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Fraternité N° 3546 du 20/2/2014

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Le professeur Jean Marie Botchi au sujet des scarifications : « La scarification peut être considérée comme un marquage rituel, symbolique, d’appartenance ethnique ou d’initiation »
Publié le vendredi 21 fevrier 2014   |  Fraternité




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Jean Marie Gomino Botchi, socio-anthropologue, enseignant chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi, s’est prononcé sur la notion, les caractéristiques et la fonction des scarifications, ainsi que sur l’opportunité de perpétuer cette pratique.

Donnez- nous une clarification conceptuelle sur les scarifications ?
A l’origine, la scarification était une incision pratiquée sur l’écorce d’un arbre pour arrêter la circulation de la sève au voisinage des fruits. Au plan agricultural cela se pratiquait, cela s’observait.

Mais on peut aborder la notion de la scarification dans un sens médical, dans un sens chirurgical et les experts parleraient alors d’excision superficielle pratiquée pour provoquer un écoulement du sang. Mais pour ce qui nous concerne, sociologiquement, anthropologiquement, la scarification peut être considérée comme un marquage rituel, symbolique, d’appartenance ethnique ou d’initiation.

Pour ce qui est de l’appartenance ethnique, prenons garde de retomber dans l’ethnocentrisme qui est une conséquence du racisme. Le racisme étant une théorie de la hiérarchie des races, qui conduit à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement et de son droit de dominer les autres. Le racisme est ainsi un ensemble de réactions qui consciemment ou non, s’accordent avec cette théorie.

Le racisme peut également être considéré comme une hostilité systématique contre un groupe social. Mais ce n’est pas dans ce sens qu’il faut comprendre les scarifications. Et comme vous le voyez bien, on peut établir à partir de ces différents points, une typologie des scarifications. Donc, ce sont des aspects définitoires de la notion de scarifications, qui peuvent montrer déjà, que l’on peut effectivement établir cette typologie des scarifications.

Que peut-on retenir au plan anthropologique de la notion de scarification ?
Pour ce qui nous concerne, c’est la scarification dans son assertion anthropologique ou tout au moins ethnologique. De fait, les ethnologues considèrent que les scarifications sont une technique du corps.

C’est dans ce sens que les experts parlent en termes de blessure, de blessure symbolique. Ce peut être le symbole d’une initiation, d’une ethnie et même le symbole d’une race. Mais la notion de race, je ne conseillerais pas de la revisiter aussi facilement. Soyons très prudents.

Donc, il y a plusieurs contextes qui contribuent à la compréhension des scarifications. Ce peut être un contexte ludique, un contexte artistique, ou un contexte religieux ou même un contexte comme nous l’avons dit initiatique.

Dans un contexte religieux, donc initiatique, la scarification a sa fonction. Elle sert à quelque chose et il serait intéressant de promouvoir une étude sur les scarifications au cœur d’une initiation donnée, en s’appliquant à épingler les techniques et le symbolisme des scarifications. Voilà ce que je puis vous dire pour ce qui concerne la notion, la fonction des scarifications.

Quelles sont les caractéristiques des symboles en matière de scarification ?
Le symbole comme vous le savez comporte 3 caractéristiques. La caractéristique cosmique, la scarification en tant que symbole est quelque chose de naturel, quelque chose de cosmique, c’est visible. On peut y aller, on peut la toucher, on peut la voir, tout ça c’est dans sa dimension cosmique. Mais il y a une dimension langagière parce que la scarification se dit, elle se prononce, on dit voici une scarification.

C’est comme la médiatisation du langage. Et puis la troisième caractéristique, c’est sont caractère onirique, c’est-à-dire que le symbole en tant que élément du cosmos, en tant que élément dont on prononce le nom, renvoie à quelque chose qui est absent, qui n’est pas là, mais dont on se rappelle. La scarification comme symbole peut renvoyer à des aspects que vous ne maîtrisez pas. Quelqu’un peut porter une scarification qui symbolise des choses que vous êtes incapable de reconnaître, de définir, et c’est ça la force du symbole.

C’est ça la force d’un symbole comme la scarification. Un symbole peut être parlant pour quelqu’un qui est dans le contexte de cette scarification sans que cela intéresse d’autres. Et c’est dans ce sens que les scarifications peuvent encore intéresser aujourd’hui. Est-ce qu’il faut encourager ?

On constate aujourd’hui, une régression de la pratique de la scarification. Qu’est-ce qui justifie cet état de chose ?
Je pense que ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est que l’on insiste sur ce qui peut nous rassembler, nous unir. Si on parle de scarification comme objet de différenciation entre les hommes, entre les groupes ethniques, vous voyez la tendance de nos jours, ce n’est plus tellement cela, la tendance c’est de nous unir.

