Ce jour, mercredi 19 février, cela fera 24 ans jour pour jour que le Bénin débutait les travaux de la Conférence nationale des forces vives qui a permis d’amorcer le processus démocratique. Un processus dans lequel les professionnels des médias ont également pris une part active. 24 ans après, certains d'entre eux s’en souviennent comme si c’était hier.
Par Josué F. MEHOUENOU
Sébastien Agbota (en tant que représentantde l’Association des journalistes du Bénin), Fidèle Ayikoué, Philippe Nseck, André Marie Johnson, Albert Kinhouandé, Clément Houénontin et Paul Haag de regrettée mémoire, Jean Adandé, Léon Brathier… en position de reporters. La Conférence nationale des forces vives de février 1990 ne s’est pas déroulée sans la contribution et l’accompagnement des journalistes exerçant dans les organes de service public à l’époque. De leurs positions respectives, ils ont accompagné le mouvement et vécu les moments forts qui ont jalonné ladite conférence pendant toute une semaine dans la salle de conférence de l’hôtel PLM Alédjo de Cotonou.
«C’était des moments pathétiques que nous avons vécus avec beaucoup de joie et d’anxiété », raconte Fidèle Ayikoué, alors en situation de reporter pour la retransmission en directe des débats sur la radio nationale. Celui-ci garde aussi de nombreux souvenirs de cette rencontre qui a permis au Bénin de tourner définitivement la page de l’autoritarisme militaire. «Le moment qui m’a le plus marqué, c’est le jour où on a déclaré la souveraineté de la conférence, quand j’ai vu les participants se lever et entonner l’hymne national. C’était émouvant pour tous ceux qui avaient assuré la tenue de cette conférence en raison des risques de récupération», se rappelle fidèle Ayikoué.
Le journaliste à la retraite Philippe Nseck, un de ceux qui ont couvert cet évènement pour le compte de la télévision nationale (la seule chaîne qui existait à l’époque), se remémore lui aussi les temps forts de cette conférence. «Aujourd’hui, il m’arrive de revoir un peu l’ambiance qui a prévalu et de revoir quelle était la portée de ce rassemblement. Je crois que ceux qui animaient cette rencontre avaient un souci. C’était de mettre un terme au totalitarisme, d’ouvrir le pays à un vent de liberté et cela a été l’élément sur lequel on a eu parfois peur que le régime qui était en place ne puisse pas lâcher du lest ».
Et c’est dans cette ambiance, rappelle Fidèle Ayikoué, que les reporters de la radio nationale, de la télévision nationale et du quotidien Ehuzu se sont essayés à relayer quotidiennement les travaux.
Leur souci majeur à cette époque, clarifie Philippe Nseck, était de faire en sorte que l’auditeur et le téléspectateur soient informés au maximum de tout ce qui se faisait au niveau de la Conférence nationale. «On s’est fixé comme souci d’informer et d’apporter toute la diversité qui existait dans les points de vue, en harmonie avec ou contre le régime en place. Le souci c’était de relater ce qui se faisait et de permettre à ceux qui n’étaient pas acteurs, d’être au courant de ce qui doit être décidé», indique -t-il.
La tension était si élevée que …
Les moments de tension et de frayeur qui ont jalonné la Conférence nationale de février 1990 sont encore présents dans les esprits. Peur, anxiété… Ces deux journalistes se souviennent encore de l’ambiance particulièrement difficile dans laquelle ils ont été appelés à faire leur travail. «Dans des conditions comme ça, on avait un peu de tout et tout ce qu’il ne fallait pas perdre, c’est la sérénité », commente Philippe Nseck.
Selon lui, la mission s’était révélée encore difficile, d’autant plus qu’il fallait ménager toutes les sensibilités et «faire en sorte que personne ne se sente égratigné, lésé ou indexé». Il fallait donc, selon lui, être pointilleux et «mettre en pratique la déontologie».
