Le rapport général de la Conférence nationale des forces vives de la Nation de 1990 s’est terminé par la phrase «Nous avons vaincu la fatalité ». Mais 24 ans après ces assises nationales et révolutionnaires, on se demande si cette fatalité est effectivement vaincue.
La conférence nationale visait à réconcilier la Nation béninoise avec elle-même. Est-ce le cas aujourd’hui où le régionalisme constitue le sport quotidien des responsables à divers niveaux ? Il y en a qui n’ont pas froid aux yeux à se l’approprier. A la fin du rapport général, le rapporteur Albert Tévoédjrè mentionnait :
«…Alors parce que nous avons juré de ne plus jamais humilier l’intelligence, parce que les chaînes sont brisées et que nous avons définitivement conquis le droit de parler au nom de l’Afrique, et des libertés fondamentales des hommes et des femmes de ce continent, parce que nous entrons désormais en partenaire majeur, dans un monde majeur, parce que la nuit s’est dissipée et que l’aube nouvelle rayonne…».
Des acquis qui aujourd’hui semblent ne pas être effectifs. Les libertés sont réprimées. Les droits de beaucoup de Béninois sont bafoués. Il y en a qui sont contraints de vivre loin de leur pays. 24 ans après la tenue de la Conférence nationale, le Bénin donne l’impression d’en vouloir une autre. Ceci ne fait malheureusement pas l’unanimité. Pour mémoire, relire le rapport général de Conférence nationale
RAPPORT GENERAL DE LA CONFERENCE NATIONALE DES FORCES VIVES DE LA NATION
(Présenté par M. Albert Tévoédjrè, rapporteur général)
Comme chacun sait désormais, à la suite de la session conjointe des organes centraux de l’Etat les 6 et 7 décembre 1989, une décision a été prise visant à libérer le pays de l’idéologie du marxisme-léninisme, visant aussi à une séparation du parti et de l’Etat, à la création d’une nouvelle structure gouvernementale, et à la convocation d’une Conférence Nationale des Forces Vives du Pays. L’actuelle Conférence qui s’achève est l’application de cette décision du 7 décembre.
Nous tenons immédiatement à dire notre très vive appréciation au Comité Préparatoire, à son Président, le Ministre Robert Dossou, à son Vice-président, le Ministre Pancrace Brathier, et à chacun de ses membres. L’œuvre accomplie justifie amplement leurs efforts, leur engagement et leur détermination.
Cette Conférence a réuni près de cinq cents participants, venant des horizons les plus divers (paysans, travailleurs de tous ordres, cadres de l’administration, partis et sensibilités politiques, associations de développement, organisations non gouvernementales, représentants des cultes, sans oublier des personnalités ayant exercé sur le plan national ou international des fonctions de premier plan).
Cette rencontre exceptionnelle a été largement amplifiée par la Presse nationale et internationale et particulièrement par les organes de radiodiffusion et de télévision qui ont accompli un extraordinaire effort et qui permettent ainsi au Peuple tout entier de participer à l’événement.
Les centaines de messages d’encouragement et de félicitation venant de partout à l’intérieur et à l’extérieur du Pays démontrent clairement, s’il en est encore besoin, la portée historique de cette Conférence.
Ajoutons que le Président de la République a été un participant régulier à la Rencontre qu’il a solennellement ouverte et avec laquelle il a été en contact à tout instant.
C’est sous votre présidence, Mgr Isidore de Souza, que cette Conférence s’est déroulée. Vous êtes avec nous entré dans l’Histoire décisive de ce pays.
Au nom de votre foi, de votre disponibilité profonde pour ce Peuple, vous avez conduit nos travaux avec une compétence sans égale, avec une impartialité jamais prise à défaut, avec une patience dont vous seul étiez capable. La Conférence entière, unanime, me demande de vous remercier et de vous dire nos vœux les plus sincères et les plus fraternels pour le succès de votre noble mission au milieu de nous.
Mesdames et Messieurs, que dire maintenant de l’atmosphère générale de nos travaux ? Quels grands problèmes ont été soulevés ? Quelles décisions capitales peut-on retenir ? Quelle vision avons-nous maintenant de notre destin ?
« Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie Et sans perdre un instant te mettre à rebâtir, Tu seras un homme mon fils… »
Tout observateur attentif auprès de vous ces derniers jours aura ressenti avec une intensité profonde qu’une Nation, qu’un Peuple plongé dans la nuit s’arc-boutait soudain autour d’un même radeau, ou d’une même chaîne, prenant appui sur sa dernière chance de survie et brisait ses liens, se libérait et sortait rayonnant le visage en larmes et en sang méconnaissable peut-être, mais définitivement vivant.
Vous vous attendez donc à ce que je vous dise dans ce rapport les piqûres d’épines ressenties, mais surtout les fleurs ensemble amassées. La première belle gerbe, c’est la Conférence Nationale elle-même.
Nul ne pouvait y croire. Chacun de nous ici a émis, ou partagé ses doutes et ses craintes, et même sa certitude qu’il s’agissait d’un piège, un de ces nombreux pièges que les pouvoirs en difficulté imaginent facilement pour reprendre leur souffle et poursuivre leur emprise sur des Peuples asservis.
Et pourtant, voici que soudain tout ce pays dans sa réalité profonde significative se retrouve en Etats généraux de la Nation. Voici que des hommes et des femmes qui ne se connaissaient peut-être pas dont certains se haïssaient, dont les intérêts s’opposaient, dont les souffrances s’excluaient, se retrouvent pendant des jours et des nuits pour crier ensemble leur espérance.
Qu’ils soient venus de Tounkountouna ou de Savalou, d’Avrankou ou de Comè, les participants à cette Conférence ont tous pris la mesure de l’événement en création et de l’Histoire qu’ils étaient appelés à façonner.
Et vous êtes donc tous d’accord, je crois, pour que j’affirme en votre nom à tous que la première constatation de votre Rapporteur général est que le Président Mathieu Kérékou en prenant l’initiative de ce rassemblement a certainement obéi à des contraintes économiques et sociales mais qu’il a de toute façon été l’artisan d’un événement majeur : la naissance d’une nouvelle République.
Monsieur le Président de la République, sachez que la Nation entière vous est reconnaissante pour cet acte de courage politique. Cette première constatation que nous devons relever se fonde sur une deuxième nécessité, celle des raisons profondes de notre rassemblement.
Qui ne se souvient de la triste histoire du jeune Abel qui nous a été rappelé ici même ? Qui ne se souvient que depuis ce temps, l’Humanité a gardé précieuse en elle la leçon qui fonde notre résurrection :
L’ŒIL DE LA CONSCIENCE
Souvenez-vous ; lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes, Echevelé, livide au milieu des tempêtes Caïn se fut enfui de devant Jéhovah Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva Au bas d’une montagne en une grande plaine Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine qui dirent : « Couchons nous sur la terre et dormons »
Caïn ne dormant pas songeait au pied des monts Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres Il vit un œil tout grand ouvert dans les ténèbres Et qui le regardait dans l’ombre fixement ». Caïn tenta tout, il marcha trente jours, il marcha trente nuits Il chercha un asile sûr : la grêve des mers, les tentes du désert, Une barrière de bronze, une ville énorme et surhumaine avec une enceinte de tours où l’on grave sur la porte :
« Défense à Dieu d’entrer ». L’œil n’avait toujours pas disparu. Alors le malheureux crut trouver la solution ; « Je veux habiter sous la terre comme dans son sépulcre un homme solitaire Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien ».
On fit donc une fosse et Caïn dit : « c’est bien ! » Puis il descendit tout seul sous cette voûte sombre Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre Et quand qu’on eut sur son front fermé le souterrain, L’œil était dans la tombe et regardait Caïn » Cet œil de la conscience, pardonnez que je l’évoque pour résumer le cheminement de votre argumentation, d’une argumentation sans faille que vous avez construite en trente années d’expérience, de patience et d’errements divers.
Vous avez dit et je le rappelle : « L’argent ne peut plus être notre maître », tournant en effet le dos à notre histoire et notre géographie, à nos arts, à notre habileté, nous avons refusé notre croissance à partir de notre être et de nos ressources. Préférant l’immédiat de quelques-uns au « moyen terme » de tous, nous avons choisi d’élargir épisodiquement le petit cercle des privilégiés et continuons d’étouffer les énergies du plus grand nombre. L’argent devenu notre maître nous dicte toutes nos extravagances, toutes nos faiblesses, tous nos abus. A cause de l’argent qu’il nous faut à tout prix, nous nous mettons en danger de n’avoir plus de culture authentique, plus de liberté, plus de respect pour rien, plus de famille.
