A force de côtoyer tous les jours l’innommable et le honteux, les Béninois sont devenus insensibles à tous les scandales. Ils ne peuvent plus s’indigner de rien. Il a fallu, par exemple, que CAJAF-COMON fasse l’objet de braquage pour que Sébastien Ajavon s’éveille au «désordre» qui a cours dans la gouvernance actuelle. Et de parler de la dilapidation des impôts payés par les citoyens honnêtes alors que l’Etat n’est même pas capable de les défendre contre des bandits. Ce coup de gueule n’aurait jamais été entendu s’il n’y avait pas eu le braquage de Djeffa qui le touche directement. La dernière fois qu’il a eu ce culot, c’était l’année dernière lorsqu’un redressement fiscal colossal a failli emporter sa société. Soit. Voici un sujet d’indignation qui laissera de marbre plus d’un citoyen. Dans l’indifférence générale, des milliers de jeunes sont obligés d’assister impuissants au retour des retraités dans l’administration publique. Ils y sont appelés par l’Etat pour suppléer le manque de cadres compétents, dit-on. C’est surtout dans l’enseignement secondaire que le ministre a émis un acte formel invitant les retraités à se mettre à la disposition des élèves. L’arrêté ministériel pris dans ce sens met l’accent clairement sur l’insuffisance d’enseignants compétents pour justifier la forfaiture. Dans certains ministères, des dizaines de retraités sont rappelés chaque année pour les mêmes raisons. J’en ai rencontré parfois qui trainent leurs bosses, fiers d’être appelés « doyens » et de jouer les donneurs de leçon. Et pendant ce temps, des milliers de jeunes diplômés croupissent dans le chômage, obligés de survivre dans l’enfer du quotidien. Ils sont fondés à croire que les anciens ont ourdi un complot contre eux. D’autant qu’aucune centrale syndicale ne peut les épauler dans leurs dénonciations désespérées. Elles sont presque toutes dirigées par des retraités. Dans l’enseignement supérieur, il existe à l’université d’Abomey-Calavi des départements qui, en plus de quarante années d’existence n’ont pas pu former localement plus de cinq docteurs. Non pas parce que les compétences manquent (c’eût été insultant pour l’intelligence des Béninois) mais parce que les dieux de là-bas ont peur de la concurrence des jeunes. Il a fleuri des méthodes proprement diaboliques visant à empêcher les jeunes d’avoir le fameux doctorat qui donne le droit d’enseigner à l’université. Il a fallu cette année la ténacité du recteur Brice Sinsin pour que les dinosaures autoproclamés soient obligés de partir effectivement. Contre leur gré. Parmi eux, des professeurs ayant passé le clair du temps à faire des cocsen-jambes à leurs étudiants pour les empêcher d’avoir le doctorat. La publication de la liste des enseignants retraités a pu créer des remous au sein de la communauté universitaire où l’on cultive avec raffinement l’art de la résignation et de la génuflexion. Or, ces dieux du campus sont tous issus du système éducatif occidental dans lequel les plus anciens poussent avec acharnement les plus jeunes à aller de l’avant parce que la valeur d’une université dépend d’abord de la qualité de sa recherche, du neuf qui y est insufflé toujours et toujours. Il y a longtemps que les Occidentaux ont compris que cette fraîcheur provient bien souvent d’esprits jeunes et dynamiques. Il faut au moins un siècle pour que les esprits en soient convaincus ici.
Il en est malheureusement de l’université comme des autres compartiments de la fonction publique. Il ne faut pas sous-estimer cependant les progrès réalisés ces dernières années dans le recrutement. Et si aujourd’hui le Bénin a largement crevé le plafond pour ce qui est du rapport masse salariale sur recettes fiscales, c’est bien à cause de ces recrutements anarchiques opérés pour faire face aux départs massifs à la retraite et aux besoins énormes du pays. Et c’est même en ayant un oeil sur cet équilibre mal assuré des finances publiques, que le ministère des finances freine des quatre fers pour empêcher de nouveaux recrutements. D’où alors les solutions proprement insultantes adoptées dans certaines administrations sous le fallacieux prétexte du manque de compétences. Ce qui manque ici, c’est le sens de l’anticipation et surtout la perte progressive du sens des réalités. Il y a comme une déconnexion plus ou moins prononcée des responsables vis-à-vis des problèmes réels des Béninois. Plus que tout, c’est cette insensibilité qui inquiète.