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Fraternité N° 3537 du 6/2/2014

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Ousmane Alédji à propos des entraves aux investissements dans le secteur culturel « Nous devons tous nous mobiliser pour que l’Etat dégage au moins 1% de son budget au profit de la culture »
Publié le jeudi 6 fevrier 2014   |  Fraternité


Ousmane
© Autre presse par DR
Ousmane Alédji, acteur culturel


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Le financement de la culture peine à être une réalité au Bénin. Pourtant, la richesse de la culture béninoise n’est plus à démontrer. Ousmane Alédji, acteur culturel évoque dans cet entretien les causes de cette situation et fait des propositions pour que ce secteur attire désormais les opérateurs économiques et autres mécènes.
On dit souvent que le Bénin a d’énormes potentiels culturels et touristiques, pourtant ces deux secteurs ont du mal à attirer les investisseurs. En tant qu’acteur culturel béninois, comment peut on expliquer ce paradoxe ?
C’est vrai que la culture béninoise est dense et extrêmement riche. Elle a du mal à attirer des investisseurs à cause des environnements juridique, économique et socioprofessionnel. Si nous prenons l’environnement juridique, il n’y a pas de loi incitative pouvant amener des opérateurs économiques à investir dans ce secteur. Il faut mettre en place aussi un régime fiscal particulier au profit des acteurs et des entreprises œuvrant dans ce secteur.
Au plan économique, il faut déplorer le manque d’audace de nos opérateurs économiques et financiers. Ceux qui ont les moyens d’investir dans ce secteur ne sont pas informés, donc ne mesurent pas à sa juste valeur le potentiel économique du secteur culturel. Selon un rapport récent publié conjointement par les ministères français de la culture et de l’économie, la culture contribue à hauteur de 57,8 milliards d’euros par an au Pib français. Valeur ajoutée directe, c’est-à-dire, du seul fait des activités culturelles. Ce qui équivaut, si j’en crois la ministre française de la culture à 3,2% du Pib de la France, et sept fois la valeur ajoutée de l’industrie automobile en France. Ces chiffres sont basés sur les calculs de l’Insee. On me dira que comparaison n’est pas raison. Toutes proportions gardées, je réponds que nous sommes capables d’obtenir les mêmes résultats au Bénin si nous nous prenons au sérieux.

Ce n’est pas le cas ?
Nous devons arriver à faire comprendre à nos dirigeants, comme à nos opérateurs économiques et financiers que l’artiste est un produit marchand rentable mais aussi une vitrine et un véhicule sur lesquels ils se doivent de coller leur image. Un Artiste qui accède au marché international sans un label de son pays d’origine, est un manque à gagner pour le pays, un gâchis. Je veux dire qu’investir dans le secteur culturel n’est pas une perte d’argent encore moins un acte de générosité, c’est se positionner sur le marché national et international. C’est ce que je mets dans « se prendre au sérieux ».

Ce ne sont donc pas de grosses fortunes qui manquent dans le pays ?
Je ne pense pas. Il y a des gens dans ce pays qui sont riches au point de ne plus se rappeler le nombre de maisons qu’ils ont. D’autres construisent des immeubles de cinq étages et les décorent avec des fleurs en plastique et des carreaux de toilettes pour la clôture et la façade. Ce qui manque dans ce pays c’est la culture du goût. Des bourgeois, avec la culture du goût dépenseront moins et feront travailler des créateurs de chez nous. Il y a très peu de gens qui comprennent qu’acheter une œuvre, c’est investir. L’œuvre prend de la valeur avec le temps et l’acheteur peut la revendre à un montant équivalent à 100 fois voire 500 fois la valeur initiale.

S’agissant de l’environnement socioprofessionnel ?
Le secteur n’est pas encore entièrement professionnalisé au Bénin. Le mécanisme à trois ponts : formation, production et diffusion, n’est pas en place.

