L’édition 2014 du « Classement mondial de la liberté de la presse » révèle l’impact négatif des conflits sur la liberté de l’information et ses acteurs. Le rang d’un certain nombre de pays est également affecté par une interprétation trop large et abusive du concept de la protection de la sécurité nationale, aux dépens du droit d’informer et d’être informé. Cette dernière tendance constitue une menace croissante au niveau global, dangereuse pour la liberté de l’information jusqu’au cœur des « États de droit ». Lire la suite
La Finlande conserve son rang de meilleur élève, en occupant pour la quatrième année consécutive la première place du classement. Elle est talonnée, comme dans la dernière édition, par les Pays-Bas et la Norvège. À l’extrême opposé, en queue de classement, le « trio infernal » réunit à nouveau le Turkménistan, la Corée du Nord et l’Érythrée, des pays où la liberté de la presse est tout simplement inexistante. Malgré les quelques rares turbulences qui ont pu les traverser en 2013, ces pays continuent de représenter des trous noirs de l’information et de véritables enfers pour les journalistes.
Le classement est établi cette année sur 180 pays contre 179 dans l’édition précédente. Nouvel entrant, le Bélize se situe d’emblée à une place enviable (29e). Les cas de violences envers les journalistes y sont rares. Quelques bémols cependant : des procédures pour « diffamation » assorties de lourdes demandes en réparation, des exceptions relatives à la sécurité nationale nuisibles à la bonne application de la loi sur l’accès à l’information publique (Freedom of Information Act), et une gestion des fréquences par le gouvernement parfois inéquitable.
Les conflits armés, fauteurs de chutes
Le classement 2014 souligne logiquement la corrélation négative entre un conflit – ouvert ou non déclaré – et la liberté d’information. Dans un contexte d’instabilité, les médias sont des objectifs et des cibles stratégiques pour les groupes ou individus qui tentent de contrôler l’information en violation des garanties apportées par les textes internationaux, en particulier l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels I et II de 1977.
Depuis mars 2011, la Syrie (177e, 0) incarne ce cas de figure à l’extrême, au point d’occuper désormais le rang de pays où la liberté de l’information et ses acteurs sont le plus en danger, aux portes du « trio infernal ». La crise syrienne apporte également son lot de répercussions dramatiques dans toute la région. Consolidant la ligne de fracture entre les médias déjà polarisés au Liban (106e, -4), elle incite les autorités jordaniennes à serrer la vis et accélère la spirale de violences qui minent l’Irak (153e, -2) où les tensions confessionnelles entre chiites et sunnites s’exacerbent. En Iran (173e, +2), acteur clé de la région, les promesses du nouveau président Rohani d’améliorer la liberté de l’information ne connaissent pour l’instant aucune suite. La couverture de la tragédie syrienne, tant par la presse officielle que par la blogosphère, est étroitement surveillée par le pouvoir, qui réprime toute critique à l’encontre de sa politique étrangère.
Les chutes du Mali (122e, -22) et de la République centrafricaine (109e, -34) illustrent également cette corrélation négative. Les guerres ouvertes ou intestines qui déstabilisent la République démocratique du Congo (151e, -8), tout comme les actions de guérillas et de groupes terroristes en Somalie (176e, 0) et au Nigeria (112e, +4) ne contribuent pas à améliorer leur classement.
L’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Égypte (159e, 0) à l’été 2012 s’est accompagnée d’une recrudescence d’exactions à l’encontre des journalistes, et d’une mise en coupe réglée des médias par la confrérie, stoppée net un an plus tard. Depuis le retour de l’armée au pouvoir, la « chasse aux Frères » concerne les journalistes égyptiens tout comme leurs confrères turcs, palestiniens ou syriens. Dans les pays du golfe Persique – en particulier les Émirats arabes unis (118e, -3) –, des acteurs de l’information sont arrêtés et jugés, accusés de liens avec la confrérie.
Face à la recrudescence de violences, la communauté internationale réagit enfin – au moins dans les textes. Le 26 novembre 2013, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté par consensus sa première résolution sur la sécurité des journalistes et sur la création de la Journée internationale contre l’impunité des crimes contre les journalistes, qui sera célébrée le 2 novembre. Cette résolution est sans conteste un pas supplémentaire dans la bonne direction. Elle vient compléter la résolution 1738 condamnant les attaques perpétrées contre les journalistes dans les situations de conflits armés, initiée par Reporters sans frontières et adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies en décembre 2006, ainsi que le Plan d’Action des Nations unies sur la sécurité des journalistes et l’impunité, adopté en avril 2012. Reporters sans frontières demande notamment la mise en place par l’ONU d’un groupe d’experts chargés d’évaluer le respect par les États membres de leurs obligations, en particulier leur obligation de protéger les journalistes, d’enquêter sur tous les actes de violence et de traduire leurs auteurs en justice.
