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Bénin: une carte culturelle entre restitutions et musées

Publié le vendredi 1 aout 2025  |  APA
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© aCotonou.com par DR
Le petit musée de la Récade au Bénin
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Depuis la restitution par la France de 26 œuvres du royaume d’Abomey en 2021, le Bénin a enclenché une vaste dynamique culturelle. À la croisée des enjeux mémoriels, touristiques et diplomatiques, le pays investit dans la construction de nouveaux musées et dans la valorisation du patrimoine vivant, dans l’objectif de reconquérir son récit historique et de renforcer son rayonnement.

Le 10 novembre 2021, les autorités béninoises accueillaient officiellement le retour de 26 pièces majeures pillées en 1892 lors de la conquête coloniale. Trônes royaux, statues totémiques, portes sacrées : ces objets avaient été exposés au musée du Quai Branly, à Paris, pendant plusieurs décennies.

Leur retour au Bénin a été rendu possible par une loi votée par le Parlement français en 2020. C’est un geste historique, à forte portée symbolique. Présentées durant deux mois au palais présidentiel de Cotonou, les œuvres ont attiré plus de 200 000 visiteurs.

« Les 26 trésors royaux du Bénin exposés au Palais de la Marina ont pour destination finale le futur musée d’Abomey », confirmait le gouvernement béninois, insistant sur l’importance de doter le pays d’infrastructures à la hauteur de son patrimoine retrouvé.

Ces œuvres d’art sont destinées à être exposées de manière permanente dans un nouveau musée en construction à Abomey.

Abomey et Porto-Novo en chantiers culturels

À Abomey, ancienne capitale du royaume du Danhomè, le gouvernement béninois construit actuellement le Musée de l’épopée des Amazones et des Rois du Danhomè (MuRAD), conçu par l’architecte franco-camerounaise Françoise N’Thépé. Ce musée, d’une superficie de 2 000 m2, doit ouvrir ses portes d’ici à décembre 2025.

Il deviendra alors l’écrin permanent des 26 trésors royaux restitués aujourd’hui et conservés provisoirement au palais présidentiel. Ces pièces retrouveront bientôt leur contexte d’origine au sein des palais royaux d’Abomey (classés à l’UNESCO).

À Porto-Novo, la capitale, un autre chantier emblématique bat son plein : celui du Musée international du Vodun. Sur un site de 16 000 m2 à l’entrée de la ville, d’étranges bâtiments circulaires en forme d’alvéoles se dressent peu à peu. Imaginée par le cabinet ivoirien Koffi & Diabaté, l’architecture s’inspire des calebasses sacrées et des tata somba (habitations traditionnelles du nord-ouest du pays).

Destiné à « dépouiller le Vodun des idées négatives qui lui sont prêtées » et à montrer que cette religion est « tout à fait respectable », Alain Godonou, conseiller aux patrimoines et musées de la présidence, soutient que le futur musée promet une immersion sans précédent dans l’univers du vodun.

Plusieurs salles d’expositions devraient permettre la présentation des pièces de la collection nationale, mais aussi des objets vodun emblématiques prêtés par des partenaires étrangers – du Brésil, de Cuba, des États-Unis – pour montrer le Vodun dans toutes ses dimensions, y compris dans la diaspora.

En mai 2025, le gros œuvre était achevé et les finitions ainsi que la muséographie en cours.
« La muséologie, la muséographie avancent très bien. […] Je crois fermement que d’ici à la fin de l’année 2025, [le musée] pourra ouvrir », assure Alain Godonou.

L’inauguration prévue fin 2025 coïncidera avec la révélation, sur la place adjacente, d’une statue du roi Toffa première figure historique de Porto-Novo – déjà érigée pour accueillir les visiteurs.

Le masque comme vecteur culturel

En parallèle, le Bénin met en avant son patrimoine immatériel à travers des événements populaires. À Porto-Novo, le Festival des Masques, lancé en 2024, propose un spectacle vivant des traditions masquées du pays.

La prochaine édition, prévue les 2 et 3 août 2025, accueillera neuf sociétés de masques, venues de diverses régions du Bénin, mais aussi du Nigéria et de Côte d’Ivoire, signe que le festival acquiert déjà une dimension ouest-africaine.