A quoi cela est dû ?
Cela a un coût. Il n’y a pas de cadre de formation. La production elle, existe par résistance, se fait plus ou moins grâce notamment à la culture de la débrouille. Au niveau de la diffusion, il faut des infrastructures susceptibles d’accueillir la création et le public. Les infrastructures de qualité permettent la ritualisation. C’est à dire que grâce aux infrastructures, les artistes créent régulièrement et de ce fait inventent un public, le forment et le fidélisent. Voilà les incontournables ! Vous remarquerez qu’ils ne sont pas en place dans notre pays. Au final, le secteur culturel béninois est peu structuré.

Cela explique-t-il selon vous le désintérêt des investisseurs pour un secteur que l’on dit pourtant vital pour notre économie et même pour le développement du pays ?
En partie. Vous conviendrez avec moi que ce qui n’est pas structuré n’est pas de nature à rassurer les gens. C’est donc normal qu’il n’attire pas de nombreux investisseurs ou que les gens y viennent dans un élan de générosité et la générosité est une réponse éphémère à un appel au secours. Elle est précieuse mais pas pérenne parce que ne relevant pas d’un droit ni d’un devoir.

Est-ce à dire que le Bénin ne dispose pas d’une politique culturelle digne du nom ?
Je sais qu’il y a un projet de politique culturelle qui a été élaboré sur instruction du ministre Galiou Soglo. C’est un chantier qui reste à être mené à terme parce que, de l’avis de tous, il a été fait à la va-vite.

Que peut-on faire pour corriger le tir ?
Il faudrait que l’Etat prenne ses responsabilités. Les préalables sont simples : une politique culturelle digne du nom, ensuite des ressources financières et humaines pour son application.

Nous constatons également que les artistes et les promoteurs d’événements culturels ont du mal à se faire accompagner par des sponsors et des mécènes. Comment expliquez-vous cette situation ?
Je pense que cette situation est due à deux problèmes essentiels. Reconnaissons-le, dans une large mesure, la qualité des productions laisse à désirer. Ce qui fait que l’investisseur potentiel reste méfiant vis-à-vis du produit culturel. De l’autre côté, les annonceurs et sponsors raisonnent en terme de générosité. C’est une erreur. Si un créateur accède aux marchés internationaux, les entreprises dont il porte le label y accèdent aussi. Les sponsors et mécènes devraient donc raisonner en terme de partenaires et non comme des bienfaiteurs généreux. Raisonner de cette façon, c’est clochardiser l’acte créateur. Un artiste ne doit pas être perçu comme un mendiant, mais une vitrine, une chance. Le drame, c’est que dans ce pays, ce sont les artistes eux mêmes qui vont vers les gens la tête basse parce que dans leur esprit, ils y vont pour quémander. Si l’artiste lui-même n’est pas suffisamment convaincu de ce qu’il vaut, comment peut-il se vendre ?

Est-ce à dire qu’il n’y a pas des textes dans ce domaine pour inciter les entreprises à soutenir ou à accompagner les artistes ?
Malheureusement, il n’y a pas de textes dans ce domaine au Bénin. On devrait le faire car, cela soulagerait l’Etat de plusieurs charges et sollicitations auxquelles il n’est visiblement pas capable de répondre. La prise d’une loi dans ce sens est une urgence.

Comment cette loi peut-elle profiter aux artistes ?
Si une loi était prise, cela encouragerait le mécénat d’entreprise contre des détaxes. Cela inciterait les entreprises à aller vers les artistes et les artistes, vers les entreprises. Ce faisant, le secteur culturel se développera en développant aussi le secteur des entreprises. L’autre problème, non moins négligeable est que le Bénin ne dispose pas de tissu industriel. Le label Made in Benin n’existe quasiment pas. Si on avait un tissu industriel conséquent au Bénin, nos médias et nos artistes seraient mieux logés. Donc, les artistes souffrent de ce manque d’opérateurs économiques et de sociétés à forte demande de communication et de publicité. Du coup, tout est réduit à quelques deux ou trois sociétés difficiles d’accès et snobs parce qu’elles se savent seules.