Plus que de simples reporters, les professionnels des médias présents, aux dires de Fidèle Ayikoué, se sont révélés être des témoins authentiques de la tension constante qu’il y avait au cours des débats. Celui-ci raconte en effet que le seul combiné téléphonique de la salle de conférence était logé dans la cabine de presse. De sorte que tous les appels du président d’alors, le général Mathieu Kérékou en direction du regretté Monseigneur Isidore de Souza étaient réceptionnés par eux, avant même que ce dernier ne vienne communiquer avec lui.
Ces longs échanges entre les deux personnalités se terminaient souvent selon son témoignage, par des «camarade président, je passe vous voir à domicile». Après quoi, les travaux étaient suspendus et le prélat prenait la direction du domicile du chef de l’Etat. Deux autres évènements majeurs, se souviennent ces deux journalistes, ont fait craindre le pire au cours des travaux. Il s’agit de l’envahissement des lieux par une horde de militaires armés et de l’adresse faite par le ministre de l’Intérieur de l’époque, à l’endroit des participants, leur demandant combien de portes de sortie avait la salle où ils se trouvaient, alors que ceux-ci sollicitaient la fin du régime autocratique.
D’autres déclarations de certains participants pro-marxistes faisaient également craindre le pire, confessent-ils. Mais le plus grand moment de la rencontre, c’est selon eux l’instant de la déclaration de la souveraineté de la Conférence nationale et la spontanéité avec laquelle l’ensemble des délégués présents, se sont levés pour entonner et exécuter l’hymne national. La fatalité venait ainsi d’être vaincue…
Quels acquis pour les médias et la liberté ?
Même si la plus grande victoire de la Conférence nationale des forces vives de février 1990 a été gagnée au plan politique, sans aucun doute, la fin du régime marxiste et l’avènement de la démocratie, il y a eu également des acquis au plan médiatique. Au nombre de ceux-ci, Fidèle Ayikoué évoque quelques faits qu’il apprécie comme étant ceux qui ont «changé complètement le paysage médiatique » du Bénin dès les lendemains de cette historique conférence. Il s’agit par exemple de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, la loi organique de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), la mise en place de cette même institution…
Toutes ces choses, poursuit-il, ont permis aux médias de connaître un essor et il s’en est suivi une totale libéralisation du secteur des médias avec plus d’une cinquantaine de quotidiens, une soixantaine de radios et une dizaine de télévisions privées et publiques. «Le paysage médiatique se porte à merveille et des institutions comme le Conseil national du patronat, l’Union des Professionnels des médias du Bénin, l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias (ODEM) font un travail remarquable.
Nous disposons d’un code de déontologie, ce qui n’existait pas dans le temps», constate-t-il aussi. Et à l’heure des deuxièmes états généraux de la presse béninoise dont il sera l’un des communicateurs, Fidèle Ayikoué demeure optimiste quant à l’avenir des médias au Bénin et soutient même que des avancées s’observent.
Cette analyse est aussi partagée par Philippe Nseck pour qui, «le paysage médiatique s’est beaucoup amélioré».
La multiplicité des organes de presse, souligne-t-il, est l’un des acquis hérités de cette conférence qui a voulu que la parole soit libérée. Mais tout n’est pas encore gagné, selon lui, puisqu’au plan des libertés publiques, le Bénin semble amorcer un recul. Ce qui l’amène à soutenir qu’il y a encore «un travail concernant les libertés publiques pour permettre à chacun de pouvoir jouir de la liberté car, c’est la condition sine qua none de la démocratie ».
« Cette conférence nous a lancés sur une nouvelle orientation et nous essayons tant bien que mal de mettre les résolutions en application.
On avait besoin de passer par cette période. Mais j’ai l’impression que ceux qui nous dirigent aujourd’hui ne s’en souviennent plus. Il ne faut pas qu’on nous retourne à la période des années 89», exhorte le journaliste. Il dit aussi ne pas comprendre comment le régime en place qui avait pourtant su gérer les crises sociales en négociant des trêves avec la classe ouvrière lors de son premier mandat s’empêche, face à la tension actuelle, de refaire le même exercice.