Des claviers des ordinaires, nombre de cybercriminels, face à la chute de leurs activités ou du moins ce qu’ils considèrent comme telles, ont changé de fusil d’épaule. Restauration, habillement, boutiques de vente de consommables informatiques sont devenus leurs nouvelles occupations. Mais tous n’ont pas encore réussi la traversée du désert et certains semblent être condamnés à la misère.
Par Josué F. MEHOUENOU
Nuits chaudes dans la ville de Cotonou et dans certaines capitales de la sous-région, belles et grosses voitures, bijoux de valeur… la vie luxueuse, nombre de cybercriminels l’ont côtoyés et vécus grâce à l’argent facile, tiré de leurs activités illicites. Si hier, ils étaient pleins aux as, les choses ne sont plus aussi reluisantes actuellement pour les «Gaymen» comme on les appelle. L’argent facile s’est étiolé petitement, obligeant les «hommes du clavier» à se refaire une autre vie.
Trouver un autre emploi, une autre occupation pour faire face aux besoins qui sont les leurs et contenir le train de vie exorbitant hérité des saisons de vache grasse entraînée par la cybercriminalité.
C’est bien là l’énigme que tentent de résoudre nombre de cybercriminels ces derniers temps. Au nombre de ceux-ci, Wakil B., bientôt la quarantaine. Intermédiaire pour l’importation et la vente des pneus d’occasion au quartier Dégakon il y a quelques années, ses contacts avec des clients et amis nigérians l’ont très vite conduit vers la cybercriminalité.
Il y a passé cinq bonnes années et aujourd’hui, tente de négocier sa reconversion vers un autre secteur. Un exercice difficile, confesse-t-il, au regard de certaines habitudes prises avec le gain facile et la facilité dans laquelle il a végété pendant ces cinq dernières années. Mais l’âge et les impératifs de la vie ont eu raison de ce père de famille, marié avec trois enfants.
Aujourd’hui, c’est dans la vente en gros des produits de brasserie que l’homme se refait. Deux différents dépôts ont été installés par lui dont l’un géré par son épouse.
En réalité, confesse-t-il, il avait toujours eu un tel projet avant de virer dans la cybercriminalité.
Combien Wakil B. a-t-il pu engranger pendant les cinq années passées derrière les écrans d’ordinateur ? Difficile à dire. L’intéressé lui-même ne s’en souvient pas vraiment. Il a juste à l’esprit quelques «affaires juteuses» qui lui ont permis de se faire de «gros sous». Vaguement, il évoque des affaires dans lesquelles il a pu s’en sortir respectivement avec deux, trois, cinq millions.
La plus juteuse de ces affaires lui a dégagé un bénéfice d’environ douze millions de francs CFA.
Comme Wakil B., de nombreux autres cybercriminels ont tenté de reconstruire leurs vies, loin du phénomène gayman.
Emeraude Donoumassou lui, a opté pour l’habillement. Même s’il n’a pas vraiment raccroché avec ce qu’il appelle «la vente en ligne», ce jeune homme âgé de 25 ans est devenu vendeur d’habits. «C’est beaucoup plus pour servir mes amis et leur fournir des vêtements chics et chers que je me suis lancé», précise-t-il. Sauf que les deux activités battent de plus en plus de l’aile.
Ce qui obligera sans doute Emeraude Donoumassou à se pencher vers une autre activité. Mais laquelle ? Toute la question demeure à ce niveau, encore que la cybercriminalité ne lui a pas vraiment laissé le temps de poursuivre ses études universitaires, maintes fois relancées et à chaque fois abandonnées.
Contraints de subir les dures réalités de la vie active
Mataos (sobriquet) est pour sa part, tenancier d’un bar climatisé au quartier Vèdoko. Après plusieurs années passées dans ce milieu où gaspillage et dépenses folles sont les choses les mieux partagées, il a fini par «prendre conscience que la vie ne se limite pas aux filles, aux bijoux et à l’ambiance».
Raison pour laquelle, depuis près de deux ans, il s’est lancé dans une autre activité. Son bar climatisé, explique-t-il, est fréquenté en majorité par certains de ses compagnons d’infortune à qui la chance sourit encore derrière les claviers. Mais après un «business» qui a tourné au vinaigre et qui lui a fait risquer sa liberté, ce dernier, sur insistance de sa mère s’est résolu à changer d’activité.
Disons même que cet ex-cybercriminel qui roulait deux voitures de grande valeur à la fois n’avait pas vraiment le choix, face aux conditions qui sont devenues les siennes. Aujourd’hui, se contentant d'une moto Djènanan comme moyen de déplacement, il demeure nostalgique des temps passés, même s’il vit désormais sous l’orientation spirituelle de sa génitrice qui l’a contraint à renouer avec l’église. Nombreux sont d’ailleurs les cybercriminels qui ont vu leur vie basculer du jour au lendemain.
Nombreux d’entre eux ont pris par les maisons d’arrêt. Certains y séjournent encore. D’autres sont toujours en fugue, parce que recherchés par la police ou leurs pairs.
Mataos, comme la plupart de ses pairs n’a pas construit une vie de famille stable. En dehors de sa compagne officielle, mère de deux enfants, trois autres gosses issus de trois relations extraconjugales sont à sa charge et sont tous nés aux heures chaudes de son printemps cybercriminel.
En réalité, si nombre de "gaymen" se sont vus contraints à voir ailleurs, c’est parce que la cybercriminalité ne marche plus vraiment. La traque, les plaintes et les témoignages des victimes et même les sensibilisations ont fait leurs effets. De sorte que très peu de personnes peuvent encore se laisser avoir par les astuces de ces «escrocs du net». Lesquels rivalisent aussi d’ingéniosité pour réussir leurs manèges.
L’avènement des «mangeurs de chiots»
C’est la nouvelle trouvaille de certains cybercriminels pour se soustraire à la faim : vendre des chiots. C’est vrai qu’il s’agit toujours de l’arnaque mais à un moindre degré. Pour savoir de quoi cela retourne, nous avons été orienté vers Serge (nom d’emprunt), jeune déscolarisé, devenu un des leaders de ce type d’escroquerie.
Elève au Collège le Nokoué il y a quelques années, il aurait délibérément tourné dos à l’école en classe de 4e pour se lancer dans la cybercriminalité. Cette année, alors que ses congénères vont négocier le baccalauréat, «Avounlan» comme on l’appelle communément, a bâti sa réputation ailleurs. Depuis longtemps, pendant que les autres cybercriminels proposaient voitures, bijoux, lingots d’or, parcelles, maisons et autres biens de valeur à leurs victimes, Serge lui s’est spécialisé dans la vente des chiots.
En réalité, il ne s’agit pas de vente à proprement parler mais d’arnaquer les victimes en leur proposant des chiots de race. Les frais imposés autour de ce business sont si dérisoires que les victimes, parfois de jeunes enfants succombent facilement. Ces frais dépassent rarement 50 euros ou 50 dollars. Ce qui lui permet à lui et à sa bande organisée d’arnaquer selon leurs dires, parfois plus d’une dizaine d’individus par jour.
Ce qui leur vaut le nom de «mangeurs de chiots». L’un dans l’autre, tous ont vu leur train de vie dispendieux chuté. La plupart de ces personnes qui se la coulaient douce et aux frais de la princesse ont perdu du terrain et de la notoriété.
Juché, il y a peu, sur des cimes où ils jouissaient d'un bien-être apparent, ils reviennent peu à peu sur terre et font déjà face aux dures réalités de la vie active et des obligations familiales, après avoir vécu pendant longtemps dans le leurre et l’illusion.