Pourquoi les opérateurs culturels ne sollicitent-ils pas les banques pour leurs projets ?
Parce que vous croyez que nous avons des banques au Bénin ? Nous avons surtout des caisses de dépôt. Ailleurs, les banques vous poussent à vous endetter. Chez nous, elles vous demandent d’étaler votre vie, des garanties, des avaliseurs et quand vous finissez de les produire, elles vous tournent en rond pendant des mois, voire des années. Si notre système financier était souverain, j’aurais conseillé à l’Etat de créer des banques culturelles comme il y a des banques agricoles et des banques de l’habitat. Bref ! Il n’y a aucune place pour les projets culturels dans nos banques. Croyez-moi, je sais de quoi je parle. Pour certains banquiers de chez nous, le mot culture est une incantation. Il faut le leur répéter vingt fois pour qu’ils l’entendent. Mais encore, il faut prier pour que quand vous sortez de leurs bureaux, ils ne jettent pas votre dossier à la poubelle. Peut-être ne suis-je pas encore tombé sur la bonne. Mais croyez-moi, j’ai fait le tour. Excepté les institutions financières régionales qui sont sous une tutelle politique, nos banques n’ont aucune considération pour la culture.

Est-ce à dire que pour ces banques commerciales, la notion d’industrie culturelle est un leurre ?
Ont-elles seulement conscience de leurs carences ? Vous savez, l’ignorance est partout. Dans leur esprit, les artistes ne sont pas des gens sérieux. Il y a trop de risque à leur prêter de l’argent. C’est tout. Elles ne veulent même pas étudier les dossiers. La question est : ont-elles les compétences requises pour examiner un projet culturel… ? Je ne pense pas.

C’est normal qu’une banque ne bouge que sur la base d’une garantie de rentabilité du projet qu’elle finance.
Oui et non. Oui, mais la non satisfaction des conditions émises par la banque ne doit pas entraîner de facto le blocage du projet. Parce qu’aucune entreprise ne dure si elle n’est rentable. Or, tout entrepreneur veut que son entreprise soit pérenne. Non, parce que la rentabilité financière n’est pas toujours la finalité. Une banque est d’abord un partenaire qui travaille avec ses clients pour les amener à développer leurs activités en vue de faire des profits. Tout est question de cheminement. Les banques doivent peser plus que l’Etat dans l’instauration d’un environnement économique dynamique par leur capacité à accompagner les entreprises. Une banque est aussi un cabinet conseils, un partenaire et un assistant. Nous n’avons pas de tissu industriel dans ce pays parce que nos banques se limitent à collecter nos épargnes et à accorder des crédits aux petits commerçants, aux établissements d’import - export. L’occident est en train de sortir de la crise grâce aux banques. Tout le monde sait que plus il y a d’entreprises dans un pays, moins de chômage il y a, moins de tensions sociales il y a, mieux le pays se porte. La santé d’un pays au plan économique et social dépend en grande partie de la qualité des banques qui y opèrent.

Ces banques ne veulent pas prendre de risque.
Alors, elles ne méritent pas leur statut de banques. Ce sont des caisses de dépôt, des caisses d’épargne. Il y a des banques marocaines, nigérianes, sud-africaines etc. qui s’installent partout. Elles refusent de venir au Bénin parce qu’elles estiment que le marché béninois est déjà saturé. Il faut rappeler à l’ordre celles qui sont là et si elles n’entendent pas raison, les foutre dehors. C’est tout.

Vous pensez que l’Etat devrait les recadrer ?
Tout à fait ! Je crois même qu’elles savent ce qu’elles ont à faire. Ce sont toutes des banques internationales. Elles ne le font pas pour différentes raisons. La plus répandue est que l’environnement des affaires au Bénin n’est pas sain. Cela, nous le déplorons tous. A ce niveau, oui, l’Etat a un rôle à jouer. Mais j’insiste : il n’est pas normal que les banques qui contribuent à la création de la richesse ailleurs contribuent à l’aggravation de la pauvreté chez nous.

Ces banques contribuent à l’aggravation de la pauvreté chez nous, dites-vous ?
Absolument ! Et je suis poli en parlant ainsi.
Comment ?
En refusant de jouer entièrement leur rôle, en refusant d’accorder des crédits aux entreprises ambitieuses, en collectant nos épargnes et en les sortant du pays, elles aggravent la pauvreté chez nous. Il faut le leur dire. Le Bénin n’est pas un terrain d’expérimentation des méthodes et des théories apocalyptiques, un pays de non droits pour quelque privilégié que ce soit.