Verrès et Cartilina surgissent de partout et il n’est même plus de Cicéron pour dénoncer les scandales qui s’accumulent. Néron plus arrogant que jamais s’est installé, ce qui veut dire l’heure des martyrs…. Nous nous sommes donc retrouvés assassins de nos propres valeurs. Abel disparu, nous ne pouvions plus dormir.
L’œil s’est allumé dans notre nuit de honte et nous a conduits à la Conférence des Forces Vives de la Nation.
Vous avez dit Mesdames et Messieurs, et je le rappelle, le Pouvoir ne peut plus être confisqué par quelques-uns pour l’écrasement des autres. Oh certes toute société doit s’organiser autour de quelques idées fondamentales. Elle doit se donner des dirigeants pour le conduire et servir les intérêts généraux.
Mais nous avons appris à nos dépens que tout pouvoir livré à lui-même devient fou. Nous avons appris que « l’autorité se fonde sur la raison – si tu commandes à ton peuple d’aller se jeter à la mer, il fera la révolution » Mais parce que le pouvoir facile nous a tentés, parce que nous y tenions à tout prix, parce que sans lui nous paraissions vides à nous-mêmes nous n’avons rien épargné : violences de toutes sortes, tortures, meurtres avoués ou non…
pourvu que nous soyons sûrs que nous sommes seuls à bord et que nous régnons. Nous avons oublié que « Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté, l’indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux Rois et de leur donner quand il lui plaît de grandes et de terribles leçons….
C’est ainsi qu’il instruit les princes, non seulement par des discours et des paroles, mais encore par des effets et par des exemples ». Là encore, l’œil de conscience s’est allumé et nous poursuit dans la tombe de nos épreuves. Vous me pardonnerez de ne plus rappeler dans les détails, les souffrances que vous avez longuement décrites.
Depuis les enfants dans la rue, les femmes devenues nos choses alors qu’elles sont nos mères et nos références de valeurs sûres, les travailleurs sans salaires et donc sans considération et sans avenir. Vous me pardonnerez de ne plus rappeler cela dans le détail puisque vous l’avez si bien dit et que chacun de nous en a eu le cœur bouleversé et l’esprit troublé au point que nous avons décidé de nous transformer en Etats généraux de la Nation, de proclamer sans ambiguïté la souveraineté de notre rassemblement et la force exécutoire de nos décisions.
Pourquoi cette révolution ? Cette révolution est fondée sur la vérité » la vérité qui suscite au plus timide front que son amour visite, une sereine audace à l’épreuve de tout. » Cette vérité est que nous avons eu mal, un peuple qui a mal et qui le ressent est un peuple en voie de salut, car, « Seul ce qui fait mal, très mal, saisit l’homme tout entier et accélère le processus d’irruption de l’esprit en lui »
Vous vous attendez donc que je vous rappelle ici vos décisions essentielles en ce qui concerne la direction des affaires de l’Etat. D’abord, vous voulez désormais un Etat de droit dans lequel le pouvoir est service. Vous voulez que l’autorité soit recentré en son sens essentiel « Autoritas » prendre les autres en charge pour les faire grandir.
POUR UN VERITABLE ETAT DE DROIT
Vous voulez un Etat de droit où le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire soient clairement séparés. Et voulez une presse libre et responsable. Vous voulez aussi que puissent s’exprimer et fleurir des mouvements associatifs, des coopératives dynamiques et productrices de biens. Vous voulez que les hommes et les femmes de ce pays aient le droit absolu et inaliénable à mettre l’intelligence au centre de leur vie.
Et vous avez bien voulu retenir ce mot d’un philosophe contemporain : « Quand l’intelligence déserte le forum, la médiocrité s’installe et tout finit en dictature ». L’intelligence et l’imagination au pouvoir, vous avez résolu d’en désormais l’axe de notre organisation sociale et politique. Vous voulez que les libertés fondamentales soient garanties pour tous et que nul ne s’arroge le droit de chosifier l’autre et de le mettre à genoux.
