Devrait-on être étonné de la répression des marches organisées, les 27 avril et 1er Mai 2024, par les Confédérations et centrales syndicales afin de dénoncer la cherté des produits de grande consommation ? Un coup d’œil dans le rétroviseur, on se rend compte que depuis l’avènement du régime Talon, aucune marche n’a connu une fin heureuse. Elles ont toujours été réprimées, suivies d’arrestations. Même les anciens présidents Nicéphore Soglo et Boni Yayi ont subi des tirs de gaz lacrymogène en 2019, quand ils ont entrepris de marcher contre l’exclusion de l’Opposition aux Législatives. Jusque-là, on était dans le champ politique.
Le fait nouveau ici, ce sont les Confédérations et Centrales syndicales qui se sont réveillées et, se rendant compte que les marches n’étaient pas dans le lot des restrictions de liberté opérées depuis 2016, ont voulu emprunter ce chemin pour montrer qu’elles peuvent encore être utiles à quelque chose. Elles se sont heurtées à la logique du régime de la Rupture, hostile à toute contestation populaire, quelles qu’en soient les raisons. On a même essayé de criminaliser l’attroupement non armé dans le code pénal de 2018 afin de faire croire qu’il faut une autorisation du Préfet avant toute descente dans la rue pour protester. Le droit de grève est déjà presque retiré aux Confédérations et centrales syndicales.
Aujourd’hui, elles apprennent à leur dépens qu’elles ne peuvent non plus prendre la rue comme auparavant pour exprimer leur mécontentement. Les arrestations de Secrétaires généraux et de manifestants répondent à cette logique : les en dissuader. A l’avenir, elles devront réfléchir par 4 fois avant de prendre la rue. La main de fer, du début jusqu’à la fin. Mais il n’y a pas de règle sans exception. Quand le pouvoir a vu que la marche peut en fait servir sa cause, on a appris que celle du 11 mai est autorisée par le Préfet.
L’alibi Niger
Le motif principal qui pousse les travailleurs dans la rue, c’est la cherté du maïs, principal aliment de base au Bénin. Plusieurs raisons sont à la base du renchérissement du prix du maïs. Intervenant sur l’Ortb, le ministre de l’Agriculture Gaston Dossouhoui a énuméré les causes. En première position, il a évoqué les réserves stratégiques faites par des éleveurs, suite à l’interdiction des importations des produits carnés à base de volaille. La 2e raison, aux dires de Gaston Dossouhoui, la volonté des commerçants de profiter de la situation pour spéculer sur le prix du maïs.
La vente d’importants stocks de maïs dans les pays du Sahel, et donc au Niger, ne vient qu’en 3e position, au titre des causes internes de la hausse du prix du maïs. Comme causes exogènes, il a cité le Nigeria qui, avec sa production massive de volaille, ne peut se passer du maïs béninois. Matin Libre a plusieurs fois tiré l’attention sur la hausse exagérée du prix de l’engrais NPK qui est passé de 14500f à 22 500f, et sa non disponibilité pour les producteurs du maïs, comme l’une des causes. Mais le gouvernement n’a jamais évoqué ce paramètre.
Après la marche réprimée des Confédérations syndicales, des vidéos ont circulé, montrant comment des tonnes de maïs sortent frauduleusement du Bénin et atterrissent au Niger. Des sacs d’engrais en direction du Niger auraient aussi été arraisonnés. Cette communication avait une logique, montrer que c’est le Niger qui profite du maïs béninois d’où la surenchère. Avec la décision de blocage de l’embarquement du pétrole nigérien à Sèmè-Podji, on comprend mieux là où le gouvernement voulait en venir. Le Niger ne peut pas continuer à profiter du maïs béninois alors que les autorités nigériennes refusent d’ouvrir leurs frontières au Bénin.
Tout à coup, la vente par des voies détournées du maïs béninois au Niger est devenue la principale cause de la surenchère, au point de créer une situation sociale implosive au Bénin. Le chef de l’État a dit qu’il y a eu des marches au Bénin à cause de cette situation. Mais peut-on dire qu’il y a eu marche alors que toutes les initiatives de marche à Cotonou comme à Parakou pour dénoncer la cherté du maïs ne sont pas allées au bout ? Elles ont été empêchées et des manifestants arrêtés. Voilà que le chef de l’État, pour justifier sa décision de blocage du pétrole nigérien, affirme qu’il y a eu des marches au Bénin parce le Niger profite du maïs béninois et ça crée la surenchère. Il faut donc qu’il ait marche en bonne et due forme pour soutenir la thèse du chef de l’État. D’où l’autorisation du Préfet qui, juridiquement, n’a aucun sens, étant donné que c’est un régime de déclaration et non d’autorisation, comme on essaie de le faire croire.
La belle preuve rien n’a changé dans les démarches entreprises par les Confédérations et centrales syndicales. Elles ont fait les mêmes démarches administratives pourtant la marche du 27 avril a été réprimée. Les Confédérations et centrales syndicales peuvent parler de victoire. Mais en réalité, on a laissé faire parce que la marche sert d’alibi au chef de l’Etat dans son bras de fer contre le Niger.