Vous êtes en colère… ?
Je ne suis pas le seul. Vous avalez ça, vous ? Faites un sondage dans le pays, vous verrez.

Vous l’avez dit tantôt, ’’l’environnement des affaires dans notre pays n’est pas sain’’. Cela justifie la méfiance des banques vis à vis des projets culturels, vous ne le pensez pas ?
Pas du tout ! Il ne s’agit pas de méfiance mais de "foutage de gueule", si vous me permettez cette expression ! Nous ne devrions pas admettre pour normal un système d’appauvrissement de nos pays. Tout le monde peut brandir des prétextes pour ne pas jouer son rôle. On appelle cela de l’anarchie.

Vous croyez vraiment que les banques contribuent à l’appauvrissement de nos populations ?
Je viens de vous le démontrer. Attention ; je ne dis pas que tous nos problèmes viennent des banques ou encore qu’elles sont à la base de nos misères. Je dis et j’insiste : elles ne jouent pas leur rôle. Il y a des banques qui sont installées chez nous depuis trente ans ; allez leur demander leurs chiffres d’affaires annuels et combien d’industries elles ont contribué à mettre en place chez nous depuis qu’elles sont là. Demandez leur si elles en sont fières et où passent les gros bénéfices qu’elles font sur notre dos.

Les banques fonctionnent comme ça partout, non ?
Non. C’est faux. Elles ne peuvent même pas se le permettre. Nos banques sont des banques tropicalisées. Allez sur le net. Comparez les taux d’intérêt qui sont appliqués chez nous et ceux appliqués en Europe ; vous remarquerez que la distance entre les deux est infinie, que leurs modes de fonctionnement sont totalement différents.

Le contexte pèse aussi.
Sans doute ! Mais à quel point ? Pourquoi ces banques contribuent au développement ailleurs et à l’aggravation de la pauvreté chez nous ? Pourtant, pour la plupart d’entre elles, ce sont les mêmes qui sont propriétaires des banques en Europe qui sont propriétaires des banques au Sud. Ils se rachètent entre eux et se passent notre argent entre eux. Je pense que c’est surtout une question de responsabilité.

Responsabilité aussi de ceux qui les laissent faire… comment expliquez-vous cela, monsieur Alédji ?
Vous, vous voulez me faire dire des choses graves. Permettez-moi de ne pas vous satisfaire sur le comment et le pourquoi. Je le dis et je le répèterai partout : les banques contribuent à l’aggravation de la pauvreté chez nous, point.

Pour revenir au sujet principal de notre entretien, l’investissement dans la culture, quelles sont les chances pour que les banques reconsidèrent le secteur culturel comme étant un secteur d’activités viable et donc rentable ?
En l’état actuel, aucune chance ! Zéro chance ! Aucune. Rien. Il ne faut rien espérer. C’est bouché.

Vous êtes dur ?
Réaliste. La bonne foi et les bonnes intentions ne remplacent pas des mécanismes archaïques dont le fonctionnement ne répond qu’à la logique du profit et de la garantie du profit. Or, la culture a contre elle des préjugés néfastes vieux de quelques siècles. Et il n’y a pas que des banquiers qui répandent ces préjugés et ces clichés, nos autorités aussi.

