La crise sociale générale qui sévit au Bénin depuis plusieurs mois, tire-t-elle vers sa fin ? Gouvernement et leaders syndicaux, au cours de la dernière rencontre du mercredi 12 mars 2014, présidée par le chef de l’Etat lui-même, ont encore posé des actes qui donnent à le croire. Dans ce dossier, votre journal fait le point de la situation.
La grève est maintenue
La rencontre entre Boni Yayi et les centrales syndicales tenue le mercredi 12 mars 2014 n’a pas entièrement comblé les attentes des partenaires sociaux. Les propositions de sortie de crise faites par le président de la République n’ont pas encore rencontrées la totale adhésion des partenaires sociaux. Ils ont simplement exprimé leurs sentiments d’insatisfaction face à ces propositions du Chef de l’Etat. Ils se disent déçus par le manque de décisions fermes prises par le Président de la République pour régler leurs revendications. En attendant la tenue d’une assemblée générale pour rendre compte à la base, elles ont réaffirmé leur détermination à poursuivre la grève.
Déception
« C’est la déception totale. La grève se poursuit. On était en grève avant que le chef de l’Etat ne décide de nous rencontrer. Malheureusement, il n’a pas donné une suite favorable aux principales revendications. Donc la paralysie se poursuit. Nous allons poursuivre la grève jusqu’à satisfaction de nos problèmes. L’obstacle majeur au règlement de notre plateforme revendicative, ce sont le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale. Ce sont ces institutions internationales qui empêchent Boni Yayi de satisfaire nos revendications » a déclaré le Secrétaire général de la Cstb, Paul Esse Iko. Pour sa part, le Secrétaire général de la Csa-Benin, Dieudonné Lokossou, a été on, ne peut plus clair : « la poursuite ou non de la grève ne dépend pas de moi. Ce sont les militants et notamment le bureau qui décidera de la suspension ou non du mot d’ordre de grève. Mais malheureusement, à l’issue de l’Assemblée générale tenue par les confédérations et centrales syndicales, il a été décidé de la poursuite de la grève la semaine prochaine.
Marc Gbaguidi
La pomme de discorde
L’interdiction de la marche pacifique qui a été organisée par les centrales et confédérations syndicales le 27 décembre 2013, constitue l’une des raisons de la mésentente entre les deux camps. De plus, la répression de cette marche avec de nombreux blessés dans le rang des responsables syndicaux, est venue amplifier la crise. Entre autres raisons de ce mouvement organisé par les centrales syndicales, il faut citer les questions liées aux libertés publiques, la rétrocession des défalcations de 2012, 2013 et 2014, le relèvement de Placide Azandé et Pierre Agossadou de leur poste, la suppression du concours organisé au profit du ministère des Finances, concours déclaré frauduleux par les syndicalistes.
A cet effet, l’Etat a voulu apporter des solutions face à la situation de bras de fer entre lui et les centrales syndicales. Au lieu de faire face aux vraies raisons de cette marche, le Gouvernement a brandi l’arme de la manipulation politicienne. La manière prise par l’Etat pour résoudre cette crise constitue aussi la pomme de discorde. Cette crise a entrainé depuis plusieurs semaines des mouvements persistants de grève, non seulement dans le système éducatif mais a entraîné aussi la paralysie de l’administration publique. Il aurait fallu rencontrer assez tôt les responsables des centrales syndicales et le résultat serait autre depuis. Au grand bonheur des populations.
Florence Hologan (Stagiaire)
Après les menaces de défalcation, la rétrocession
Considérée comme illégale par le gouvernement, la grève lancée par les centrales et confédérations syndicales a poussé l’exécutif à prendre des résolutions vis-à-vis de ses employés grévistes. Ainsi, au début de cette crise, le gouvernement, par la voix du ministre du Travail et de la Fonction publique, est monté au créneau pour menacer les travailleurs qui observent les mouvements de grève qu’ils feront l’objet de défalcation pour fait de grève. En effet, pour le pouvoir en place, cette paralysie de l’administration est illégale même si la grève est un droit acquis. Pour lui, celui qui n’a pas travaillé n’a pas droit au salaire. Il faut préciser qu’avant cette menace du gouvernement, le mouvement de débrayage n’était pas suivi dans tous les secteurs. Mais au lendemain de cette information, certains syndicats sont passés à la vitesse supérieure. La grève est passée de 48 heures à 72 heures, et dans d’autres secteurs, de 72 heures à 96 heures. On a même assisté à une généralisation des mouvements de grève dans plusieurs secteurs de l’administration publique.