Notre peuple a souffert dans son histoire la tragédie de l’esclavage et de la condition servile. C’est donc par tragique inculture historique qu’aujourd’hui avec l’aide de spécialistes qui ont fait leurs preuves, des nègres se retrouvent torturant et tuant d’autres nègres. C’est par tragique inculture historique que des gouvernements indépendants organisent eux-mêmes la dispersion de leurs peuples à travers le monde, faisant de l’état de réfugié le moins anormal qui soit désormais en cet univers de violence et de haine.
Nos décisions dans le domaine politique sont nombreuses. Les rapports, motions et résolutions, seront tous retranscrits et publiés en temps opportun dans leur intégralité. Mais vous voulez que je vous rappelle l’essentiel. Nous avons décidé du changement. Nous aurons une nouvelle Constitution à soumettre au Référendum populaire dans les prochains mois. Cette Constitution consacrera un régime entièrement démocratique pour un développement fondé sur le travail, la liberté et la solidarité.
En attendant cette Constitution et les élections législatives et présidentielles prévues pour janvier et février 1991, une structure de transition a été mise en place. Sous votre autorité de Chef d’Etat, Monsieur le Président Mathieu Kérékou, un gouvernement sera installé, ayant à sa tête un premier ministre. Nous avons unanimement désigné Monsieur Nicéphore Soglo.
Cher Monsieur Nicéphore Soglo, si le Président de la République veut bien accepter les conclusions de nos travaux, vous serez dans quelques jours le Premier Ministre et le Chef du Gouvernement de notre pays.
Le Peuple béninois par ma voix et à travers ses représentants authentiques ici rassemblées vous apporte sa confiance et son soutien affectueux et déterminé. En cette période de turbulences économiques et d’ajustement structurel, nous savons que le navire est entre de très bonnes mains.
Pour réguler les opérations nationales qui s’imposeront ces prochains mois, il est institué un Haut Conseil de la République, dont le mandat est le suivant :
Contrôler le suivi des décisions de la Conférence Nationale ; Exercer la fonction législative notamment en matière budgétaire ; Contrôler l’exécutif ; Etudier les amendements qui seraient reçus après la popularisation de l’avant projet de Constitution ; Superviser les élections législatives et présidentielles, ainsi que le règlement du contentieux électoral ; Approuver l’avant-projet de Constitution ;
Assurer l’accès équitable des partis politiques aux mass-médias officiels et veiller au respect de la déontologie en matière d’information ; En cas de vacances de pouvoir, désigner en son sein et selon le cas un membre pour assurer l’intérim du Président de la République ou du Premier Ministre ;
Assurer la défense et la promotion des droits de l’homme tels qu’ils sont proclamés et garantis dans la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Une commission de rédaction de la prochaine Constitution est désignée, dont les travaux nous seront remis dans les toutes prochaines semaines. Notre ami, le Professeur Maurice Glèlè Ahanhanzo Conseiller juridique de l’UNESCO a bien voulu accepter d’y veiller personnellement. Enfin, un calendrier à la foi souple et précis permettra d’installer les nouvelles institutions à la date du 1er mars 1991.
Nous avons choisi de nous réhabiliter et de nous respecter. Parmi vos autres conclusions essentielles permettez-moi de relever votre attitude face à la question des forces armées. Ici, je ne vais pas révéler un secret d’Etat, mais je fais appel au souvenir des Présidents Hubert Maga et Justin Ahomadégbé lorsque nous entreprenions de négocier les termes de notre indépendance : le Général De Gaule avait dit à nos futurs Chefs d’état en une séance pathétique comment lui, militaire, percevait l’avenir de nos institutions, et il avait les plus grands doutes sur la manière dont nous pourrions utiliser les forces armées.
Sur ce point vous l’avez dit, la réflexion doit se poursuivre. Fort heureusement, les responsables de nos structures militaires viennent de prendre une décision qui fera d’eux dans le tiers-monde les annonciateurs d’une aube nouvelle. En décidant librement de se retirer de la gestion des affaires publiques, en faisant le choix d’une vie démocratique, notre armée vient de donner une leçon qui retentira loin, très loin, sur tout le continent. Notre rapport se devait de le consigner formellement.
Nous l’avons dit : le pouvoir, l’autorité, le gouvernement, c’est un service. Mais un service au bénéfice de qui et avec quels moyens ? Votre rapporteur général a retenu une idée essentielle émise par plus d’un : l’homme au centre du développement ; l’homme au cœur de la croissance économique et du partage des biens. Encore faut-il que nous sachions définir notre développement comme étant la maîtrise à partir de notre environnement culturel, des ressources et des techniques permettant la santé physique pour tous, la santé mentale pour tous et la santé pour tous.