L’information sacrifiée sur l’autel de la sécurité nationale et de la surveillance ?
Les pays qui se prévalent de l’État de droit ne donnent pas l’exemple, loin de là. La liberté de l’information cède trop souvent devant une conception trop large et une utilisation abusive de la sécurité nationale, marquant un recul inquiétant des pratiques démocratiques. Le journalisme d’investigation en pâtit parfois gravement comme aux États-Unis (46e), qui perdent 13 places. L’un des reculs les plus marquants, dans un contexte accru de traçage des sources et de chasse aux lanceurs d’alerte. La condamnation du soldat Bradley Manning ou la traque de l’analyste de la NSA Edward Snowden sont autant d’avertissements à ceux qui oseraient livrer des informations dites sensibles, mais d’intérêt public avéré, à la connaissance du plus grand nombre. La profession a été fortement ébranlée par le scandale des relevés téléphoniques d’Associated Press, saisis sans préavis par le Département de la Justice afin d’identifier l’origine d’une fuite émanant de la CIA. L’affaire a rappelé l’urgence d’une « loi bouclier » entérinant la protection des sources pour les journalistes au niveau fédéral. Le processus législatif réactivé en ce sens ne rassure guère James Risen, du New York Times, soumis par la justice à l’obligation de témoigner au procès d’un ancien agent de la CIA dans une autre affaire de transmission d’informations classifiées. Il ne saurait non plus faire oublier les 105 ans de prison que risque le jeune journaliste indépendant Barrett Brown, pour avoir partagé en ligne certaines données de la société de sécurité privée Stratfor, sous contrat avec le gouvernement.
Le Royaume-Uni (33e, -3) s’est illustré au nom de la lutte contre le terrorisme par des pressions scandaleuses exercées sur le quotidien The Guardian et par les neuf heures de rétention de David Miranda, compagnon et collaborateur du journaliste Glenn Greenwald. Les autorités des deux pays semblent mettre davantage de zèle à traquer les lanceurs d’alerte plutôt qu’à encadrer des pratiques de surveillance abusives qui sont autant de négations du principe de privacy, cher à leur culture démocratique.
La loi sur « les secrets d’État », adoptée par la Diète nippone fin 2013, ajoute davantage d’opacité à la gestion par le gouvernement japonais de sujets d’intérêt général tels que le nucléaire, la relation avec les États-Unis, érigés en autant de « grands tabous ». Les notions de « journalisme d’investigation », d’« intérêt public », et de « secret des sources » ont été passées par pertes et profits par les députés, très soucieux d’éviter au pays (59e, -5) de voir son image écornée par des informations embarrassantes.
La « lutte contre le terrorisme » est également instrumentalisée par des gouvernements prompts à qualifier les journalistes de « menaces à la sécurité nationale ». Des dizaines de journalistes sont emprisonnés sous ce prétexte en Turquie (154e, +1), notamment lorsqu’ils couvrent la question kurde. Le Maroc, où les autorités confondent volontiers « journalisme » et « terrorisme » depuis l’affaire Ali Anouzla, stagne à la 136e place. En Israël (96e, +17), la liberté de l’information est une notion vulnérable face à l’argument sécuritaire. Au Cachemire indien, l’Internet mobile et les communications sont suspendus dès que des troubles menacent. Dans le nord du Sri Lanka (165e, -2), l’armée règne en maître et ne tolère aucune entorse à la vision officielle du processus de « pacification » des anciens bastions séparatistes tamouls. Les pays de la péninsule arabique mais aussi les régimes autoritaires d’Asie centrale, apeurés par les soubresauts des « printemps arabes », renforcent la censure et la surveillance des médias, à l’affût de toute « tentative de déstabilisation du pouvoir».
Privatisation de la violence
Les groupes infra-étatiques constituent dans un certain nombre de pays la principale cause d’insécurité pour les journalistes. Les milices qui entretiennent le chaos dans la nouvelle Libye (137e, -5) ou les groupes armés yéménites liés à Al-Qaeda dans la péninsule arabique sont les visages de cette privatisation de la violence. Les milices Al-Shabaab en Somalie (176e, 0) ou le mouvement M23 en République démocratique du Congo (151e, -8) ont en commun de considérer les journalistes comme des ennemis. Les groupes djihadistes comme Jabhat Al-Nosra et l’État islamique d’Irak et du Levant (ISIS), désireux de contrôler les zones qu’ils « libèrent », s’en prennent violemment aux acteurs de l’information.
