i la crise entre la représentation nationale et la Cour institutionnelle perdure, la démocratie béninoise s’en trouvera fragilisée. Il faut que la Cour se respecte mieux pour retrouver le respect que tout le peuple lui doit afin de jouer légitimement son rôle indispensable pour la consolidation de la démocratie béninoise. Analyse
Depuis sa décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013 relative à l’annulation du vote de la loi de finances portant budget général de l’Etat exercice 2014 la cour constitutionnelle, se retrouve avec une légitimité fragilisée. Elle l’est autant au regard des coups qu’elle reçoit aussi bien de la part des médias, des hommes politiques que de la société civile. Or, elle est et doit être l’institution jouissant d’une confiance certaine aux yeux des citoyens.
Comme toute institution, elle est légitime parce qu’elle a une onction démocratique et politique. Comme telle, la Cour constitue le recours de dernière instance. Ce qui veut dire qu’après son arbitrage, plus rien. On ne tolère donc pas qu’on dise que la Cour se trompe. Parce qu’elle est l’institution de la sagesse dans une démocratie. Et dans l’entendement commun des populations, elle ne doit pas se tromper, parce que se tromper c’est déboussoler le corps social. Toutefois, à en croire Fancis Akindès, politologue, « même une Cour légitime peut perdre sa légitimité si ses décisions ne paraissent pas justes aux yeux de ceux pour qui elle est chargée de rendre des décisions. Et si cette crédibilité se perd, elle doit en même temps se refaire parce qu’une légitimité fonctionne sur la base de crédit et de confiance ». Par contre, relève Akindès, « la décrébilisation d’une institution à onction démocratique vient de ce qu’elle rend des décisions qui ne paraissent pas justes et c’est un gros risque pour une démocratie, un danger pour la société. En ce sens que l’alternative de la crise de légitimité c’est la rue. Et qui dit la rue dit fragilisation profonde de la démocratie ». On comprend dès lors la position des membres de la commission des lois, de l’administration et des droits de l’homme exprimé dans leur rapport verbal au terme de l’examen de la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013 de la Cour constitutionnelle et soumis à la plénière des députés. « … Eu égard à ce qui précède, les commissaires ont relevé que : L’injonction de la Cour constitutionnelle est devenue sans objet à la date de ce jour et fait tomber sa valeur juridique ; la décision de la Cour constitutionnelle doit être déclarée irrecevable par l’Assemblée nationale parce que contraire à la Constitution ; la décision de la Cour constitutionnelle est une décision unique en son genre qui doit être écartée de la jurisprudence de la Cour… ».
En épousant dans leur grande majorité, en plénière, cet avis de la commission, les députés ont tenu à manifester leur mécontentement vis-à-vis de la Cour ce qui remet en cause sa crédibilité. Et pour mieux assumer sa position, l’Assemblée nationale s’est refusée de respecter l’injonction qui lui est faite par la haute juridiction. Est-ce une première dans l’histoire des relations interinstitutionnelles, entre l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle ?
Un regard rétrospectif sur ce passé institutionnel du Bénin permet de se rendre compte que le refus de ne pas respecter les décisions de la Cour constitutionnelle a été beaucoup plus expérimenté du côté de l’exécutif que de l’institution parlementaire. Des gens voient dans la crise actuelle des signes d’ambiance de fin de règne qui font voler en éclats les majorités parlementaires et favorisent de nouvelles recompositions de la classe politique.
Dans l’opinion publique, des voix s’élèvent pour dire que dans le cas d’espèce, la Cour constitutionnelle a outrepassé ses prérogatives, qu’elle a poussé le bouchon un peu trop loin. De la même manière, certains s’interrogent sur ce refus de l’Assemblée nationale de se plier à la décision de la Cour. Les citoyens se rappellent certainement que ce n’est pas la première fois que la décision de la Cour constitutionnelle n’est pas respectée par les institutions de la République. On se souvient encore de l’ex-vice-président de la Haac, Clément Houénontin, qui ne sera jamais habilité dans ses fonctions de directeur général de l’Ortb par le gouvernement, malgré la décision de la Cour constitutionnelle en sa faveur.
Le président Kérékou en 2011 avait refusé le report de trois jours des élections présidentielles décidé par la Cour constitutionnelle au motif que la Constitution ne le prévoit pas ainsi. La nouveauté dans le cas qui oppose l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle est de voir les députés et leur président ainsi que la commission technique spécialisée du parlement s’opposer à la décision de la Cour constitutionnelle.
Pour le juriste Serge Prince Agbodjan, « c’est la première fois que la Cour constitutionnelle utilise son pouvoir de régulation des institutions conformément à l’article 114 de la Constitution et sa décision n’est pas respectée ».
Qui perd ? Qui gagne ?
Apparemment, l’Assemblée nationale semble avoir gagné. Elle a gagné pour avoir réussi à ne pas obéir à l’injonction de la Cour, même après l’ordonnance prise par le chef de l’Etat. Elle a du coup réussi à s’attirer la sympathie d’une bonne frange des populations qui voient en son comportement une certaine manière d’affirmer son autorité de représentation nationale. Ce qui a par ailleurs fait monter l’autorité du président de l’institution parlementaire. Mais même si l’Assemblée nationale peut se targuer de ce semblant de victoire des députés sur les sages qui se sont mis dans une situation où ils n’avaient presqu’aucun rôle à jouer, la victoire d’un camp ou d’une institution sur une autre peut devenir une fragilisation de la démocratie béninoise, donc une perte pour nous tous, surtout si la Cour en sort fragilisée pour longtemps.