Notre pays, le Bénin, traverse une crise économique et financière d’une exceptionnelle gravité. Y a-t-il des moyens d’y porter remède ? la réponse de cette Conférence Nationale a été sans ambiguïté : malgré ses lourds handicaps, ce pays est riche de potentialités ;
ce pays peut s’en sortir. Comment ? Vous avez sur ce plan souligné des réalités très concrètes. Ces réalités commandent d’observer que nous disposons de richesses intérieures fondées sur notre agriculture vivrière et commerciale ; que le Bénin est l’un des pays du Continent qui peut assurer l’autosuffisance alimentaire de toute sa population et exporter vers les pays voisins, notamment le Nigéria, non seulement le riz qui vient d’ailleurs, mais encore le maïs, le manioc, l’igname, cultivés chez nous ainsi que les produits de la pêche.
Déjà à l’intérieur de ce pays, en parcourant nos marchés, en observant la circulation sur nos routes, en notant les constructions entreprises dans nos villes par diverses individualités, bref en tenant une bonne statistique de l’argent dépensé par nous-mêmes dans l’espace national, il apparaît qu’un divorce existe entre les structures de l’Etat et ses moyens d’une part, et les structures des collectivités autonomes avec leurs propres ressources d’autre part.
Pour que ce hiatus soit corrigé, il faut une chose première : un comportement différent des dirigeants face à l’argent. Il ne s’agit pas de dire : « j’ai des milliards » ; ceci a peu d’importance réelle dans ce pays. Par contre, un comportement de frugalité et de solidarité est un exemple que notre Peuple attend, un exemple qui aura à coup sûr un effet multiplicateur.
C’est à partir de là que le changement s’opèrera. Regardez nos structures qui portent des valeurs, nos églises, nos temples, nos mosquées. Ces structures ne sont pas riches, elles n’ont sans doute pas des milliards, mais parce que nous croyons profondément qu’elles sont à notre service, qu’elles rejoignent nos soucis profonds, que sans elles quelque chose d’essentiel en nous serait brisé ou anéanti ces structures trouvent généralement les moyens d’agir et de servir la collectivité. C’est un exemple qui n’est pas probant en tous domaines, mais il éclaire le chemin.
Les ressources intérieures, c’est aussi une autre manière de gérer la chose publique. Nous n’avons pas les moyens d’administrer la société comme cela est la norme à Paris ou à Washington. Nos frères yoruba le disent : c’est la maison que l’on regarde avant de donner un nom à l’enfant. S’habiller à sa taille, se chausser à son pied, voilà la vraie sagesse.
Or les milliards que nous dépensons en pure perte parce que nous avons une administration aux méthodes inadéquates, parce que nous multiplions et gardons des structures ou des services inutiles, sont autant de richesses diverties de l’essentiel. Et il y a ces ressources inexplorées et disponibles immédiatement, comme il a été rappelé à cette conférence.
Les transferts de liquidité des travailleurs algériens vers leur pays à partir de la France, l’importance pour l’Israël des Communautés Juives de la diaspora, la solidarité des projets animés dans leur village par les portugais de l’étranger, voilà quelques exemples qui devraient nous éclairer….
LA DIASPOPRA : UNE SOURCE DE RICHESSE
Un million de Béninois au Nigéria un autre million dispersé entre le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon et la France, voilà une source de richesse qu’aucun gouvernement jusqu’à présent n’a vraiment organisée. Or ces hommes et ces femmes profondément attachés à leur pays d’origine ne demandent mieux que de contribuer à son relèvement pourvu que s’installe un régime qui suscite leur confiance. Une autre source de richesses, ce sont nos relations avec nos partenaires de la Communauté internationale.
Nous disons bien partenaires, il ne s’agit pas de mendier : il s’agit de construire ensemble, et cela est possible. Le Nicaragua a obtenu des organisations non gouvernementales une table ronde très originale, celle de la solidarité pour un développement authentique. Si nous sommes fidèles à nos engagements au cours de cette conférence, c’est un chemin que nous pouvons aussi emprunter en nous fondant sur des projets concrets visant la satisfaction des besoins immédiats de nos populations.