Ailleurs, et plus globalement, le crime organisé demeure une force prédatrice redoutable. C’est le cas au Honduras (129e, -1), au Guatemala (125e, -29), au Brésil (111e, -2) et au Paraguay (105e, -13), mais aussi au Pakistan, en Chine, au Kirghizstan ou dans les Balkans. Difficile voire impossible, à l’ombre de cette main criminelle, d’éviter l’autocensure à propos de sujets aussi sensibles que la corruption, le narcotrafic mais aussi l’infiltration des mafias dans les rouages de l’État. La passivité voire la complicité ou la complaisance de certaines autorités – parfois leur implication directe ou indirecte dans les crimes contre les médias – accentue l’impunité dont ces cartels criminels bénéficient et nourrit le cycle de violences qui s’abat sur les acteurs de l’information.
Les chutes remarquables
Outre la chute de treize places opérée par les États-Unis (46e, -13), toujours sur le continent américain, la chute vertigineuse du Guatemala (125e, -29) est due à une nette aggravation de la situation sécuritaire des journalistes, avec le doublement du nombre d’agressions par rapport à l’année précédente et quatre assassinats. La même tendance se vérifie au Paraguay (105e, -13), où les journalistes, déjà contraints à l’autocensure, ne cessent de recevoir davantage de pressions. Un professionnel des médias a été tué en 2013. Le pays avait déjà subi une lourde chute depuis le coup d’État de juin 2012, survenu trois ans après celui qui fit littéralement plonger le Honduras (129e, -1), lui- même enlisé dans le chaos postélectoral.
Sur le continent africain, les deux chutes les plus remarquables, au Mali et en République centrafricaine, sont dues à des situations de conflit précédemment évoquées. Au Burundi, alors que la campagne présidentielle se profile, une loi restreignant les libertés des journalistes a été votée par le Sénat. Au Kenya (90e, -18), la réponse autoritaire très critiquée des autorités à la couverture médiatique de l’attentat de Westgate s’ajoute aux initiatives parlementaires dangereuses – au premier chef, la loi, adoptée fin 2013, créant un tribunal spécial pour juger des contenus audiovisuels.
En Guinée (102e, -15), dans un contexte électoral marqué par de nombreuses manifestations, les journalistes ont été pris en étau entre la répression gouvernementale et des manifestants survoltés, rendant leurs conditions de travail dangereuses et difficiles. Plusieurs journalistes ont été blessés ou agressés au cours des manifestations.
Les mesures de censure et de blocage prises en Zambie (93e, -20) contre des sites d’information ont grevé le bilan du pays qui avait pourtant bien progressé au cours des années précédentes.
Enfin, dans les pays où les dirigeants au pouvoir depuis longtemps craignent les évolutions de régime, on assiste au traditionnel durcissement des politiques à l’encontre des acteurs de la liberté de l’information : poursuites en justice abusives au Tchad (139e, -17) ou multiples suspensions de médias au Cameroun (131e, -10).
Le Koweït (91e) subit une chute de 13 places qui reflète un certain raidissement et s’explique en partie par l’adoption d’une loi sur les médias qui permet aux autorités de condamner les journalistes à payer des amendes allant jusqu’à 300 000 dinars (environ un million de dollars) pour « critique envers l’émir ou le prince héritier » ou encore « déformation de leurs propos ». Le texte prévoit des peines pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement pour les journalistes qui offenseraient Dieu, les prophètes de l’Islam, ou encore les compagnons ou épouses du prophète Mahomet.
Ces évolutions spectaculaires ne doivent pas faire oublier la tragique stagnation du fond du Classement : année après année, le Vietnam (173e, -1), l’Ouzbékistan (166e, -1) et l’Arabie saoudite (164e, 0), pour ne citer qu’eux, n’en finissent pas de resserrer leur emprise sur l’information et savent adapter leurs méthodes de censure radicale à l’ère du numérique. Ceux qui ont le courage d’y résister sont promis aux châtiments les plus cruels. Au Kazakhstan (161e, 0) et en Azerbaïdjan (160e, -3), le pluralisme médiatique est en passe de succomber à la dérive répressive de dirigeants inamovibles.
Les améliorations notables de l’édition 2014 du classement
Les violences, les cas de censure directe et les abus de procédures ont eu tendance à diminuer au Panamá (87e, +25), en République dominicaine (68e, +13) ou encore en Bolivie (94e, +16) et en Équateur (94e, +25). Dans ce dernier pays, le degré de polarisation n’en demeure pas moins très élevé et souvent préjudiciable au débat public.