Cette détermination des travailleurs à avoir gain de cause et vue la menace d’une année blanche, ont amené le chef de l’Etat à revenir sur sa position. Ainsi, le vendredi 28 février 2014, le locataire de la Marina a annoncé lors de son discours à la nation, la rétrocession des fonds défalqués sur les salaires de janvier et février 2014. Pour le président de la République, cette décision, loin d’être une capitulation de la part de son gouvernement, a plutôt pour but, de calmer la tension sociale. Mais pour les observateurs, le président de la République a capitulé face à la détermination des travailleurs qui étaient prêts à tout. Toujours selon les mêmes observateurs, l’exécutif croyait que la rétrocession des défalcations pouvait les inciter à revoir leur position. Tel ne fut pas le cas, les travailleurs ont même exigé la rétrocession des sous défalqués pour fait de grève en 2012.
Marc Kossou(Stagiaire)
Plus de trois mois de tension
Courant Juillet -Aout 2012, le gouvernement du Bénin a organisé un concours de recrutement de 432 agents au profit du ministère de l’Economie et des Finances. Un concours de recrutement à polémiques qui, à ce jour, demeure la pomme de discorde entre gouvernement et syndicats depuis deux mois.
Suite au conseil des ministres du 04 décembre 2013, les lauréats de ce fameux concours du Mef devraient prendre service en début de cette année. Une décision qui a très tôt, montée la tension au sein des organisations de la société civile et des centrales syndicales. Le 10 janvier 2014, ce sont les membres de la Fésyntra-finances de Laurent Mètognon, réunis à la Bourse du travail qui ont donné de la voix pour dénoncer ce qu’ils appellent des fraudes massives pour inviter le gouvernement à invalider les résultats dudit concours. Le 14 janvier 2014, le bureau du Front national contre la corruption (Fonac) de Jean-Baptiste Elias est monté au créneau pour la même cause de dénonciation des dysfonctionnements liés à l’organisation de ce concours. La goutte d’eau qui vient débordé le vase, est relatif à la décision du Conseil des ministres demandant aux lauréats de ce concours dont les noms ne portaient pas à polémique, à prendre service au ministère de l’économie et des finances. Déterminés à s’opposer à cette décision du gouvernement, réunis au sein de leurs différentes centrales et confédérations syndicales, les travailleurs ont alors décidé de la tenue d’une marche pacifique le 27 décembre 2014 mais violemment réprimée par les forces de l’ordre. Ce fut le début du bras de fer gouvernement-syndicats. Au début, une journée morte a été décrétée par les travailleurs suivie d’une grève d’avertissement de 48 heures durant deux semaines consécutives. Le mouvement de débrayage ainsi passé à 72 heures par semaine, obligea très tôt les ministres à prendre d’assaut les départements du pays pour intimider les travailleurs selon les syndicalistes. Et puisque cela ne suffisait pas pour démobiliser les manifestants, le gouvernement brandit la mesure de défalcation sur salaire pour fait de grève puis la mesure de radiation des fonctionnaires grévistes. Des mesures dissuasives à répétition qui, nullement n’ont émoussé la détermination des grévistes. Ainsi, hôpitaux, écoles, services des finances, collectivités locales bref, toute la machine étatique plongée dans une crise générale depuis plus de deux mois sans pour autant connaitre à ce jour, un véritable dénouement.
