Aujourd’hui, les Tic ont apporté une nouvelle forme de divertissement : les jeux vidéo. A 8 ans déjà, parfois moins, les enfants expriment une passion folle pour ces jeux au point même d’oublier leurs cahiers et d’abandonner les cours. Ces nouvelles pratiques qui gagnent en proportion, suscitent émoi et inquiétude dans le rang des parents et éducateurs. L’excellence souhaitée et la socialisation des enfants prennent-elles un coup avec ce type de divertissement ? Ces jeux initient-ils les jeunes apprenants à la violence ou contribuent-ils au processus d’enrichissement cognitif et culturel ? Voilà l’essentiel du dossier de cette semaine qui vous plonge dans le monde euphorisant des enfants ludiques ! Top chrono, la lecture commence…
« Avec leur puissance de calcul inédite, les consoles proposent un imaginaire, des graphismes, des scénarios comparables à ceux du cinéma. Sauf qu’ici le joueur est acteur. » Bénoît Bréville et Pierre Rimbert, tous deux du Monde Diplomatique ont ainsi planté le décor de ce qui pourrait constituer aujourd’hui la première distraction des élèves de Cotonou et environs. À l’entrée de cette salle de jeu de forme rectangulaire, on peut lire sur le fronton de la pièce : « Planète foot, QG. » Il s’agit, en réalité, d’une salle de jeux vidéo ouverte ce matin du jeudi 30 janvier à Mênontin, l’un des quartiers peuplés de Cotonou. Il sonnait 9h 15 minutes et déjà, la salle pleine à craquer. Une quinzaine d’écoliers âgés de 8 à 15 ans et quelques élèves adolescents du secondaire y sont installés. Aux quatre coins de la salle peinte en bleu-blanc, sont affichés les posters des équipes de Chelsea, Barcelone Fc, Arsenal et ceux des meilleurs joueurs africains évoluant dans les championnats européens. Du côté droit de la salle, se trouve un petit bureau contenant un desktop, un téléviseur écran plasma destiné au pilotage de la salle de jeux. Du côté gauche, sur une longue table, sont exposés sept postes téléviseurs, sept « Play Station 2 » PS2, un « Play Station 3 » PS3, un « Xbox », des câbles de connexions reliées aux téléviseurs, plusieurs manettes reliées aux PS et à l’Xbox. Les joueurs du moment sont tous en tenue kaki. Assis devant les écrans, les manettes en mains, ils affichaient une si grande concentration qu’il leur est quasi impossible de remarquer une quelconque nouvelle entrée. Même ceux qui ne jouent pas et observent les exploits de leurs amis sur les écrans n’accordent que quelques regards furtifs aux visiteurs supposés prendre part à l’ambiance de détente créée par les jeux. Sur leurs visages candides et innocents, on pouvait lire l’insouciance, l’envie de s’amuser. Les commentaires fusent de partout pour guider le joueur pendant que celui-ci, en fin connaisseur, lance de temps à autre : « Laissez-moi me concentrer ! Laissez-moi jouer ! ». Approchés, ces élèves sont unanimes sur le fait que les jeux vidéo les distraient énormément.