L’année 2013 a été marquée par quelques évolutions législatives louables, comme en Afrique du Sud (42e, +11) où le président a refusé de signer une loi jugée liberticide pour les médias.
En Géorgie (84e, +17), l’élection présidentielle de 2013 s’est déroulée dans un climat moins tendu que les élections législatives de l’année précédente, marquées par de nombreuses agressions et campagnes de haine visant des journalistes. À la faveur de la cohabitation politique puis de l’alternance, le pays rattrape une partie du terrain perdu ces dernières années à mesure que s’essoufflait l’élan réformateur du gouvernement Saakachvili. La forte polarisation du paysage médiatique représente cependant toujours un défi majeur pour l’avenir.
Israël gagne 17 places. Les conséquences de l’opération Pilier de défense de novembre 2012, qui avait fait deux morts dans les rangs des journalistes, avaient été prises en compte dans le classement 2013, ainsi que de nombreux raids conduits contre des médias palestiniens, et lui avaient alors coûté la perte de 20 places. Cette amélioration est donc à relativiser. La liberté de l’information reste soumise à l’argument sécuritaire. Si la presse israélienne bénéficie d’une liberté de ton, les médias situés en « territoire israélien » (selon la conception israélienne) doivent composer avec la censure militaire préalable et les « gag orders » (ordres de censure). Les enquêtes sensibles, touchant à la sécurité nationale, ne sont pas les bienvenues. Les exactions de l’armée israélienne contre les professionnels de l’information palestiniens et étrangers restent extrêmement fréquent es , notamment lors d es mani fes tati ons hebdomadaires devant le Mur de séparation. En novembre 2013, de nombreux photojournalistes ont été visés délibérément alors qu’ils quittaient les lieux de la manifestation. La Haute Cour de Justice a avalisé, le 4 décembre dernier, l’ordre de confisquer l’équipement de Wattan TV, confiscation intervenue lors d’un raid de l’armée en février 2012.
Le Timor-Leste (77e) gagne 14 places au lendemain d’un congrès historique de journalistes qui s’est tenu à Dili du 25 au 27 octobre, au cours duquel ont été adoptés le premier code déontologique et un Conseil de la presse composé de sept membres. La vigilance reste de mise. La loi sur la presse, actuellement à l’étude au Parlement, constitue le prochain défi de taille pour la liberté des médias dans le pays.
Des modèles régionaux à la dérive ?
L’évolution de certains pays dans le classement, symptomatique de leur approche de la liberté de l’information, n’impacte pas seulement leurs populations, mais également celles des pays voisins en raison de leur rayonnement régional et de leur influence sur d’autres États qui les regardent – à juste titre ou non – comme des modèles, des exemples à surveiller ou à suivre.
L’amélioration constatée en Afrique du Sud (42e, +11) s’inscrit à contre-courant des autres pays qui se posent comme des modèles régionaux, contraints à la stagnation ou en régression.
Accéléré par les effets de la crise économique et les poussées de fièvre populistes, l’éparpillement des pays de l’Union européenne dans le classement se poursuit. C’est notamment le cas de la Grèce (99e, -14) et de la Hongrie (64e, -7). En Grèce, les journalistes sont régulièrement victimes d’agressions par des membres d’Aube dorée, parti néonazi entré au Parlement en juin 2012. L’État hellénique tient aussi une grande part de responsabilité : en fermant le groupe d’audiovisuel public grec sous la pression de la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international), le gouvernement d’Antonis Samaras semble avoir fait l’économie de la démocratie. En Hongrie, le gouvernement de Viktor Orbán donne l’impression d’avoir perdu les valeurs démocratiques de l’Union européenne et enchaîne les réformes liberticides. Conséquence directe de l’érosion du modèle européen, l’Union a de plus en plus de mal à tirer vers le haut les pays candidats : les négociations d’adhésion ne se traduisent pas toujours par les efforts attendus sur le plan des libertés publiques. Pour exemple, la Macédoine, à la 123e position, n’a jamais été aussi mal classée.
Les géants du Nouveau Monde – États-Unis (46e, -13) et Brésil (111e, -2) – ne montrent pas non plus l’exemple. Le premier est déchiré depuis le 11 septembre 2001 par un dilemme entre impératifs de sécurité nationale et respect des principes du premier amendement. Le second est l’un des pays les plus meurtriers du continent pour la presse. L’insécurité est entretenue par les mafias et le crime organisé. Le « pays aux trente Berlusconi » est handicapé par un modèle médiatique qui fait obstacle au pluralisme.
