Il est fréquent de voir de plus en plus de femmes au foyer exercer des activités nocturnes, en l’occurrence les infirmières qui sont de garde, les hôtesses de l’air, ainsi que les femmes qui travaillent dans les supermarchés, stations à essence ou boutiques qui ouvrent/ferment tard la nuit, sans oublier les femmes des médias. Cependant, au regard des pesanteurs socioculturelles qui prévalent en Afrique en général et au Bénin en particulier, l’exercice d’un tel métier n’est pas toujours vu d’un bon œil par l’entourage de ces femmes, encore moins par leur belle-famille. Le sociologue Darius Vègba nous fait mieux appréhender le phénomène et les stratégies pour bien gérer les déconvenues familiales susceptibles d’en découler.
Comment notre société perçoit-elle l’exercice par une femme, en l’occurrence celle au foyer, d’un métier nocturne ?
Culturellement et traditionnellement en Afrique, et notamment au Bénin, la communauté a une perception péjorative de l’exercice par la femme d’une activité professionnelle. Puisqu’au départ, le rôle culturel dévolu à la femme était un rôle domestique. Elle était censée rester à la maison pour s’occuper de ses enfants, de son mari et des tâches domestiques (éducation, cuisine,…). Mais les conditions socio-économiques du monde évoluant, et les différentes luttes pour la promotion de la femme aidant, les femmes ont commencé à investiguer le milieu du travail économique de sorte à ne plus être limitées aux tâches conjugales. Quand on en vient aux métiers de nuit, les femmes qui l’exercent sont souvent sujettes à toutes sortes de suspicions dont la principale est qu’elles sont considérées comme menant une vie de débauche. La société a donc du mal à leur concéder qu’elles travaillent effectivement la nuit. Aussi, la plupart du temps, les époux sont très frileux de savoir leurs épouses ‘’dehors’’ (circonscrit à l’environnement professionnel de la femme).
Quel effet un tel métier pourrait produire sur la belle-famille de la femme active ?
Parlant de la perception de la communauté en la matière, on constate souvent des prises de position au niveau des parents de l’homme, puisque ce sont les premiers acteurs de la société qui sont plus proches de l’homme. Dans ce milieu, il y a donc beaucoup de pressions qui sont mises sur l’homme par sa famille qui lui force pratiquement la main pour amener sa femme à abandonner le travail nocturne qu’elle fait, parce qu’ils circulent autour de l’homme des informations tendant à faire croire qu’exerçant une telle activité, sa femme serait de mœurs légères. Ce qui traumatise terriblement certains hommes et amènent certaines femmes qui sont dans une telle situation à changer de métier pour sauver la vie de leur couple, et même à abandonner leur métier pour rester carrément à la maison. Mais ce dernier cas de figure n’est pas légion. Car quand la femme finit par abandonner son métier, cela redevient très pesant pour l’homme à bien d’égards, et principalement sur le plan financier.
Par quel biais le couple dont la femme a des obligations professionnelles nocturnes pourra éviter que les suspicions des parents de l’homme ne nuisent à leur union ?
Il n’y a pas de façon formelle un mécanisme que le couple peut développer pour amener l’entourage et en l’occurrence les parents de l’homme à mieux intérioriser le fait que leur belle-fille exerce un métier de nuit. Ce sont des actions individuelles et conjuguées qui pourront conduire à une meilleure acceptation du fait. En effet, si d’une part l’homme réussit à comprendre la légitimité et le bien-fondé du travail de nuit de son épouse, et s’il parvient surtout à lui faire confiance, l’harmonie et la quiétude pourront régner dans le couple. D’autre part, si la femme réussit aussi, malgré son travail de nuit, à s’investir comme il se doit dans son foyer et ne laisse aucune désorganisation se créer en son sein, du fait de son travail de nuit, ce dernier s’imposera de lui-même et sera mieux accepté par l’entourage du couple et notamment la belle-famille de la femme. Même s’il est vrai que l’on ne peut pas décréter de facto que le travail de nuit de la femme sera totalement accepté par ceux-ci, c’est le comportement du couple et surtout celui de la femme qui amènera ceux-ci à davantage accepter le fait. Si elle se montre exemplaire dans le foyer et dans la communauté, ça peut stimuler davantage et améliorer la perception de la communauté en général, et de sa belle-famille en particulier, sur son travail. Ainsi, si les couples qui se retrouvent dans une telle situation s’évertuent à bien faire fonctionner leur foyer de sorte à ce que maris et enfants ne soient sujets à aucune déconvenue du fait du travail nocturne des mères, l’entourage, la belle-famille et la société, comprendra la nécessité d’un tel travail et la valeur ajoutée qu’il apporte à l’amélioration de notre communauté toute entière. Car les métiers de nuit contribuent à la vie même de la société. Etant donné qu’il y a des professions qui, si elles n’étaient pas exercées la nuit (santé, sécurité,…), la société toute entière en pâtirait. De surcroît, à l’heure actuelle, la contribution des femmes dans ces milieux professionnels est devenue une évidence capitale pour que la société suive son cours normal.
Quelles sont alors les stratégies auxquelles le couple gagnera à recourir pour que règne durablement l’harmonie en son sein et autour de lui?
Dans les cas où l’homme comprend que céder à la pression de sa famille, et faire abandonner à sa femme son métier nocturne, a également d’énormes impacts négatifs sur le fonctionnement du ménage, il n’a pas d’autre alternative que de laisser sa femme poursuivre l’exercice de son métier bien que nocturne, et ce en dépit des pressions qu’il subit de la part de ses parents. Toutefois, il est important de signaler que dans certains couples, l’homme accepte de prendre en charge toutes les dépenses du foyer et même de payer un salaire à son épouse du fait qu’elle doit abandonner son métier et rester à la maison pour ne s’occuper rien que du foyer. Par ailleurs, dans certains couples, les hommes réorientent l’activité de leur femme quand elle est nocturne, beaucoup plus vers un petit voire un grand commerce de maison. Ils créent donc une boutique près du domicile qui permet à leur épouse non seulement d’exercer une activité génératrice de revenus, mais aussi d’être à proximité de la maison pour s’occuper aisément de son conjoint et de ses enfants. Ces cas sont de plus en plus rencontrés au Bénin et précisément à Cotonou. Il s’agit d’une stratégie intermédiaire que je recommande fortement et que d’ailleurs les hommes développent de plus en plus au lieu d’interdire à leur femme de travailler ; puisque cela va inévitablement peser sur les dépenses conjugales. Par ailleurs, il faut aussi indiquer que le problème est que les hommes redoutent surtout que leur femme travaille ; craignant qu’elle soit dépendante d’un employeur sur le plan hiérarchique. Car les hommes redoutent souvent que leur femme soit sous l’autorité d’un autre homme dans une administration que ce soit privée ou publique. Ils ont donc du mal à l’accepter, à plus forte raison quand il s’agit d’un métier nocturne qui ne permet pas à leur épouse d’être libre de ses mouvements pour s’occuper convenablement du foyer, en l’occurrence d’eux et des enfants. En créant donc à leur épouse cette boutique près du domicile, ils permettent à celle-ci d’être libre de manager son emploi du temps de sorte à assurer valablement ses fonctions de femme au foyer et de femme active. Mais il est important de souligner que l’homme doit nécessairement requérir l’avis de sa femme avant de recourir à cette solution palliative pour qu’elle n’ait pas l’impression que celle-ci lui a été imposée de façon unilatérale par son époux sous la pression de ses parents. Auquel cas, cela pourrait créer d’autres conflits au sein du couple.