Rodolphe Fassinou, 13 ans, élève en classe de 5ème au Collège Martin Luther King et habitué du centre de navigation « le cyber du collège » a affirmé sans ambages : « Je joue les jeux vidéo pour me distraire. » Dans le quartier Kindonou, ce sont les apprenants du cours primaire des écoles installées qui fréquentent ces salles de jeux. Ulrich Dgiffa, élève au Cours primaire ‘‘Boileau’’, âgé de 10 ans, affirme qu’« il joue aux jeux vidéo parce que c’est intéressant ». Les terminologies distraction, divertissement, amusement, détente, rejet de l’ennui etc. sont reprises par bien d’écoliers et élèves rencontrés pour justifier leur comportement face aux jeux vidéo. En dehors des distractions que procurent ces jeux vidéo aux élèves du premier cycle, la plupart de ceux du second cycle trouvent qu’ils sont aussi instructifs et participent au développement de l’intelligence humaine. Roland Sèdami, 17 ans, élève en classe de Terminale au Ceg Vêdoko à Cotonou, se confie : « J’aime les jeux vidéo parce qu’ils me permettent de bien réfléchir et de vite décider. » D’autres considèrent ces jeux vidéo comme étant une source d’inspiration et de motivation pour le traitement de leurs exercices. Sylvestre Falola, 20 ans, élève en classe de Terminale D1 au Ceg Akpakpa centre déclare ceci: « J’aime les jeux vidéo car ils me permettent de mieux m’exercer en Mathématiques. Lorsque je joue et après je me mets sur mes exercices, je les traite bien. » S’ils se ruent tous les jours dans les salles de jeux vidéo, qu’est-ce qu’ils jouent concrètement comme jeux ?
Les jeux favoris des apprenants
Presque tous les apprenants ont reconnu que le football (pro 13 et pro 14) est leur jeu préféré, viennent ensuite les jeux de course et de combat et au bas de l’échelle, les jeux d’aventure. Quant aux promoteurs rencontrés dans plusieurs quartiers de Cotonou, ils témoignent que les élèves qui viennent jouer pratiquent à 95% le football et 5% pour les autres jeux. Assouna Sylla, promoteur d’une salle de jeux à Agla, affirme que « les gens viennent jouer dans son centre au football avec d’autres jeux tels que le cyclisme, la voiture, la boxe, le judo et quelques jeux d’aventure. » Déo Gracias Agbanglanon, un autre promoteur, soutient, pour sa part, que ceux qui viennent chez lui pratiquent le football et le « dragon Ball Z. » Adrien Tchibozo, chef suivi au collège Bon Berger site d’Ayélawagjè fait le même constat. Il remarque que c’est le football qui intéresse le plus grand nombre d’élèves : « les élèves se retrouvent parmi les joueurs et ils ont toujours leurs idoles. » Cette pratique du football se justifie par la prédominance du sexe masculin dans les salles de jeux vidéo avec un taux de 98%. Pour les promoteurs, le sexe féminin est rarissime dans les centres de jeu. Dans tous les centres de jeux parcourus, nous n’en avons d’ailleurs rencontré qu’une seule au quartier Mênontin. Certia Sogan, une fille de 12 ans en classe de 4ème au Collège Martin Luther King, n’a pas hésité à dire qu’elle joue pour se distraire et pour développer son intelligence.
Cette joie manifeste des apprenants à s’adonner aux jeux vidéo contrastent bien avec le souci quotidien des enseignants qui souhaiteraient des écoliers et élèves des résultats probants en classe. Les parents encore plus inquiets, veulent que le système éducatif leur forge des citoyens de type nouveau, droits et exemplaires, présents en classe au moment où il faut, et docile à la maison après les cours. Même si quelques-uns autorisent les jeux vidéo à leurs enfants, beaucoup sont encore sceptiques sur l’apport de ces jeux dans la quête de l’excellence et la socialisation des enfants.