Si la Russie (148e, +1) ne sombre pas plus bas dans le classement, elle ne le doit qu’à la résistance et l’opiniâtreté de sa société civile. En réalité, les autorités intensifient chaque jour la dérive répressive amorcée depuis le retour au Kremlin de Vladimir Poutine en 2012. Et exportent ce modèle à travers toute l’ex-Union soviétique. De l’Azerbaïdjan (160e, -3) à l’Asie centrale en passant par l’Ukraine (127e, 0), législations liberticides et système de surveillance des communications russes sont allégrement dupliqués. Moscou utilise également les instances onusiennes et des alliances régionales comme l’Organisation de coopération de Shanghaï pour son travail de sape des standards internationaux en matière de liberté de l’information.
À la 154e place, loin de ses aspirations régionales, la Turquie n’enregistre aucune amélioration et demeure l’une des plus grandes prisons au monde pour les journalistes. La révolte de Gezi a exposé au grand jour les pratiques répressives des forces de l’ordre, la progression de l’autocensure et les dangers du discours populiste du Premier ministre. Les échéances électorales et les inconnues du processus de paix avec la rébellion kurde annoncent d’ores et déjà une année 2014 déterminante pour l’avenir des libertés publiques.
La Chine (175e, -1) connaît une blogosphère d’une étonnante vitalité et de plus en plus mobilisée. L’ancien Empire du Milieu n’en continue pas moins de censurer et d’emprisonner les voix dissidentes, ce qui lui vaut de reculer encore d’une place. La nouvelle puissance utilise son poids économique pour étendre son influence sur les médias hongkongais, macanais et taïwanais et remettre en cause leur indépendance.
L’Inde (140e, +1) a été frappée par une vague de violence sans précédent à l’encontre des acteurs de l’information. Huit professionnels des médias ont été tués en 2013. Les journalistes sont fréquemment la cible d’une variété d’acteurs, étatiques et non étatiques. Aucune région ou presque n’est épargnée, même si le Cachemire et le Chhattisgarh demeurent les deux seuls États où la violence et la censure sont endémiques. Les groupes mafieux, les manifestants et partisans politiques mais aussi la police et les forces de sécurité locales se rendent tous coupables de menaces et de violences physiques à l’encontre des journalistes, trop souvent abandonnés par la justice et contraints à l’autocensure. L’ouverture exceptionnelle de la Birmanie, qui pourrait s’ériger en modèle de transition démocratique dans la région, s’était traduite par une forte progression du pays dans le classement 2013. Alors que le processus de réformes s’essouffle, le « modèle birman » doit encore faire ses preuves.
L’indice de la liberté de presse
en hausse
L’indice annuel de la liberté de la presse, inauguré lors du Classement 2013, confirme une dégradation, à l’échelle mondiale, de la situation du droit d’informer et d’être informé. L’indice passe de 3 395 à 3 456 (+61), soit une augmentation de 1,8 % qui révèle une légère dégradation globale de la liberté de l’information entre l’édition 2013 et l’édition 2014 du Classement mondial. Si l’année 2013 a été moins meurtrière pour les journalistes que la précédente, marquée par une hécatombe pour la profession, les agressions et menaces ont été plus nombreuses. La hausse de l’indice s’explique par l’évolution non seulement des exactions, mais aussi de l’ensemble des indicateurs utilisés pour compiler le classement :
— le pluralisme, c’est-à-dire la représentation des opinions dans les médias ;
— l’indépendance de ces mêmes médias par rapport aux différents pouvoirs politique, économique, religieux et militaire ;
— la qualité du cadre légal qui encadre les activités d’information ;
— la transparence des institutions qui régissent ces activités ;
— la performance des infrastructures qui les soutiennent ;
— le climat général dans lequel s’exerce la liberté d’informer.
Cet indice est un outil analytique de la performance globale des pays recensés. Le constat est sans appel : dans sa déclinaison régionale, l’indice montre que la situation se dégrade sur tous les continents, à l’exception de l’Asie, dont l’indice est stable. La zone Union européenne et Balkans obtient le meilleur score (17,6) suivie comme l’année passée des Amériques (30,3), de l’Afrique (35,6), de l’Asie-Pacifique (42,2) et de l’Europe de l’Est et d’Asie centrale (45,5). La zone Afrique du Nord et Moyen-Orient ferme la marche avec un indice de 48,7.
Indice annuel de la liberté de la presse : 3 456 en 2014 (3 395 en 2013)
· Union européenne et Balkans : 17,6 (17,5)
· Amériques : 30,3 (30,0)
· Afrique : 35,6 (34,3)
· Asie – Pacifique : 42,2 (42,2)
· Europe de l’Est et Asie centrale : 45,5 (45,3)
· Afrique du Nord / Moyen-Orient : 48,7 (48,5)