Les organisations non gouvernementales sont devenues un appui très puissant pour le développement. Elles sont religieuses ou laïques, et elles ont désormais dans diverses institutions internationales, des droits de tirage, des lignes de crédit, bref des possibilités d’appui directs qui doivent pouvoir nous servir immédiatement, notamment dans tout ce qui touche les services éducatifs, les services de santé, l’environnement urbain, le développement rural…
Certes, n’abusons de rien, et ne donnons à personne l’impression que la solution de nos problèmes sera facile. Ce que votre Rapporteur a retenu de vos délibérations, c’est que des réponses financières existent véritablement pourvu que nous nous attelions nous-mêmes à mettre en œuvre un programme national de redressement économique et social.
Vous vous êtes attachés à mieux cerner les contours du Programme d’Ajustement Structurel pour le comprendre et le mettre en œuvre, et vous savez désormais que ce programme est un concours qui nécessite un comportement d’adulte, une administration rigoureuse, des hommes compétents. Je ne veux pas insister sur d’autres axes importants des travaux de notre commission des affaires économiques.
L’excellent rapport d’Idelphonse Lemon qui nous a démontré ici sa compétence indiscutable en ce domaine sera disponible au cours de cette même journée. Le programme d’Ajustement structurel couplé avec le programme national de redressement économique et social nous mettra sur le chemin de la sortie décisive de la crise qui nous étreint et dont l’une des conséquences les plus graves est le sinistre qui s’est abattu sur notre système scolaire. Nos écoles sont fermées.
Des mesures urgentes sont attendues pour redéfinir notre école par rapport à la vie et à l’emploi. Notre école doit pouvoir satisfaire trois objectifs : formation générale, formation à l’emploi, formation du caractère. Elle doit pouvoir mettre le jeune qui en sort en relation avec un réseau économique pouvant le porter individuellement ou dans le cadre d’une coopérative de production.
ACCORDER UNE ATTENTION PRIORITAIRE A L’EDUCATION
En attendant que les états généraux de l’éducation que vous avez voulus, nous permettent d’appréhender une autre vision de la formation et de l’utilisation de nos ressources humaines, il nous faut agir pour des secours d’urgence. Ainsi, tous les élèves et étudiants en classe d’examens devraient recevoir une attention prioritaire au niveau de mesures exceptionnelles à imaginer sans tarder sur le plan national, et sur le plan possibilités de bourses étrangères que nous pouvons négocier dans les prochains jours, je dis bien dans les prochains jours, car nous n’avons pas le droit de sacrifier toute une génération en attendant l’aboutissement des négociations avec les syndicats.
Le prochain gouvernement devra prendre très à cœur la solution de cette préoccupation majeure dès la première minute de son installation. Notre commission de l’éducation, entre plusieurs propositions dont vous prendrez également connaissance avec attention, a mis un accent particulier sur la science.
Cela est très heureux. Les peuples qui se développent sont ceux privilégient la recherche scientifique et ses applications. Le Bénin Nouveau devra prendre très à cœur cette orientation pour créer un réseau de chercheurs éprouvés dans les domaines des besoins essentiels de la Nation. Ici la coopération internationale devra être utilisée judicieusement tant au plan des ressources que dans la mise en rapport avec les structures les plus performantes.
POUR LA DEMOCRATIE ET LE RESPECT DES DROITS DE L’HOMME
Mesdames et Messieurs, « le jour qui passe est passé, l’heure qui sonne est sonnée, demain seul reste et les après-demain ». nous avons perdu assez de temps dans ce pays ; nous avons perdu beaucoup de temps. Mais nous venons depuis hier de gagner un siècle, celui qui vient. Or ce siècle lui même peut encore nous échapper si nous manquons de vigilance et d’audace.