Alors, il faudrait peut-être envisager d’autres instruments pour nous unir davantage. Je veux dire que si les scarifications abondent dans le sens de ce qu’attend la société, alors elles vont se propager sans que l’on ne soit obligé d’embouché nulle trompette de publicité. Il importe donc de voir si les scarifications comme objet de différenciation s’imposent aujourd’hui.

Qu’elles abondent aujourd’hui dans le sens du design, de la recherche, des attentes, elles persisteront forcément. Néanmoins, n’y a-t-il pas en dehors des scarifications d’autres moyens peut-être moins visibles et moins somatiques, de marquer les différenciations ou tout simplement les différences, au plan artistique par exemple, au plan intellectuel, au plan scientifique ? C’est surtout au plan de l’homme, au plan de l’humain, au plan de l’amour, de la réconciliation des hommes et notamment au plan de la conscience que la communauté des hommes est attendue pour ce qui concerne le signe qui pourrait les distinguer.

Si vous voulez que je conclue, je dirai tout simplement qu’avec les scarifications se posent d’importantes questions, tout au moins des questions relatives à l’initiation, à l’identité, à la lecture du symbole, à la lecture de la symbolique des blessures intervenant sur la dimension sémantique de la personne, sa dimension corporelle.

Avec les scarifications, c’est l’accès à tout un champ symbolique qui se donne à lire, à comprendre et en tout cas à élucider. Personnellement, j’attends que d’autres études se réalisent sur le sens et la portée des scarifications. Pourquoi ne pas chercher à étendre cette étude aux tatouages. On aurait alors à faire à une toute autre problématique.

C’est néanmoins de thématique en thématique, de problématique en problématique, de questionnement en questionnement que s’édifiera davantage la science de l’homme, parce que cette question que vous posez s’insère dans le domaine des sciences humaines et sociales.

Les tatouages sont plus personnels. Les gens se disent tel ou tel symbole me plaît, parce que j’ai vécu ceci ou j’aime tel animal. Vous ne voyez pas qu’il y a une grande différence entre ces deux termes ?
Non ! Vous voyez que vous retournez au symbole ? Si le tatouage se fait plus parlant que les scarifications, tout cela, c’est ce que nous appelons les techniques du corps. Scarification, c’est beaucoup plus en profondeur, on taille davantage, on descend beaucoup plus dans le corps. Tatouage, c’est plutôt des marquages en superficie.

Mais si le message que l’on véhicule relève de la dimension langagière et si cette dimension langagière se comprend beaucoup plus aisément avec les tatouages, pourquoi ne pas aller aux tatouages. En tout cas, je ne le dis pas pour encourager le tatouage. C’est pour autant que l’on a un langage à transmettre, par les techniques du corps.

Il paraît qu’au plan initiatique, parfois c’est obligatoire de faire des scarifications. Qu’en dites-vous ?
Au plan des initiations, les scarifications s’imposent. Voyez par exemple, moi je me suis beaucoup intéressé aux scarifications dans le contexte vodoun et je me suis appliqué à épingler les 3 vodoun de l’aire culturelle Adja Tado : Le dan, le hêbiosso et le sakpata. Ce sont les 3 grands vodoun de l’aire culturelle d’Adja Tado, du moins pour ce qui concerne la région du Couffo.

Alors, constatez que c’est dans l’enclos initiatique qu’on en vient à scarifier les adeptes. On les scarifie et les scarifications varient d’une divinité à l’autre, selon que vous êtes sakpata, ou dan, ou hêbiosso, vous serez scarifié selon ce qui a été prévu pour chacun des éléments du panthéon. Je n’en dirai pas plus. Parce que pour le ‘’dan’’, combien de scarifications se pratiquent au front, au cou et sur les bras ?

Dites-le nous professeur ?
Ah ! Non. Je ne puis vous le dire comme ça. Mais les nombres varient. Je sais que les scarifications du sakpata sont les plus abondantes sur les corps des adeptes et c’est tout un message qui est véhiculé. C’est tout un message qui se trouve transmis par les adeptes et il faut voir dans quelle logique les scarifications se pratiquent, parce que les logiques peuvent varier. Ce peut être des scarifications différentielles et des scarifications dans une logique sociale : la logique initiatique, la logique de domination, de subordination, la logique de répression ou la logique de mort.

