A défaut de la version corrigée de la Liste électorale permanente informatisée (LEPI), le Parti du renouveau démocratique (PRD) propose que les élections municipales, communales et locales espérées depuis mars 2013 soient organisées sur la base d’une liste électorale ad hoc. Les députés de la formation politique de Me Adrien Houngbédji ont déposé à cet effet lundi dernier une proposition de loi dérogatoire. Cette proposition quoique pertinente, ne manque pas de soulever quelques inquiétudes en droit quant à son acceptation par la Cour constitutionnelle au cas où elle serait adoptée par l’Assemblée nationale
Par Thibaud C. NAGNONHOU
D’emblée revenons sur les motifs évoqués par le Parti du renouveau démocratique dans sa proposition de loi portant abrogation de la loi N° 2013-07 du 4 juin 2013 concernant la fixation du terme des mandats des conseils communaux, municipaux et locaux élus en 2008 et l’institution (à titre transitoire et dérogatoire à l’article 86 de la loi n° 98-006 du 09 mars 2000 et aux articles 4 et 6 de la loi n° 2007-28 du 23 novembre 2007) d’une liste électorale informatisée ad hoc pour l’organisation des élections des membres des conseils communaux et municipaux et des membres des conseils de village et de quartier de ville. D’abord, le PRD rappelle que la durée du mandat des membres des conseils communaux et municipaux et des conseils de village et de quartier de ville est normalement de cinq ans. Le mandat des conseils installés en juin 2008 est arrivé à terme en juin 2013. Les graves insuffisances de la Liste électorale permanente informatisée (LEPI) ont contraint l’ensemble de la classe politique à décider de la correction et de l’apurement du fichier électoral avant l’organisation de nouvelles élections. C’est ainsi que, poursuit le PRD, l’Assemblée nationale a voté successivement la loi N° 2012-43 du 28 décembre 2012 portant apurement, correction, mise a jour et actualisation du fichier électoral national et de la Liste électorale permanente informatisée (LEPI) et la loi N° 2013-17 du 22 avril 2013 portant dispositions transitoires dérogatoires à l’article 86 de la loi N° 98-006 du 9 mars 2000 et aux articles 4 et 6 de la loi N° 2007-28 du 23 novembre 2007. Après ce rappel, le PRD note que force est de constater que « la correction et l’apurement de la LEPI qui auraient dû être terminés avant la fin de l’année 2013, sont toujours en chantier, sans qu’il soit possible de savoir à quelle date les travaux s’achèveront, les fonds nécessaires étant soit indisponibles, soit débloqués au compte goutte, ce qui rend aléatoire et hypothétique la tenue des élections communales, municipales et locales, dans un délai raisonnable compatible avec la bonne gouvernance démocratique ».
La CENA au devant de la scène
« Au cas où la LEPI apurée, corrigée, mise à jour et actualisée ne serait pas disponible à la date du 30 avril 2014, la Commission électorale nationale autonome (CENA) devra réaliser, à titre exceptionnel et dérogatoire, une liste électorale informatisée ad hoc… » (article 3) de la proposition de loi. Les listes électorales informatisées ad hoc sont obtenues par l’inscription sur les listes électorales de tous les citoyens béninois remplissant les conditions prévues par la loi pour être électeur.
L’inscription se fera au moyen de l’informatique dans les centres d’enregistrement. L’inscription sur une liste électorale s’effectue sur présentation de la carte nationale d’identité, de l’acte de naissance ou du jugement supplétif, du passeport, du livret militaire, du permis de conduire, du livret de pension civile ou militaire. Selon l’article 5, « nul ne peut être inscrit sur plusieurs listes électorales. L’inscription sur une liste électorale est attestée par la délivrance d’une carte d’électeur dont la présentation au moment du vote conditionne la participation au scrutin. La carte d’électeur sera délivrée soit sur place, soit à la fin des opérations d’enregistrement. Cette décision est laissée à l’appréciation souveraine de la CENA. La carte d’électeur est personnelle et incessible. Elle est infalsifiable. Elle comporte un numéro de séries et une souche.
