Les soubresauts présidentiels de lundi dernier nous réveillent sur les relations incestueuses entre la politique et les affaires. Aujourd’hui plus qu’hier, ces relations débouchent sur des troubles jamais connus depuis 1990.
Si donc le Chef de l’Etat voit l’ombre de Patrice Talon partout, c’est qu’il sait bien comment la force de l’argent avait servi par le passé à acheter la classe politique ou encore le monde syndical. Il a peur de ce qu’il fit, jadis, lui-même. 2006 et même 2011 ont montré comment l’argent et sa puissance de manipulation sont capables, en démocratie, d’acheter des votes et surtout de manipuler les peuples. En dépit de tout ce que l’on peut penser, la démocratie du XXIème siècle est un système politique basé sur l’argent. Il faut de l’argent pour faire vivre les partis politiques, de l’argent pour organiser des meetings, de l’argent pour être présents dans les médias, de l’argent pour faire fonctionner le siège d’un parti politique, de l’argent pour fabriquer les gadgets qui entretiennent la flamme militante, de l’argent pour… Ce n’est pas un jeu d’enfant, même si tout se joue autour d’un jeu d’argent. Il me revient un candidat qui, en 2006, avait commencé à payer les chefs de villages de tout le Bénin environ deux ans plus tôt afin d’obtenir leur allégeance. L’issue du vote a réussi à déjouer sa manipulation. Mais cette pratique de subornation des chefs traditionnels et religieux a prospéré au moins jusqu’en 2011.
Là où les peuples sont affamés, la démocratie s’enlise dans des querelles d’argent qui favorisent l’immixtion des hommes d’affaires dans la politique. Là où les mentalités sont appauvries par des décennies d’obscurantisme électoral, c’est encore pire. L’on a tendance à croire que le jeu politique se réduit à la surface financière des acteurs. Les transitaires, douaniers et autres vendeurs de drogue qui peuplent les parlements en chassent forcément les enseignants, architectes et autres avocats dont la puissance ne se réduit, bien souvent, qu’à la force du verbe qu’ils sont capables de manipuler. Mais alors, dans ces conditions, l’arène est occupée par le plus offrant.
Ceci est aussi vrai dans les démocraties chevronnées, même si des nuances subsistent. Les révélations qui n’en finissent pas sur le financement par Kadhafi de la campagne électorale de Sarkozy témoignent de ce que le système démocratique est constamment menacé par la mainmise des pouvoirs d’argent. Il appartient aux élus de travailler à préserver l’intérêt des peuples contre les tentations prédatrices consubstantielles à l’univers des affaires pour éviter toute ploutocratie qui affamerait le peuple au profit des oligarchies rassasiées. Pendant ces dernières années, le Bénin a navigué au cœur de ce système où tous les nouveaux riches se sont construits à la vitesse grand V avant que, par un coup du destin, les inimitiés et animosités politiques ne fassent sauter ces copinages désastreux. Boni Yayi en est réduit aujourd’hui à dénoncer un Talon dont il fit les beaux jours.
La sauvage copulation entre affaires et politique ne date pas de ces amitiés qui tournent aujourd’hui au vinaigre. On sait ce qui est advenu de Fagbohoun. A la fin du régime Kérékou, le général ne trouva rien d’autre à faire que de faire poursuivre l’homme d’affaires en une gigantesque bataille dont les flammes et les fumées se sont répandues au-delà de 2006. Préserver l’intérêt général après avoir usé de subterfuges parfois iniques pour dépouiller le peuple. Ce réveil (tardif) sonne comme une vengeance nourrie par le politique qui a longtemps courbé l’échine devant les pouvoirs d’argent pour avoir les moyens de son ascension ou de son maintien.
Mais ce qui arrive au Bénin provient surtout des carences du financement public des partis politiques. Il ne faut pas se voiler la face. L’existence même des partis politiques, pour être saine et vertueuse, a besoin d’un minimum de soutien financier de la part de l’Etat. Le peuple qui s’émeut de la mainmise de la corruption dans les arcanes du pouvoir doit d’abord se demander où un président a bien pu trouver six milliards pour se faire élire et treize pour se faire réélire. Ceux qui dénoncent les haines aujourd’hui allumées doivent se demander comment des sommes folles apparaissent subitement dans les campagnes électorales.
Ces questions nous renvoient, après tout, à la responsabilité de l’Etat qui doit désormais structurer la vie des partis en réglementant de façon plus stricte leur financement. Sans cela, nous ne serons même pas capables d’exiger un minimum de vertu de nos acteurs politiques.