Que faut-il faire pour changer les choses, les faire évoluer dans le bon sens ? Avez-vous des propositions à leur faire ?
Ecoutez, que des banques pensent à faire des bénéfices, oui. Cela est normal. Cela peut se comprendre. Mais ce n’est pas leur unique raison d’être. Admettre qu’elles rejettent entièrement le secteur culturel de leur champ d’action sur la base des préjugés est inacceptable. Une banque digne du nom ne doit pas préjuger de la rentabilité ou non d’un projet culturel. Elle ne peut le savoir que si elle compte parmi son personnel des spécialistes de ce domaine. Donc, je recommande aux banques d’offrir des stages de recyclage à leurs agents. Un projet culturel, ce n’est pas de l’import-Export. Pour votre gouverne, l’industrie culturelle est la plus rentable du monde, devant celle des énergies, des armes, et de l’immobilier. Le cinéma seul brasse autant de milliards que les deux dernières. Le droit d’exploitation d’un film est de trente ans et le cinéma est la seule activité au monde qui brasse la quasi-totalité des métiers pratiqués par l’Homme. Un banquier qui ignore cela doit avoir l’humilité de s’informer et de se former et non de jeter les artistes et leurs dossiers. Ensuite, nos autorités doivent contribuer à instaurer entre les acteurs culturels et les banques, un climat de confiance et de respect mutuel. Sans ces préalables, nous n’avons aucune chance d’y arriver.

Nous allons changer de sujet... Depuis toujours, les acteurs culturels réclament un théâtre national. Fort heureusement, la construction de cet édifice est annoncée dans le budget de l’Etat exercice 2014. Est-ce un ouf de soulagement ?
Oui. Un ouf de soulagement, mais pas un ouf de satisfaction absolue. Un ouf de soulagement, car cela fait très longtemps que ce projet est dans les tiroirs, depuis plusieurs régimes. Il faut donc féliciter le gouvernement. J’espère que ce projet va effectivement aboutir. Pour un pays comme le nôtre qui a une culture à quatre dimensions…

C’est à dire…
La dimension cultuelle, qui comprend le vaudou et nos traditions qui ont une forte attractivité touristique, il y a la dimension patrimoniale ; patrimoines matériel et immatériel, les palais royaux et nos sites touristiques, il y a la création artistique contemporaine elle-même et en dernier lieu, les industries créatives à travers l’artisanat d’art et tout ce qui relève de la propriété intellectuelle.

Vous disiez que pour un pays comme le nôtre… ?
Il faut loger tout cela dans des cadres et infrastructures appropriés. Je suis tenté de dire qu’il nous faut une dizaine de centres culturels publics. Mais ce que le gouvernement a fait est déjà louable et nous croisons les doigts pour que ce projet aboutisse. Une chose est d’annoncer un projet et une chose est de le concrétiser.

Vous le souligniez tantôt, il faut des infrastructures à la base pour propulser le développement de la culture, mais nous constatons que nos départements et nos communes ne disposent pas d’infrastructures pour jouer ce rôle. Que peut-on faire dans ce sens ?
Merci de me poser cette question parce qu’elle me permet de me répéter. Il est inadmissible que nos communes soient dépourvues d’infrastructures culturelles. Certaines administrations municipales n’ont même pas de conseillers culturels. Normalement, nos communes devraient avoir chacune, un théâtre municipal. Si ce n’est pas fait, c’est parce que nous n’avons pas pris nos responsabilités depuis soixante ans. Maintenant…

Selon vous, est-ce qu’on peut orienter le milliard culturel dans ce sens, c’est-à-dire dans la construction des infrastructures à la base ou il faut carrément un fonds spécifique pour ça ?
Il faut absolument préserver le milliard culturel de toutes démarches prédatrices qui pourraient lui être préjudiciables. C’est un fonds spécifique destiné à la production artistique et auquel n’ont droit que des créateurs ; sa vocation est d’insuffler de la vitalité à la création artistique au Bénin. La mise en place d’infrastructures culturelles à l’échelle départementale et communale relève d’un programme d’Etat que le budget national doit pouvoir supporter.

L’Etat n’a plus de ressources.
Vous rigolez ? Nous avons un budget national de plus de mille milliards de francs Cfa. Si l’Etat dégage ne serait-ce qu’un pour cent (1%) de ce budget en faveur de la culture, nous aurions suffisamment de ressources pour construire au moins un théâtre municipal dans chaque commune du Bénin. Nous avons 77 communes, si nous construisons un théâtre municipal par commune, nous aurions 77 théâtres municipaux. Cela veut dire que quand les artistes vont créer leurs spectacles, ils pourront jouer 77 fois au moins dans leur propre pays. Cela leur ferait 77 ressources de spectacles. Ils auront alors de quoi payer leur loyer, la scolarité de leurs enfants et ils pourront vivre comme cela se doit. Et ce faisant, les populations à la base pourront vivre en se cultivant et en se familiarisant à la création contemporaine produite par leurs artistes. Il y a donc une dynamique et une effervescence économique et culturelle qui se créent grâce à l’art. L’Etat pourra mettre en place après un mécanisme pour mesurer l’impact de son investissement dans la culture et l’apport de cette culture à l’économie nationale et donc, au développement du pays.