Le choix de la carte d’électeur infalsifiable relève de l’appréciation souveraine de la CENA. En cas de perte ou de détérioration de la carte d’électeur, le titulaire peut s’en faire faire un duplicata par la commission électorale communale (CEC) sur présentation d’un certificat de déclaration de perte signé du commandant de brigade de gendarmerie ou du commissaire de police territorialement compétent. Les opérations d’enregistrement et de délivrance des cartes d’électeur se déroulent dans chaque arrondissement sous la supervision du Coordonnateur d’arrondissement assisté du chef d’arrondissement ou de son préposé. L’enregistrement des électeurs est une opération d’inscription volontaire des électeurs potentiels âgés de dix huit ans au moins.
Il s’effectue sur présentation de la personne à enregistrer et donne lieu à la collecte sur support informatique et sur des fiches spécifiques des données nominatives et personnelles ci-après: nom et tous les prénoms dans l’ordre de leur inscription sur l’acte de naissance ou sur toute autre pièce en tenant lieu; nom et tous les prénoms du père; nom et tous les prénoms de la mère; sexe; date et lieu de naissance ; profession ; situation matrimoniale ; résidence habituelle (département, commune, arrondissement, village ou quartier de ville). Il est procédé sur place à l’affichage des listes d’électeurs potentiels enrôlés aux fins d’un premier contrôle par les citoyens.
La liste électorale informatisée ad hoc comprend : tous les électeurs qui sont âgés de dix-huit ans et plus; ont leur domicile dans le village ou le quartier de ville où ils sont recensés ; sont soumis à une résidence obligatoire dans le village ou le quartier de ville en qualité d'agents publics ; sont enregistrés et ne remplissent pas à la date du recensement électoral, les conditions d’âge ci-dessus indiquées, mais les remplissent le jour du scrutin et enfin les personnes rapatriées pour des cas de force majeure et remplissant les conditions prévues par la présente loi. « La liste électorale informatisée ad hoc est présentée par village ou quartier de ville, par arrondissement et par commune. Elle est subdivisée en lots de cinq cents (500) électeurs maximum par bureau de vote (article 12).
Les opérations d’enregistrement se déroulent de sept heures à dix-huit heures, sur une période de quinze jours effectifs.
Elles sont gérées par une équipe de cinq agents : un président, un préposé de l’enregistrement, un opérateur de saisie, un membre polyvalent; un représentant de la Majorité parlementaire et un représentant de l’Opposition parlementaire.
De la LEPI à la LEI ad hoc
A l’analyse du PRD, le report des élections communales, municipales et locales au Bénin prend les allures d’un report sine die. «L’organisation à intervalles réguliers des élections est un principe immuable de la démocratie qui confère d’ailleurs à celle-ci tout son sens », postule la formation politique présidée par Me Adrien Houngbédji. Il apparaît donc évident que le report d’une élection ne devrait jamais survenir, à plus forte raison un report sine die, car il constitue une entorse grave aux principes démocratiques consacrés dans de nombreux textes internationaux et nationaux. En outre, la situation de report sine die des élections communales, municipales et locales demeure une source potentielle de conflits dans un contexte national actuellement caractérisé par des tensions socio-politiques et une crise de confiance entre les gouvernés et leurs gouvernants tant au niveau national que local.
C’est donc au regard de la situation anormale et en raison de l’incertitude qui continue de planer sur la disponibilité prochaine de la LEPI, que le PRD a décidé de proposer une solution urgente et acceptable pour tous, afin que les élections puissent se tenir dans les meilleurs délais possibles.
«Cette solution doit suivre les orientations, entre autres, la fixation du terme au mandat actuel des élus locaux, la prévision, au cas où la LEPI corrigée ne serait pas disponible, d’une liste de substitution ad hoc. Il s’agira également de veiller à ce que cette liste électorale informatisée (LEI) ad hoc, à défaut d’être aussi aboutie que la LEPI, constitue une avancée démocratique par rapport aux listes traditionnelles de l’époque et garantisse la transparence des élections, transparence qui est le fondement de la décision de la Cour constitutionnelle DCC 10-049 du 05 avril 2010 », balise le PRD. Selon la proposition de ce parti, la réalisation de cette liste adhoc sera confiée à l’organe en charge de la gestion des élections, c’est-à-dire la CENA, afin d’éviter les cacophonies, dysfonctionnements et incohérences qui pourraient subvenir entre deux structures distinctes (COS/LEPI et CENA), avec pour conséquences des risques de piétinement qui ne permettraient pas de tenir les délais.