En définitive, qui gagne et qui perd ? Selon certains observateurs de la vie publique, c’est tout l’édifice de la démocratie qui est ainsi menacé. C’est comme si l’ordre constitutionnel mis en place en 1990 à la Conférence nationale tombe. C’est comme si en définitive, un front se crée pour affirmer de façon officielle que la Cour constitutionnelle ment. Et c’est le danger qui menace au plan politique et juridique la démocratie béninoise et qu’il convient d’évacuer. Ce danger qu’on fait courir au pays risque de s’accentuer si l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle restent chacune campée sur sa position. Ceci risque d’être fatal pour le processus démocratique en cours au Bénin. Chacun doit savoir raison garder pour la sauvegarde des acquis de la Conférence nationale de février 1990. A en croire le politologue Mathias Hounkpè, « quel que soit ce qu’on reproche à cette Cour, personne ni même l’Assemblée nationale ne peut enlever à sa décision sa valeur juridique bien que cette décision de la Cour constitutionnelle soit une violation grossière de la Constitution et du règlement intérieur de l’Assemblée nationale ». Toutefois, relève Hounkpè, « même si une décision jouit de sa validité juridique, si elle ne jouit pas d’une légitimité suffisante, elle peut être sans effet. Parce que dans sa position actuelle, la Cour constitutionnelle ne dispose pas de moyen de coercition pour imposer ses décisions aux citoyens ». Ceci doit faire réfléchir la Cour lors de ses prises de décisions. Bien que ses décisions soient sans recours, elles ne s’appliquent que parce que ceux à qui elles s’imposent acceptent de les appliquer. Et parce que sa légitimité, son autorité doit être acceptée, la Cour constitutionnelle, conseille Hounkpè, « doit chercher la sympathie des citoyens par l’objectivité et l’impartialité de ses décisions ; elle doit montrer à travers ses décisions, son souci de consolidation de la démocratie et surtout enfin, se remettre sur le chemin du respect de la Constitution. Il faut que la Cour se respecte pour se faire respecter ». Car renchérit Francis Akindès, « si on ne peut pas faire confiance à une Cour constitutionnelle, ce n’est plus bon pour la démocratie ».
Comment re-crédibiliser
la légitimité de la Cour ?
Un défi s’impose à nouveau à la haute juridiction : s’inscrire dans la dynamique des décisions plus justes, plus équilibrées, plus objectives et plus impartiales. Surtout quand elle sait qu’entre autres, une suspicion pèse sur elle par rapport à ses accointances avec l’exécutif. Elle doit savoir que de plus en plus, les citoyens commencent par faire le lien entre la présence du beau-frère du président de l’institution ainsi que de celle du mari de la présidente de la Haute cour de justice qui est le rapporteur de la décision querellée, à la présidence de la République, tous deux comme conseillers du chef de l’Etat. Il est de plus en plus fréquent maintenant de voir le président de la Cour communiquer après chaque rencontre du chef de l’Etat avec les présidents des institutions de la République. Il ne peut donc pas se murer derrière une obligation de reserve pour ne pas communiquer sur le bien-fondé de leur décision à polémique.
A ce sujet, Akindès invite la Cour « à communiquer sur sa décision pour rétablir sa crédibilité, surtout au regard des suspicions sur le rôle de la Cour dans le ko électoral de 2011, le fichier électoral encore en cours de correction et l’ambiance sociopolitique actuelle du pays marquée par des grèves des syndicats, des magistrats et dans l’administration publique ». Car en politique, rappelle Akindès, « les perceptions ont plus de sens, plus de portée que les réalités. Elles ont plus de poids que la réalité ». La Cour doit s’armer d’une dose d’humilité et d’une culture de compte rendu pour trouver les moyens d’expliquer ses décisions aux populations, pour les rassurer. Surtout que les rencontres formelles périodiques des présidents des institutions avec le chef de l’Etat n’ont pas pu empêcher cette crise liée au fonctionnement de la Cour. Une rencontre que Akindès trouve finalement anormale parce qu’il ne comprend pas comment des institutions de contre-pouvoir, donc chargées de se surveiller se contentent de donner une image de convivialité. « C’est comme si on demandait à un chat et à une souris de se mettre ensemble pour manger », conclut-il. Si nous ne pouvons pas faire confiance à la Cour maintenant que nous sommes loin des échéances électorales, qu’en sera-t-il pendant les périodes électorales où les tensions partisanes sont plus vives ? Les moments de perte de crédibilité d’une Cour constitutionnelle étant souvent les périodes électorales, il est à craindre que la crise interinstitutionnelle actuelle ne se prolonge jusqu’aux prochaines élections.
L’urgence d’une re-crédibilisation de la légitimité de la Cour s’impose pour rassurer l’opinion publique sur la sincérité de ses décisions. Il importe donc que la Cour constitutionnelle se rattrape par la qualité des futures décisions qu’elle va rendre ; surtout que sur le continent africain, on est dans une période de suspicion et de rejet des cours constitutionnelles comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire.
La crise actuelle tout de même aura permis à chaque protagoniste de savoir jusqu’où aller, de savoir mesurer ses limites et surtout de savoir raison garder pour le rétablissement, la préservation et l’entretien de la confiance dans les institutions de la République.