L’Etat a le droit de définir ses priorités en fonction de ses moyens et en tenant compte des urgences auxquelles il est confronté.
Vous parlez comme eux. Dans tous les cas de figure, l’Etat c’est l’Etat. Il doit faire face à ses responsabilités et à toutes ses responsabilités. Je dis bien à toutes ses responsabilités. Il n’a pas le droit de sacrifier les uns au profit des autres, d’abandonner les uns pour faire plaisir aux autres. Et votre question est le reflet de la mentalité de certains de nos compatriotes, et de certains de nos dirigeants. C’est la preuve que nous ne sommes pas prêts.

C’est-à-dire ?
Une très large majorité de nos gouvernants (ministres et chefs d’Etat) actuels et passés pensent qu’ils ont mieux à faire que de s’occuper de la culture. Ils confondent la culture et la distraction. Ils réduisent la culture à ce qui relève uniquement du spectacle. Quel mépris ! Incroyable ! Ce débat peut encore s’imposer ailleurs, mais plus au Bénin. Le Béninois est lui même un produit culturel.

Les gouvernants ont besoin du concret, des chiffres, des choses palpables, vérifiables.
Je vais être concret. Prenons juste la dimension artistique de notre culture : pour se développer, elle a besoin d’instituts et d’infrastructures qui sont des industries à forte capacité d’absorption de diplômés sans emploi et de chômeurs. Ce sont aussi des lieux de formation pour des jeunes déscolarisés et ceux qui veulent se spécialiser dans un domaine précis de l’art. Ensuite, ce sont des lieux d’accueil de manifestations artistiques, donc de rencontre avec les populations à la base qui en profitent pour se former et s’épanouir. Ce sont des lieux d’activités commerciales parce que le public paie les tickets d’entrée et achète les produits dérivés. Tout lieu culturel est un marché potentiel pour les professionnels du monde entier qui y viennent pour acheter un spectacle ou en proposer. Ces professionnels étrangers paient leur séjour : hôtel, restauration, transport. Un lieu culturel produit de l’information, donc renforce la visibilité, l’image, et l’influence du pays dans le monde. Les artistes qui se produisent dans ces lieux se perfectionnent et deviennent des porte-étendards de notre pays à travers le monde.

Bref ...
Je n’ai pas fini. Un lieu culturel participe à l’aménagement du territoire où il est érigé, il contribue à réduire l’exode des populations actives vers la capitale. Un artiste qui se produit régulièrement gagne bien sa vie. Derrière chaque artiste qui marche, il y a un groupe d’au moins cinq professionnels qui est bien rémunéré, une famille d’au moins cinq personnes qui vit bien. Etc. Je peux continuer.

Selon vous, on peut arriver à faire tout cela seulement avec 1% du budget national ; qu’attendez-vous pour le réclamer ?
Dieu. Nous attendons que Dieu vienne faire le travail à notre place.

Vous voulez dire… ?
Ce n’est pas une question de personne. Nous devons tous nous mobiliser pour que l’Etat dégage au moins 1% de son budget au profit de la culture. Ce n’est pas beaucoup, mais cela peut faire beaucoup de choses. C’est un combat commun, un idéal mobilisateur, populaire. Vous êtes aussi concernés, vous, professionnels des médias.

