuelle de la consommation d’opioïdes (y compris les opiacés) est passée de 0,33 à 1,24 % en Afrique. L’usage non médical des opioïdes pharmaceutiques semble avoir considérablement augmenté, passant de deux pays seulement (le Niger et le Togo), citant le tramadol comme la principale drogue préoccupante des personnes entrant dans un traitement pour toxicomanie en 2017, à cinq pays (Burkina, Libéria, Mali, Niger et Sierra Leone) en 2019 », détaille le rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.
De l’avis d’experts en santé publique, l’usage dévoyé du tramadol reste une menace en Afrique du Nord, de l’Ouest et centrale. Il est « l’opioïde le plus utilisé à des fins non médicales au Burkina, en Mauritanie, au Niger, au Nigeria, au Sénégal, en Sierra Leone et au Togo », ajoute la source.
Historiquement, l’Asie du Sud en général, l’Inde en particulier, était l’une des principales sources de tramadol. « Avec ses principaux ports maritimes commerciaux et ses routes à destination et à travers les pays du Sahel, l’Afrique de l’Ouest est devenue une destination principale pour les opioïdes pharmaceutiques, notamment le tramadol, ainsi qu’une zone de transit pour d’autres médicaments destinés à l’Afrique du Nord et centrale », annonce l’Onudc.
Au cours de la période 2017-2021, soit cinq ans, l’Afrique représentait la moitié de la quantité totale d’opioïdes pharmaceutiques saisie dans le monde et 97 % du tramadol saisie sur la planète en 2021. « Une partie du tramadol déchargé dans les ports maritimes d’Afrique de l’Ouest, principalement situés au Bénin, au Nigeria et au Togo, se rend dans les pays du Sahel à bord de bus, de camions et de motos, sur les routes principales comme sur les routes secondaires », signale le document.
La corruption, un facteur favorisant
Dans le Sahel, le phénomène « peut inclure des membres de l’élite politique ainsi que des dirigeants de groupes armés et des dirigeants communautaires. Les récentes saisies, arrestations et détentions dans les pays de l’espace ont mis en lumière la manière dont le trafic de drogue est facilité par un large éventail d’individus, tels que des hommes politiques, des membres des forces de défense et de sécurité, et du pouvoir judiciaire, notamment lorsqu’ils contournent les contrôles et évitent les arrestations et les procédures judiciaires », déplore l’Onudc.
En Afrique de l’Ouest, poursuit-il, « les trafiquants utilisent la région pour dissimuler les produits de leur criminalité, notamment par le biais du blanchiment d’argent basé sur le commerce. Cette pratique rend les transactions financières plus difficiles à suivre tout en créant des opportunités de revenus supplémentaires, donnant aux trafiquants un plus grand levier économique et un vernis de légitimité. Les trafiquants de drogue ont tendance à investir leurs revenus illicites dans des secteurs en croissance, comme ceux de l’or et de l’immobilier, en s’appuyant sur l’économie informelle basée sur l’argent liquide ».
La drogue, du fait de sa valeur commerciale plus élevée, a été utilisée pour remettre en cause les structures de pouvoir traditionnelles au sein et entre les communautés vivant au Sahel pour conduire à l’émergence de puissants trafiquants. « Bien qu’il existe des preuves accablantes de l’implication continue de groupes armés, il semble y avoir moins de preuves que des mouvements armés extrémistes violents, tels que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim ou Jnim en arabe) affilié à Al-Qaida ou l’État Islamique au Grand Sahara (actuellement État islamique au Sahel), affilié à l’État Islamique, jouent un rôle actif dans le trafic de drogue », .
Toutefois, nuance l’Onudc, cela ne signifie pas que ces groupes ne sont pas concernés : « Des preuves de leur implication pourraient encore émerger. Et les groupes armés extrémistes violents sont susceptibles de bénéficier indirectement du trafic de drogue, par exemple via le paiement par les trafiquants de la zakat, une forme d’impôt sur la fortune imposée par le Gsim et l’EIGS dans les zones où ils opèrent, ou en taxant les convois qui traversent les zones sous leur contrôle ».
Pour l’office onusien, la corruption et la perception selon laquelle les trafiquants de drogue, notamment les membres de groupes armés et les individus sanctionnés par le Conseil de sécurité des Nations Unies, mènent leurs activités criminelles dans une relative impunité, portent atteinte à la crédibilité et à la légitimité des institutions étatiques, ainsi qu’aux processus électoraux.
Lien entre trafic de drogue et terrorisme
La question des sources de financement des groupes jihadistes est un sujet inépuisable au Sahel où « la criminalité organisée et le trafic de drogue contribuent à compromettre la stabilité et le développement ». À l’instar d’autres régions du globe touchées par des conflits, « l’économie de la drogue et l’instabilité au Sahel sont liées par un cercle vicieux dans lequel la faiblesse de l’État de droit facilite l’expansion de l’économie de la drogue, qui peut, à son tour, fournir des ressources financières pour maintenir ou étendre le conflit, tout en sapant la réponse de l’État », constate l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.
En effet, assure-t-il, le trafic de drogue fournit des ressources financières aux groupes armés qui opèrent au Sahel, notamment la Plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d’Alger et la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) au Mali, leur permettant de pérenniser leur implication dans le conflit, à travers entre autres l’achat d’armes.
« La concurrence sur les itinéraires du trafic de drogue au Sahel et les interceptions de convois de drogue par des groupes armés concurrents ont conduit à de violents affrontements et à des représailles, entraînant de nombreux morts et blessés parmi ces groupes, perpétuant ainsi le cycle de violence. Le trafic de drogue, qui compromet le développement économique des pays du Sahel, a un impact direct et croissant sur la santé des populations à mesure que les marchés locaux de la drogue se développent », conclut le rapport de l’Onudc.