Charles Honvoh
Dieudonné Lokossou : « L’année scolaire prendra toute autre couleur sauf la blanche »
Le Secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes (Csa) s’est prononcé sur le renouvellement du mot d’ordre de grève des centrales et confédérations syndicales. Pour lui, ’’la grève se poursuit, mais le gouvernement a certainement le week-end pour mener d’autres actions’’.
Le chef de l’Etat vous a finalement rencontré. Vos impressions?
Oui au cours de la rencontre que nous avons eue avec le chef de l’Etat, on ne nous a pas intimidé comme dans un passé récent, chacun des leaders syndicaux s’est exprimé librement durant le temps des échanges et sur tous les points que nous avons passé en revue. Le premier c’est la question des libertés. Aujourd’hui, je crois qu’il a pris la mesure des choses. Sur la question du relèvement du préfet de l’Atlantique-Littoral et du commissaire central de Cotonou, le gouvernement s’y est opposé ; il a maintenu sa position car il a estimé qu’il n’a pas assez d’éléments qui puissent lui permettre d’apprécier notre requête. S’agissant des concours frauduleux, il a mis en place une commission présidée par le Haut commissaire à la gouvernance concertée, ce qui lui permettra de se prononcer après le 17 mars, jour du dépôt du rapport. Les défalcations sont encore en étude avec les nouveaux calculs. Pour ne pas nous laisser enfariner, nous avons exigé qu’il y ait un relevé pour nous permettre d’expliquer aux collègues qui sont présentement en grève.
Mais pourquoi après un si beau dialogue, vous poursuivez la grève ?
Personne ne souhaite une année blanche, la réaction tardive du gouvernement a joué sur les choses. Aujourd’hui, le principe est acquis. Je crois que la population nous a compris, mais il y quand même des limites, et c’est ce que le gouvernement n’a pas encore compris. La grève se poursuit donc les jours habituels : mardi, mercredi et jeudi prochains. Le gouvernement a certainement le week-end pour mener d’autres actions.
Ne pensez-vous pas que vous devenez trop exigeants ?
C’est le gouvernement qui joue avec les travailleurs et l’avenir de nos enfants. Nous exigeons simplement la satisfaction de nos revendications, à commencer par nos libertés, ce qui constitue de l’or pour tout travailleur. Il y a certains des points que le gouvernement peut encore bien régler dans un délai raisonnable. Tenez-vous tranquilles, l’année scolaire prendra toute autre couleur sauf la blanche.
Propos recueillis pour Adjinakou par Marc G.
Relevé des décisions issues de la rencontre entre le chef de l’Etat et les syndicats
Le Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement, a rencontré ce mercredi 12 mars 2014, les Centrales syndicales, Confédérations syndicales et la Fésyntra-Finances. Au cours de la rencontre, les différents points du relevé des conclusions, ont été passés en revue.
Il s’agit des points suivants :
1-Sur les défalcations de 2014, le Président de la République a confirmé leur restitution.
2-Au sujet des défalcations de 2012 : en raison de ce que les enseignants ont rattrapé les temps de grève en sacrifiant leurs congés, le Chef de l’Etat a instruit le ministre de l’Economie et des Finances pour en évaluer le coût et proposer les conditions de leur restitution au titre de compensation en tenant compte de la nécessité du respect du cadre macro-économique retenu avec la Mission du Fonds Monétaire International (FMI) lors de la dernière revue.
3-S’agissant de la demande des enseignants relative au bénéfice de revalorisation de 25% du traitement indiciaire, le président de la République a rappelé que cette demande est reversée au Cadre de concertation pour étude et propositions à faire.
4-Sur les questions des libertés publiques, le président de la République, tout en prenant note des déclarations des syndicalistes victimes auxquels il a présenté les excuses de la république, a rassuré les syndicats que des dispositions sont prises afin que les événements du genre du ceux du 27 décembre 2013 ne se reproduisent plus.
5-Au sujet du relèvement du Préfet de l’Atlantique-Littoral et du Commissaire centrale de Cotonou, le Président de la République a indiqué, tout en prenant note des doléances des syndicats, que les éléments à sa disposition à l’étape actuelle, ne lui permettent pas de prendre une décision conséquente et qu’il est souhaitable de laisser poursuivre la procédure en cours devant les juridictions compétentes.