Vous l’avez dit vous-mêmes, rien n’est acquis ; et donc je vous remets en mémoire que je vous ai entendus en appeler solennellement à tous ceux qui vous écoutaient pour qu’ils défendent eux-mêmes leurs libertés et leur développement par les voies pacifiques que nous avons choisies. Je vous ai entendus leur rappeler de rassembler leurs énergies pour enfin promouvoir leur développement dans la solidarité d’un Peuple ressuscité. Je vous ai entendus en écoutant attentivement Patrice Gbégbélègbè et notre ami Mitobaba en appeler à tous nos amis de par le monde. Nous avons choisi en toute responsabilité un système de gouvernement fondé sur la démocratie, et sur un développement endogène et autocentré. Nous faisons ce choix en un moment où le monde entier vibre aux accents de la liberté. Récemment, le premier ministre français M .Michel Rocard et c’est encore vous qui l’avez rappelé, recevant les ambassadeurs de France réunis à Paris a tenu à souligner des choses essentielles qui ne peuvent nous échapper. Je cite Michel Rocard :
« Il n’y a pas de remède à des situations de crise économique et sociale qui ne procède d’abord d’une volonté politique, passant notamment par un approfondissement de la démocratie et du respect des droits de l’homme.
Ceci est vrai en Europe, ceci est vrai en Amérique Latine, mais ceci est vrai également en Afrique.
Il nous faut sans faiblesses rappeler à nos amis africains que la liberté de pensée, d’exprimer et d’agir – qui suppose un respect pointilleux des principes fondamentaux des droits de l’homme – est un facteur essentiel de développement.
Il serait de mauvaise politique de transiger sur l’essentiel : sans liberté, il ne peut y avoir de développement durable.
Le salut en Afrique, comme ailleurs dans le monde ne pourra émaner que du courage et du souci de vérité et de justice des dirigeants politiques. Les valeurs essentielles de la démocratie, de la solidarité et du respect des droits de l’homme sont leurs meilleurs atouts face aux défis des années futures »
Il nous plaît de souligner ces mots de Michel Rocard car nous étions déjà tenté de désespérer de nos amis et du monde un peu comme ces Polonais de naguère qui lançaient le cri resté fameux : « Dieu est trop haut et la France trop loin ».
Si je traduis bien les sentiments de notre assemblée et ses propos elle veut que je vous demande cher Monsieur l’Ambassadeur de France de transmettre au Président François Mitterand personnellement notre désir d’une coopération toujours plus franche et toujours plus étroite. Nous souhaitons et nous voulons qu’il accepte M. Mitterand d’être le premier garant du Contrat de Solidarité qu’ici nous avons négocié et scellé.
Cher Monsieur Pavlov, ancien collègue du Bureau International du Travail à Genève, et aujourd’hui Ambassadeur de l’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques en République du Bénin notre Conférence a plus d’une fois fait référence à la Pérestroïka. Nous y avons foi et nous vous prions, c’est le vœu de l’Assemblée de transmettre à Monsieur Gorbatchev notre sincère admiration et notre espoir que son succès sera aussi le nôtre auquel nous souhaitons qu’il contribue puissamment.
Mrs Ambassador of the United States of America, welcome to our Country. On behalf of this People, on behalf of this Assembly, a former fellow of the Harvard Center for International Affairs is appealling to you. Between the People of this America and the people of this land of Benin, there is a strong and deep sense of solidarity. We need you here as witness. We need you as a friend. Please convey to President Georges Bush our sincere hope that he will be with us in our struggle for freedom, democracy and development. Give us the tools which we miss today. Give us the tools and we will finish the job and we all will be proud of our common achievement.
Mr. Ambassador of Egypt, President Moubarak is today the respected Chairman of the OAU, we welcome his attention, we welcome his good offices if need be. We are confident that the OAU will help this country to live in peace through justice and democracy.
Distinguished representative of Nigeria, we are your direct neighbors, you cannot overlook our deep sense of complementarity with you. We are sure in this Assembly, that President Babaginda appreciates that if a new era opens in Benin, it is for Nigeria an opportunity for building in our region a stronger cooperation for benefit of our Peoples. Oh yes, together and certainly we will overcome.
Cher Monsieur l’Ambassadeur d’Allemagne Fédérale « der Mann hat einen grossen Geist und ist so klein von Taten ».
Nous avons pris de grandes décisions. Serons-nous en mesure de pouvoir toujours les tenir ? Les vents seront-il toujours favorables ? C’est pourquoi nous apprécions à sa juste valeur le symbole définitif de libération que signifie aujourd’hui la destruction du mur de Berlin. Nous savons ce que signifie pour l’Europe et pour le monde une Allemagne réunifiée. Cette leçon de ténacité et d’espérance que vous administrez ainsi à tout l’univers marquera notre temps. Notre conférence a voulu que je vous dise combien nous comptons sur vous pour que notre éveil et notre renaissance soient soutenus par la force de votre détermination et la lucidité de vos choix politiques.