Pendant deux jours, Porto-Novo deviendra une scène à ciel ouvert où défileront les légendaires Egungun aux costumes flamboyants, les spectaculaires gardiens de nuit Zangbeto ou encore des masques rares sortis exceptionnellement des couvents. « Ce festival va bien au-delà du divertissement. C’est un rendez-vous de l’histoire », a déclaré Jean-Michel Abimbola en présentant l’édition 2025.

« Le Festival des Masques va bien au-delà du folklore : c’est une forme de réappropriation identitaire », rajoute le directeur de l’agence Bénin Tourisme. L’événement, qui mêle processions rituelles, performances contemporaines et conférences, s’adresse à la fois au grand public, aux chercheurs et aux visiteurs étrangers.

Le gouvernement soutient activement cette dynamique de revalorisation des pratiques spirituelles : en janvier 2024, la célébration annuelle du 10 janvier, dédiée aux religions endogènes, a été rebaptisée « Vodun Days » et repensée pour attirer un public international.

« Nous avions estimé qu’il est important de déconstruire l’image que les gens se font du Vodun, dépeint comme le mal. Donc, le lien est vite fait entre retrouver notre identité, la partager avec le monde et en plus développer l’économie à travers le tourisme », a déclaré le président Patrice Talon, en marge de ces Vodun Days.

Conscient de la sensibilité du sujet, le Vodun ayant longtemps souffert de stigmatisation, le chef de l’État revendique un choix assumé : faire de ce patrimoine immatériel un levier de cohésion et de développement.

« Si tel aspect d’une religion a des intérêts économiques et culturels importants pour mon pays, j’ai l’obligation d’utiliser les ressources publiques pour en faire la promotion », a-t-il affirmé le président Patrice Talon.

Une politique culturelle au service du rayonnement

Les deux musées phares viennent compléter un réseau plus large en gestation : à Ouidah, la Cité de la mémoire et de l’esclavage, rénove l’ancien fort portugais pour y retracer la tragédie de la traite négrière, tandis qu’à Cotonou un Musée d’art contemporain est en projet.

Au total, ce sont quatre nouveaux musées nationaux que le gouvernement ambitionne de livrer, en repensant leur gouvernance pour en faire des établissements attractifs de rang international, explique-t-on à la présidence.

« Dans le but de positionner le Bénin comme destination touristique majeure sur le continent, le gouvernement a prévu pour le quinquennat 2021-2026 la construction et la réhabilitation de plusieurs musées », soulignait un compte-rendu officiel.

Cotonou rêve déjà tout haut d’un « Louvre africain » : « Nous avons des ambitions pour un projet à la Louvre-Abu Dhabi à Cotonou », confiait Jean-Michel Abimbola après des discussions avec d’éminents conservateurs. Si l’idée fait sourire, elle traduit l’élan et la confiance retrouvée d’un pays qui, après des décennies d’ombre, se voit en pôle culturel régional.

Jamais le pays n’avait investi à une telle échelle dans la culture : plus de 1 250 milliards de francs CFA (environ 1,9 milliard d’euros) ont été injectés depuis 2016 dans les infrastructures touristiques et culturelles. En 2023, le pays a accueilli plus de 120 000 touristes internationaux, selon les chiffres du ministère du Tourisme. Une hausse de 20% par rapport à l’année précédente.

La tendance devrait se poursuivre, avec en ligne de mire un objectif de deux millions de visiteurs à l’horizon 2030. Cet objectif est adossé à un nouveau programme d’investissement de 1,4 milliard de dollars, lancé en juin 2025 par les autorités béninoises, visant à faire passer la contribution du tourisme au PIB de 6 % à 13,4 % d’ici à 2030.

Si le modèle béninois est suivi de près dans la région, d’autres pays africains, comme le Nigéria, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, multiplient à leur tour les demandes de restitution. Mais, Cotonou va plus loin : en créant des musées modernes, en investissant dans les festivals et en réinscrivant ses traditions dans le récit national. Le Bénin cherche à reprendre le contrôle de ses représentations culturelles.

AP/Sf/APA
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