Vous défendez bien le secteur qui est le vôtre, avez-vous le sentiment d’être écouté par les autorités ?
Je ne m’en préoccupe pas. Chacun est dans son rôle. L’Etat sait que le secteur culturel est une chance pour notre pays. J’ai entendu le ministre de la culture le dire une ou deux fois. Le secteur culturel est le seul sur lequel nous pouvons encore exercer un tant soit peu le contrôle. Je parle de ’’nous’’ Africains. Les autres secteurs nous ont déjà échappés. Et rien ne se développe sans argent. Chaque Etat africain doit investir dans sa culture pour la développer mais surtout pour la préserver des mécanismes prédateurs mis en place par les mêmes qui nous dépouillent depuis des siècles. Des exemples de réussite sont sous nos yeux. Le secteur cinématographique américain est tellement fort financièrement qu’aujourd’hui, il influence la politique américaine et par ricochet la politique mondiale. D’un autre côté, vous observerez que nous sommes de plus en plus envahis par des ’’américaineries’’. Vous voyez des jeunes qui portent des tee-shirts trois fois plus grands que leur corps et des pantalons et culottes larges qui leur descendent des fesses, ce sont des influences de l’industrie culturelle américaine. Ne parlons plus de nos discothèques et boites de nuit. Que faisons-nous pour résister à tout cela ? Nous attendons Dieu ? Attendons-le.

Etes-vous déjà allé plaider avec ces arguments là devant le chef de l’Etat par exemple ?
Je ne vais pas au palais de la République.

Le ministre dont l’on vous dit proche est-il convaincu qu’avec 1% de son budget le Bénin peut commencer à sortir sa culture du gouffre et la rendre plus compétitive ?
Je ne peux certainement pas parler au nom du ministre. Mais vous imaginez bien qu’il ne peut être que d’accord avec nous.

En attendant que l’Etat prenne ses responsabilités, certains privés dont vous-même, ont commencé à installer des infrastructures culturelles. Est-ce à dire qu’ils sont accompagnés dans leurs initiatives ?
S’ils ne le sont pas, ils devraient l’être. Moi, j’ai la chance d’avoir l’attention des membres du conseil d’administration du fonds d’aide à la culture. Depuis quatre ans, Artisttik Bénin a régulièrement une subvention symbolique qui varie entre 3 à 6 millions par an. Inutile de préciser que cela ne fait pas le dixième de ce dont nous avons besoin. C’est à la limite du saupoudrage. Mais il faut l’accepter. C’est modeste certes mais, oui, l’Etat accompagne certains.

Accepter le saupoudrage ? La presse reçoit souvent des dénonciations, des scandales qui ont fait la une de certains journaux, le moins que l’on puisse dire est que le fonctionnement du Fonds est sujet à des contestations, non ?
Chacun veut sa part du gâteau. Le ’’gâteau’’ ; c’est ainsi que le fonds d’aide à la culture est perçu. A partir de ce moment, il y a toujours des mécontents pour lesquels les règles de partage sont contestables de toutes les façons. Vous me permettrez de ne pas m’étendre sur le sujet parce que je peux vous assurer que mêmes les associations qui, comme Artisttik Bénin reçoivent une petite part de ces fonds sont mécontentes aussi. Alors…

Justement, pourquoi ?
Pour prétendre à un soutien de l’Etat, il faut avoir fait ses preuves. Ce n’est pas normal de confondre les associations et les personnes qui les dirigent. Il me semble que les associations qui ont un siège et qui développent des projets durables comme la construction des espaces culturels devraient bénéficier d’une attention singulière ; elles devraient être conventionnées, c’est-à-dire qu’elles devraient recevoir une subvention annuelle équivalant à 60% au moins de leur budget de fonctionnement. A charge pour ces associations de produire des rapports et des justificatifs de la subvention qu’elles reçoivent de l’Etat. Celles qui ne jouent pas correctement le jeu ne sont plus éligibles à la subvention de l’Etat. Voilà comment ça se fait ailleurs. Ici, nous sommes dans la logique du ’’donner un peu à tout le monde’’ résultat, personne n’est content.

Parmi les promoteurs privés d’espaces culturels, il y a vous-même à travers le Centre Artisttik Africa. Comment êtes-vous parvenu à la création de ce centre ?
La création du centre Artistik Africa est l’expression d’une colère vieille de plusieurs années. Certains amis et moi avons fait le constat qu’il n’y a pas de lieux de rencontre, pas de destination pour nos créations si nous ne jouons pas le jeu des réseaux. Nous avons donc décidé d’agir.

