Face aux nombreuses tares que traîne depuis des lustres le système éducatif béninois dans tous ses compartiments, des actions urgentes méritent d’être menées pour le sortir de cette situation critique. Préoccupés, les acteurs de l’Institut international de recherche et de formation au Bénin (INIREF-Bénin) ont posé un diagnostic puis suggéré des solutions pour corriger les dysfonctionnements constatés.
Par Alain ALLABI
L’état du système éducatif béninois inquiète l’Institut international de recherche et de formation au Bénin (INIREF-Bénin). Pour les responsables de cet institut, le système éducatif béninois est en ruine. C’est ce qui ressort de l’état des lieux dressé, sans langue de bois, par ses acteurs à l’occasion de la célébration de la journée internationale de la langue maternelle en février dernier.
Le professeur Hounkpati B.C. Capo, président du Conseil d’administration de l’INIREF a mis en évidence les divers dysfonctionnements qui marquent l’éducation au Bénin. Après avoir reconnu les efforts infructueux engagés pour sauver l’école, le professeur mentionne plusieurs maux dont souffre le système éducatif dont les principaux sont le caractère inadapté des programmes d’enseignement, la rupture de l’école avec les aspirations profondes du pays, ainsi qu’avec ses valeurs linguistiques et culturelles. A ce sujet, il dénonce le caractère extraverti du système éducatif. Selon lui, l’éducation au Bénin est orientée vers les intérêts du colonisateur. Ainsi, l’enseignement au lieu d’être dispensé dans les langues nationales du Bénin, est plutôt essentiellement donné en français au détriment des langues des apprenants.
«L’école au Bénin a toujours exclu les langues nationales. A l’origine de l’école béninoise, était l’école coloniale qui interdisait, pour des raisons idéologiques évidentes, l’usage des "langues autochtones", même à des fins d’illustration», rapporte le professeur Hounkpati B.C. Capo citant les travaux d’un de ses collaborateurs sur la situation désastreuse de l’éducation. Faisant référence à d’autres travaux dénonçant le monopole de la langue française, il fera savoir que «les centres d’alphabétisation en langues nationales tombent en disgrâce morale par le jeu d’une concurrence linguistique internationale déloyale mais politiquement entretenue et masquée par des propos diplomatiques…».
Les conséquences, relève le professeur Capo, ce sont les échecs massifs aux examens depuis le primaire jusqu'au niveau supérieur, le taux élevé de déperdition scolaire et du chômage des jeunes.
Les approches de solutions de l’INIREF
Au vu de ces conséquences, le professeur Hounkpati B. C. Capo fait valoir que l’école béninoise doit être patriotique. «Les aspirations des peuples en matière d’instruction sont claires et mûres».
Les langues nationales doivent, à l’en croire, devenir des langues d’instruction et d’administration. Cela passe par la réorientation de l’école. Ainsi, il s’agit de faire en sorte que l’école béninoise rompe avec les ambitions du colonisateur en se mettant de façon courageuse au service du peuple. «Elle doit devenir un centre de recherche continue de solutions aux équations de l’existence du peuple», insiste-t-il. Pour ce faire, des actions méritent d’être menées, à savoir mettre fin à l’analphabétisme.
En d’autres termes, l’école béninoise doit constituer le levier de la liberté de produire retrouvée avec l’accès de tous à l’information scientifique. Cela implique, précise le professeur Capo, l’enrayement dans un bref délai de l’analphabétisme qu’il estime comme une plaie et un fléau.
Se voulant plus concret, le professeur Albert Gandonou, un autre défenseur des langues nationales, indique qu’il est également question d’organiser l’alphabétisation générale et massive des adultes.
Par ailleurs, les deux professeurs évoquent le forum sur le secteur de l’éducation de février 2007 qui recommande une expérimentation d’enseignement des langues nationales de façon simultanée dans tous les ordres d’enseignement dès la rentrée 2008-2009. Mais ils font le malheureux constat que rien n’a bougé dans ce sens. Dès lors, ils souhaitent qu’un rapport de démarrage soit fait pour voir si les clauses ont été respectées. «La réalité, c’est qu’il s’agit d’un projet de la francophonie…», ironise le professeur Capo avant d’ajouter avoir dénoncé cette façon chaotique d’introduire les langues nationales à l’école.