6-Sur la question des concours organisés, le président de la République a rappelé que la Commission instruite pour connaître du dossier déposera son rapport au plus tard le 17 mars 2014 et que le Gouvernement avisera à partir du 21 mars 2014.
7-En ce qui concerne le relèvement du SMIG, le Chef de l’Etat a demandé que le décret y relatif soit présenté en Conseil des Ministres pour approbation.
Enfin les points évoqués en divers ont concerné :
-l’actualisation du décret portant cadre de concertation au sujet duquel des instructions ont été données aux fins de procéder à ladite actualisation dans les meilleurs délais
-la poursuite des négociations par les ministres avec les syndicats au niveau sectoriel ;
Au terme de la séance de travail avec les centrales syndicales présidée par le chef de l’Etat, les secrétaires généraux, en ce qui concerne la levée de la motion de grève, ont promis de se référer à leur base pour compte rendu.
Micro-trottoir
Soussou.Ayihonsi, Etudiant
C’est un pas en avant dans la résolution de la crise sociale actuelle. Mais est-ce que ça règle le problème des grèves ? Le problème de défalcation est venu s’ajouter aux problèmes de grève qui existaient. Donc le problème reste entier, attendons la réaction des syndicats …
Joseph Gouton, enseignant
Voilà déjà deux mois environs qu’écoliers, élèves et étudiants ne vont plus au cours comme cela se doit. C’est une situation déplorable et tous les camps en lutte en sont conscients. Avec les dernières concessions du chef de l’Etat, je pense que les syndicalistes doivent mettre de l’eau dans leur vin et reprendre le chemin de l’école. Ce serait pour le bien de tous.
Aline Koulodji, opératrice de saisie
Les autorités gouvernementales jouent avec l’avenir de nos enfants. A mon sens, elles savent bien que ce que les travailleurs demandent n’est pas de trop. Mieux, pour la question de défense des libertés syndicales, je trouve que le gouvernement et surtout le président de la République ne devrait pas réfléchir outre mesure avant de céder à la demande des travailleurs. Mais j’invite les travailleurs à être modérés dans leurs revendications.
Bodjrènou Parfait, conseiller local
C’est prévisible, cette crise sociale ne date pas d’aujourd’hui. Les Béninois laissent ce qu’il faut faire de réel et font des marches à ne point en finir. Aussi, le Béninois aime trop revendiquer, c’est normal puisque chacun prêche pour sa paroisse, c’est la politique. Mais ce sont les enfants qui en souffrent, leur niveau baissent. Quelle assurance pour l’avenir ? C’est la relève qui est ainsi détruite. Il faut que les syndicalistes mettent de l’eau dans leur vin, le gouvernement aussi, pour le bien-être de nos enfants.
Julius Caius César, Etudiant
C’est un peu déplorable ce que nous vivons actuellement et c’est juste parce que nos dirigeants manquent d'humilité et se moquent littéralement du peuple, si non cette crise ne devrait même pas durer plus de trois jours. Tout aurait été déjà réglé. Ils ne veulent juste pas avancer, tout est folklore, la rencontre avec le Président de la République de ce mercredi 12 mars 2014 aurait été déjà faite depuis. Ce n’est pas sérieux il faut qu’ils pensent aux apprenants.
Blancky Sogan, Assistant juridique
A vrai dire les mots me manquent. Seulement prions pour que les deux protagonistes puissent trouver un terrain d’entente.
Nicaise Hospice Tolomè, Etudiant
A mon avis, c’est depuis que le Président Boni Yayi a fait son K.O en 2011, que le pays est plongé dans la crise. Prions pour que l’année ne soit pas blanchie, il ne reste que deux semaines.
Hyppolite Dossou-Dossa, Agent Comptable
Moi, je pense que cette crise est née de l’inconscience de nos hauts cadres au sommet de l’Etat. C’est révoltant.