Des parents divisés sur la question
Ces jeux ne facilitent toujours pas l’instauration d’une bonne ambiance entre les apprenants et leurs parents. Certains qualifiés d’extrémistes par des promoteurs de salles de jeux, vont congédier à coups de fouet leurs progénitures desdites salles de jeux vidéo. « Un parent très violent a blessé son garçon dans cette salle. Mon intervention n’a pu émousser la violence du papa », a confessé Anatole Dodjo, promoteur de salle de jeux vidéo à Zogbo. Ces parents évoquent la plupart du temps que leurs enfants délaissent les cahiers au profit de ces jeux qui les emprisonnent. En témoignent les scènes de sermons nourries par certains parents et auxquels assistent régulièrement Brice Cassano et Hervé Kolli, tous promoteurs de salles de jeux vidéo. A l’opposé, pour les parents qui acceptent le principe des jeux, ils ont eux-mêmes du plaisir à conduire les enfants vers ces salles et quelques fois jouent avec leurs enfants. D’autres mettent ces jeux à la disposition des enfants à la maison. Certia Sogan affirme : « j’ai ces jeux à la maison. Si je travaille bien en classe, papa me laisse alors jouer, mais si je ne travaille pas bien, il ne m’autorise pas à jouer. » D’autres encore se livrent aux jeux avec leurs enfants à la maison. Tel est le cas de Stéphane Sonon, responsable communication à la FSA. Il est à souligner que la pratique des jeux vidéo n’a pas d’âge, de limite encore moins de catégorie socio-professionnelle car, selon les promoteurs, les parents travaillant dans divers secteurs d’activités viennent jouer pour se distraire. Au niveau des écoles et collèges, les enseignants essayent de jouer leur rôle d’encadreur et de formateur pour éviter que les jeux prennent le pas sur le travail.
Sanctions pour les élèves indélicats
Dans les écoles primaires et collèges, des sanctions sont prévues aux écoliers et élèves qui abandonnent les cours au profit des jeux ou qui sont attrapés en flagrant délit. C’est le cas de cet enseignant du Cours primaire public Mênontin qui réprimande ses apprenants lorsqu’ils sont surpris dans les salles de jeux. Sabin Adoukonou, promoteur du centre de jeu « Tchéké » confirme le fait. Au cours secondaire, la répression se traduit par la diminution de la note de conduite suivie de la convocation des parents de l’apprenant fautif. Wenceslas Z. Azonyito, censeur des Cours de Soutien Scolaire sis à Akpakpa, informe : « Nous avertissons les parents dans l’immédiat et nous obligeons l’élève à mettre son cahier à jour avant le prochain cours. »
Les promoteurs sensibilisent les apprenants
Assouna SyllaLes promoteurs de salles de jeux se transforment en éducateurs et sensibilisent les apprenants. Dans la salle de jeu d’Assouna Sylla à Agla, des affichettes portant des messages de sensibilisation sont collées aux quatre coins du mur. On peut par exemple lire : « Excès de jeux nuit aux études »... « Votre réussite doit être votre première préoccupation »… « Le bonheur des parents est votre réussite scolaire. » etc. Certains vont plus loin en interdisant aux joueurs l’accès à leurs salles de jeux en période de cours. Hervé Kolli dit : « si la rentrée commence, j’interdis alors aux élèves de venir jouer. C’est uniquement les week-ends qu’ils y viennent. » Mais la question qui trottine les méninges reste l’utilité de ces jeux pour les enfants. Selon les spécialistes, le bien et le mal cohabitent dans ces distractions.
Double impact sur les apprenants
Selon le professeur Patrick Houéssou, enseignant au Département de Psychologie et des Sciences de l’Éducation de l’Université d’Abomey-Calavi, les recherches ont montré que ces jeux vidéo ont un double impact sur l’apprenant. Tantôt, ils rehaussent la concentration, éveillent l’esprit, aident l’enfant à se construire ; tantôt ils détruisent sa sociabilité, augmentent les risques de maladies et le dénaturalisent. Lorsque ces jeux sont utilisés sans mesure, ils impactent négativement l’enfant. Patrick Houéssou estime que ces jeux vidéo sont à l’image d’un couteau à double tranchant. « Ils sont supposés éveiller la curiosité de l’enfant, accroître sa réactivité, sa créativité mais le désocialisent aussi et développent en lui la violence, la cruauté et la méchanceté. Tous les jeux vidéo ne sont pas porteurs de messages éducatifs. »
En somme, la trouvaille des jeux vidéo dont la prolifération des salles n’est plus à démontrer, de nos jours, peut desservir l’apprenant s’il en abuse. Tout en éveillant la curiosité, la concentration et l’intelligence des apprenants, ces jeux embrigadent beaucoup parmi eux et les détournent de l’essentiel qu’est l’étude.