La nécessité d’enseigner en langues maternelles
Soulignant le bien-fondé de cette approche, le professeur Albert Gandonou loue la richesse des langues nationales et se réjouit que les Nations Unies aient enfin compris l’importance des langues maternelles. Pour lui, les langues nationales du Bénin ont même valeur que la langue du colonisateur.
Ainsi, citant une pensée de Cheik Anta Diop, il fera observer que le jour même où un enfant africain met pied à l’école, il a suffisamment le sens logique pour comprendre le brin de réalité contenu dans l’expression «un point qui se déplace engendre une ligne». Pourtant, on se rend compte qu’il a du mal à bien réagir face à une telle notion. La raison, se désole le professeur Albert Gandonou, est qu’on lui apprend d’abord assez de vocabulaires en langue française, une langue étrangère. Pour que l’enfant parvienne à un tel niveau qui puisse lui permettre de saisir cette notion dans la langue étrangère, il lui faudra au minimum 4 ou 6 ans d’apprentissage. Mais il regrette que, depuis 1972, les langues nationales soient toujours à la porte de l’école béninoise sans pouvoir jamais y entrer. Alors, il demande que leur introduction dans les programmes d’enseignement se fasse en évitant les erreurs du passé.
Les dispositions pratiques
L’INIREF et ses acteurs préconisent que certaines actions soient mises en œuvre pour sortir l’école béninoise de l’ornière. D’une part, l’institut souhaite qu’une décision politique soit prise pour instituer, voire ériger les langues nationales comme langues d’instruction à l’école, langues d’administration et de justice dans leurs terroirs respectifs.
A ce niveau, le professeur Hounkpati B.C. Capo indique que les pouvoirs publics doivent instituer les débats parlementaires dans les langues nationales, instaurer l’obligation à tout candidat au poste d’administrateur de collectivités locales de savoir parler, lire et écrire la langue du milieu tout en décidant que l’administration des communes se fasse en langues nationales. Obligation sera aussi faite aux juges des tribunaux de s’alphabétiser en langues nationales pour que les populations comprennent les décisions qu’ils auront rendues dans leurs langues.
D’autre part, poursuit le professeur Capo, afin d’enrayer l’analphabétisme, des mesures doivent être prises pour qu’en trois ans maximum, cela soit effectif.
Pour ce faire, il faudra confier cette mission aux dizaines de milliers d’instituteurs qu’on aura formés dans leurs langues maternelles, quitte à eux de s’occuper de l’alphabétisation des adultes de plus de 15 ans. Au cours de cette période, les matériaux didactiques seront élaborés dans ces langues. En guise de motivation et d’émulation, le professeur Capo propose que l’Etat mette en place des prix annuels pour distinguer les meilleures productions littéraires et scientifiques. De même après ces trois ans, on devra procéder à l’instruction au niveau de l’école primaire dans les langues disposant déjà de matériaux didactiques tout en exigeant l’apprentissage d’une deuxième langue nationale afin d’assurer l’union et le brassage des langues nationales.
De façon pratique, le professeur révèle qu’au nord en plus de la langue de la localité (le baatonu, le dendi ou le waama), les apprenants du septentrion apprendront soit le fon, soit l’adja, soit le yoruba et vice-versa pour les apprenants du sud. Pour plus d’efficacité de ce système, le professeur Capo préconise que «les trois premières années soient entièrement en langues maternelles». Et ce n’est qu’en 4e année que l’élève prendra contact avec le français, comme langue étrangère.
Par ailleurs, une révision des programmes de formation en cours du primaire au supérieur s’impose en réexaminant leurs contenus pour les débarrasser des «relents coloniaux ou néocoloniaux qui font de nous des hommes culturellement aliénés sur notre propre terre». Poursuivant ses propositions, le professeur Hounkpati B.C. Capo envisage la généralisation d’une formation de type dual combinant formation théorique et formation pratique, du niveau primaire au supérieur.