Vous savez que quand on entre dans l’enclos vodoun, c’est tout un processus, parce que l’initiation comporte selon les experts 3 phases : la phase de rupture avec le milieu existentiel, la phase du liminaire où se pratique l’initiation et s’il y a changement, c’est à ce niveau que cela s’opère et puis la phase de sortie qui correspond à une réintégration sociale. Et il y a un changement qui s’opère. Ce changement a un coût. Et l’un des aspects de ce changement, c’est peut-être ce qui se porte sur le corps. Mais lorsque les adeptes portent des scarifications sur leur corps, l’essentiel est plutôt qu’ils y comprennent quelque chose.

S’ils n’y comprennent pas grand chose, qu’est-ce que cela veut dire. Ce peut être une violence. Moi, j’ai connu des responsables d’enclos vodoun qui n’ont pas voulu mettre dans les enclos leurs fils. Ils n’ont pas voulu non plus, que l’on scarifie leurs enfants. Mais ils savent le faire pour d’autres, parce que cela comporte une dimension de violence.

Mais au delà de ces dimensions, à travers ce culte, est-ce qu’il y a des pouvoirs que les scarifications confèrent aux adeptes ?
Vous savez que la scarification est une manière d’ouvrir la personne. Ce sont des blessures qui se pratiquent sur le corps. C’est sous ce rapport que ça consiste en une ouverture, et donc ça peut s’ouvrir à tout, s’ouvrir pour des infections comme ça peut s’ouvrir pour des sublimations, tout dépend. Mais je pense que pour ce qui concerne les scarifications dans l’enclos initiatique, il ne me revient pas de trop insister sur la portée, les significations et autres. C’est toute une étude qu’il faudrait faire. Moi je me suis occupé du sakpata, du dan et du hêbiosso.

Parlez-nous-en ?
Je n’en parlerai pas ici. Rire.

Dites-nous tout de même ce que le béninois lambda peut savoir ?
Le dan par exemple a un symbolisme ambivalent. Le serpent peut être considéré comme une divinité qui procure la vie, comme on peut la considérer comme une divinité qui peut frapper de mort quand il est offensé. Je pense que les scarifications sont porteuses de toute cette évolution. Pour ce qui concerne le Sakpata, avez-vous jamais vu les adeptes de sakpata ? Vous voyez les formes de scarifications ?

Vous n’avez pas l’occasion de les comparer, cela vous projette vers la forme de la variole sur le corps. Mais tout dépend de ce qu’on a à faire. De quoi est-on responsable devant ces divinités ? Je pense qu’il y a un pan de recherche qu’il faudrait actionner à ce niveau. Je pense que chacun de nous, socio-anthropologues est invité à accroître la recherche dans ce sens.

Et pour ce qui concerne la divinité hêbiosso ?
Hêbiosso, c’est la divinité des réalités ouraliennes, le tonnerre en l’occurrence. Les scarifications dans l’enclos de Hêbiosso sont différentes de celles qui se pratiquent dans l’enclos de dan et de sakpata. J’insisterai sur la compréhension du symbolisme. Le chercheur ne peut se permettre de faire une lecture des scarifications sans avoir recours à ceux qui ont fait des marquages sur le corps des adeptes.

Mais, les risques liés à cette pratique, en termes d’infections et autres, ne suffisent-il pas pour y mettre un terme ?
Ça, c’est des risques passagers. Cela peut arriver qu’il y ait des infections. Mais je pense que les précautions sont prises dans les enclos initiatiques pour que ces conditions ne puissent pas prévaloir. C’est surtout le message véhiculé qui est essentiel. Il y a des adeptes qui portent bien leurs scarifications et qui en sont fiers parce que dans l’enclos initiatique, on les a déjà instruits de la signification de ces scarifications.

Peut-on dire aujourd’hui que la scarification au plan de différenciation ethnique a toujours la même portée, notamment au niveau des familles Hountondji ou Adjovi ?
Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion d’aborder les personnes portant les scarifications dans ces différentes familles.

Aujourd’hui, de moins en moins cela se voit. Et quand moi j’ai cherché à comprendre chez les individus relevant de la famille Hountondji par exemple, on a pu me dire que de nos jours, et surtout les parents m’ont dit qu’ils pensaient que cela ne s’imposait plus. Mais il faut faire une recherche et établir les statistiques.

Et éviter des études superficielles pour vraiment savoir combien aujourd’hui la prévalence de ces scarifications se constate. Est-ce que nous allons vers des groupes ethniques de personnes de plus en plus scarifiées où on insiste sur l’élément différentiel ou on va de plus en plus vers un certain anonymat ethnique pour promouvoir plus d’unité ?

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