Peut-on avoir une idée précise du coût de cette infrastructure ?
Je suis incapable d’être précis aujourd’hui comme j’ai pu l’être il y a trois ans. C’est un chantier que nous faisons évoluer dans la mesure de nos moyens. Je peux juste vous dire que faire un lieu comme celui-ci coûte extrêmement cher. Surtout dans un pays où les banques ne sont pas des banques. Le véhicule que je conduis actuellement a pratiquement 20 ans. C’est un véhicule d’occasion que j’ai acheté au port. C’est un choix qui n’est pas facile dans le contexte béninois caractérisé comme vous le savez par ’’des petiteries’’. Je suis même peiné de devoir m’arrêter à un seul centre. Croyez-moi, si je pouvais en faire dix, je les aurais faits, rien que pour faciliter la circulation des créations artistiques au Bénin et pour aider les artistes à mieux vivre de leur travail.

Est-ce qu’un centre comme le vôtre est rentable ?
Oui. Et sur tous les plans. C’est un investissement à long terme, donc la rentabilité en terme de l’argent frais et cash se fera aussi à long terme. Il n’y a pas que de l’argent en terme de rentabilité. Il y a aussi de la formation de l’esprit et de la pensée, cela n’a pas de prix. Il y a des débats qui se font et des œuvres qui naissent ici et qui vont à la rencontre du monde. On ne peut pas capitaliser tout ça. Il y a aussi ce que je considère comme le meilleur des bénéfices. Nous sommes installés au cœur de Agla, l’un des quartiers les plus populaires de Cotonou. Depuis que nous sommes arrivés ici, il y a une vingtaine de maisons à étages qui sont construites, des routes nouvelles qui sont ouvertes. Nous avons donc contribué à la viabilisation de notre cadre de vie, à la transformation de notre environnement, tant mieux. Il y a de jeunes artistes qui naissent à Agla. Les effets démultiplicateurs de cet investissement sont sans limite. L’Etat ne peut pas nous payer pour ça, et pourtant, nous l’avons fait.

Faire vivre une infrastructure comme celle-ci, c’est une autre affaire. Faites-vous par exemple des recettes lors de vos activités ?
Oui. Absolument. La vente des tickets ne suffit nulle part à faire fonctionner un lieu culturel. Celui qui dit le contraire ment. Les recettes sont même parfois décevantes. C’est pour cette raison que nous développons à côté des salles de spectacle les résidences de séjour. Je vous rassure. Nous tenons le pari. Ce n’est pas facile mais nous sommes debout. C’est le principal.

Au vu de tout ce que vous avez dit, que peut-on faire pour propulser la promotion de la culture béninoise ?
Il faut davantage d’expertises avérées et de la bonne volonté au niveau des opérateurs économiques et financiers, les banques notamment. Ensuite, l’esprit de responsabilité chez nous-mêmes acteurs culturels et de la part de nos dirigeants. L’argent n’est pas tout mais l’argent est à la base de tout. Ce n’est pas seulement le nerf de la guerre, c’est l’objet de la guerre elle-même. C’est pour cela que je réclame avec tous les artistes, les acteurs et professionnels du secteur culturel 1% du budget national pour la culture. Si l’Etat nous dégage ce budget, nous, experts culturels, nous allons nous réunir avec notre ministère de tutelle pour élaborer un ensemble de programmes et de projets axés autour de la formation, de la production et de la diffusion. Les centres culturels municipaux seront construits et une politique de recrutement des chômeurs sera mise en place. Les fonds peuvent se révéler insuffisants pour construire 77 centres culturels municipaux en un an, mais on peut échelonner leur réalisation sur deux à trois ans pour couvrir les 77 communes. Si nous arrivons à tenir ce challenge, la dynamique culturelle au Bénin va étonner davantage le monde.

Votre mot de la fin.
Merci.
Propos recueillis par Isac A. YAÏ

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