Selon la proposition de loi déposée sur la table du président de l’Assemblée nationale, les mandats des maires, des conseils communaux et municipaux et des conseils de village ou de quartier de ville issus des élections de 2008 prennent fin au plus tard le 30 juin 2014.
Les élections pour leur renouvellement se tiendront sur la base de la Liste électorale permanente informatisée (LEPI) corrigée conformément à la loi n° 2012-43 du 28 décembre 2012 portant apurement, correction, mise à jour et actualisation du fichier électoral national et de la Liste électorale permanente informatisée (LEPI).
Cas des citoyens sans acte de naissance
L’article 15 de la proposition de loi se penche sur le cas des citoyens sans acte de naissance. Ainsi, pour favoriser l’inscription de tous les citoyens en âge de voter sur la liste électorale informatisée ad hoc, il est prévu pour chaque entité administrative, l’ouverture d’un registre de requérants pour recenser les personnes n’ayant pas d’acte de naissance ou d’acte en tenant lieu. Ce registre de requérants doit prévoir la collecte d’informations relatives à ces personnes au sujet de leurs nom, prénoms, date approximative ou exacte de naissance, nom et prénoms des père et mère, éléments d’identification du domicile (nom du propriétaire de la maison, ancienneté dans la maison), profession, nom, prénoms et signature de trois (03) témoins parmi les personnes majeures ayant une bonne connaissance de la localité (chefs traditionnels et religieux, notables locaux, membres du Conseil communal, chefs d’arrondissement, membres du Conseil de village ou de quartier de ville).
Les registres de requérants d’arrondissement sont visés par le chef d’arrondissement et transmis, par l’intermédiaire du Coordonnateur d’arrondissement au tribunal de première instance territorialement compétent siégeant en audience foraine spéciale dans la commune. Le tribunal ordonne une enquête et statue dans un délai de sept jours à partir de la saisine. Le tribunal en audience foraine doit se munir de tout le matériel nécessaire pour rendre sur le siège, les jugements d’autorisation d’inscription des personnes concernées au registre d’état civil. La délivrance des actes sera faite sur place conformément aux dispositions de l’article 99 de la loi n° 2002-07 du 24 août 2004 portant Code des personnes et de la famille par l’officier de l’état civil et ses préposés dont les effectifs doivent être spécialement renforcés.
La délivrance desdits actes sera communiquée aux Coordonnateurs d’arrondissement compétents aux fins de l’inscription des intéressés sur la liste électorale permanente informatisée. Cette disposition règle surtout la question des témoignages souvent objet de polémiques en ce qui concerne leur maîtrise et leur fiabilité. Toutes choses qui crédibiliseront la liste électorale informatisée ad hoc une fois qu’elle sera effective.
L’équation Cour constitutionnelle
Justement parlant de l’effectivité de ce projet, il y a plusieurs étapes. D’abord celle de l’Assemblée nationale qui examinera et votera la proposition de loi. La plénière des députés peut l’amender et donner une nouvelle orientation à cette liste. Ainsi, la proposition de loi du PRD peut sortir de l’Assemblée nationale autre qu’elle y est introduite.
Outre l’étape parlementaire, il y a celle plus décisive de la Cour constitutionnelle. La Haute juridiction étant appelée à passer au peine fin cette loi dérogatoire à la LEPI une fois adoptée par les députés. Ce contrôle de constitutionnalité risque d’hypothéquer cette initiative électorale. En effet, dans l’une de ces décisions datant d'avril 2010, la Cour constitutionnelle avait martelé que les élections seront désormais organisées au Bénin sur la base de la LEPI. Toute autre liste électorale qui n’est pas meilleure que la LEPI n’est pas la bienvenue. C’est d‘ailleurs pour cette jurisprudence que la présidentielle et les législatives de 2011 ont été organisées sur la base de cette LEPI à polémique objet de correction aujourd’hui. On s’interroge sur les chances de la liste électorale informatisée ad hoc telle que proposée par le PRD pour permettre au Bénin d’organiser tout au moins les communales, municipales et locales attendues enfin cette année. Quoique meilleure à la liste électorale manuelle, la proposition du PRD sera-t-elle acceptée par la Cour constitutionnelle sans un revirement jurisprudentiel, étant donné qu’elle n’est pas mieux que la LEPI 2011 ? Autant d’interrogations qui font dire déjà que la proposition de liste électorale ad hoc du PRD bien que salvatrice aura de sérieux soucis du point de vue constitutionnel.