Cher Monsieur Roduit, délégué de la Suisse, terre d’accueil et carrefour du monde, où nous avons appris qu’un peuple même divers peut vivre en harmonie et en solidarité. Notre Conférence sait que votre pays participe à notre à notre Programme d’Ajustement Structurel. Elle me demande de vous remercier et de vous priez de transmettre aux autorités de Berne notre espoir d’une coopération encore plus intense.
Quant à vous, Monsieur l’Ambassadeur d’ Algérie terre d’expérience qui a su maîtriser récemment le tournant démocratique, votre pays, nous le savons, nous sera d’un appui précieux pour réussir nos propres mutations. Enfin !
Dear Ambassador of Ghana, you are the Dean of the diplomatic corps in our country. We trust that you will with all your colleagues watch carefully whatever happens after this Conference. As you want us to succeed, please mobilize on our behalf the goodwill of all your colleagues and friends. We can not name them all, but through you, we certainly welcome their advice and their support.
Mesdames et Messieurs pardonnez je vous prie ce qui peut apparaître comme une digression dans un rapport de cette nature, mais vous avez voulu et vous avez dit je cite Mitobaba que nous devions prendre le Monde à témoin pour réussir le pacte qu’ici nous avons conclu. Nous en appelons donc clairement au droit et au devoir d’ingérence du monde entier. Nous en appelons au soutien de tous pour que nous sortions définitivement de l’abîme où nous sommes plongés.
Vigilance de notre peuple soutien de nos partenaires internationaux mais faisons aussi appel comme vous l’avez voulu à nos propres forces spirituelles. Je tiens à traduire l’inquiétude que cette assemblée a exprimée. Je tiens à traduire aussi son espérance et sa foi qui rappelle ceci que nous savons déjà :
« Celui qui met un frein à la fureur des flots sait aussi des méchants arrêter les complots ». je crains Dieu cher Abner, et n’ai point d’autre crainte. Parce que nous avons cette foi et cette espérance, je résume vos propos, en prière d’humble confiance : « Dieu de nos Pères, Dieu des innocents, nous te confions ce Peuple que tu as réveillé ; c’est vers Toi qu’il marche, en marchant vers son destin.
Dans ce nouvel exode arrête tout bras vengeur, éloigne tout imposteur, retiens tout criminel ».
Dimanche, lorsqu’ après toutes les invectives, tous les désaccords exposés, malgré toutes les souffrances et toutes et toutes les rancœurs accumulées, cette Assem -blée s’est ressaisie au chant de l’hymne national, nous avons vu Mesdames et Messieurs, nous avons vu, « la négraille assise inattendûment debout, debout sous le soleil, debout dans les cordages, debout à la barre, debout et libre ».
Monsieur le Président il n’y a pas de vent favorable à celui qui ne sait où il va. Vous avez voulu que je traduise nos convergences, je m’y suis efforcé sans vraiment toujours réussir à faire passer toute l’intensité du message. Mais je suis persuadé que chacun de nous, de Bertin Bona à Simon Ogouma, de Paulin Hountondji à Robert Dossou de Joseph Kèkè à Adrien Houngbédji, de Moucharaf Gbadamassi à Théophile Paoletti, du Président Emile Derlin Zinsou au Président
Mathieu Kérékou, nous avons décidé de tendre la main les uns aux autres . Cette Conférence veut avoir réussi à réconcilier la Nation avec elle-même. Tous les autres problèmes, si nous sommes fidèles aux décisions que nous avons prises, sont déjà résolus en puissance. Il serait tragique notre sort, le sort de tout ce Peuple soit celui de l’aiglon « de vouloir à l ‘histoire ajouter des chapitres, et n’être plus qu’un front qui se colle à des vitres ».
Alors parce que nous avons juré de ne plus jamais humilier l’intelligence, parce que les chaînes sont brisées et que nous avons définitivement conquis le droit de parler au nom de l’Afrique, et des libertés fondamentales des hommes et des femmes de ce continent, parce que nous entrons désormais en partenaire majeur, dans un monde majeur, parce que la nuit s’est dissipée et que l’aube nouvelle rayonne :
« Au travail mes amis ! » Nous avons vaincu la fatalité.