Ce dimanche 06 avril 2014, seront célébrés les trois ans de gestion de Boni Yayi pour son deuxième et dernier quinquennat et au total, huit années de règne. Plusieurs Béninois interrogés sur les sentiments qui les animent à la veille de cet évènement cachent difficilement leur déception. Même si certains continuent de nourrir l’espoir d’une vie meilleure sous Boni Yayi avant 2016, le constat général est que sa gestion du pouvoir demeure une « catastrophe». Lire, ci-après, les différentes réactions enregistrées sur cet évènement hier à Cotonou.
Me Aboubakar Baparapé, Avocat à la cour d’appel de Cotonou, président de l’Organisation pour la défense des droits de l’homme et des peuples au Bénin (Odhp)
« Le refondation a connu un échec cuisant »
« Pour ma part, en tant que militant des droits de l’homme, je constate deux choses qui écœurent la population. Il y a d’abord une mal gouvernance qui se caractérise par la recrudescence de la corruption, la gabegie et la famine qui s’est installée. Le panier de la ménagère s’amenuise de jour en jour, les opérateurs économiques qui sont créateurs d’emplois sont persécutés. Il y a une crise qui s’est installée : crise morale, crise économique et crise politique. En réalité, on s’est demandé finalement si la refondation n’était pas pour précipiter notre pays dans le gouffre. Sur le plan politique, nous constatons avec amertume que le président de la république attendait son deuxième mandat pour sortir ses griffes, comme une belle dame qui se fait courtiser et qui attend de rentrer dans le domicile conjugal pour sortir son mauvais caractère. Le mauvais caractère ici de Yayi et de son second son mariage avec le peuple, c’est qu’il a montré ce que les militants ont prévu, à savoir, son caractère dictatorial. Il a voulu, sous le couvert de la dictature économique remettre en question, réécrire la constitution et gouverner en fonction de ses humeurs, remettre en cause les acquis démocratiques, chèrement acquis depuis la conférence nationale des forces vives de la nation de février 1990, et mettre donc le peuple sous sa coupe réglée. C’est ce qui explique toutes les dérives qu’on a notées depuis cette refondation où il n’était plus permis aux citoyens, en dehors des FCBE, de projeter une quelconque marche contre le régime Yayi. Et voilà aujourd’hui là où cela aboutit, à savoir, la paralysie du pays. L’évènement du 27 décembre dernier est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase où la police, sous l’instigation du préfet, a tiré à bout portant et blessé presque mortellement des syndicalistes. Le plus grave, c’est qu’on a dit que c’est le sang du mouton ou c’est du mercurochrome. C’est le comble de l’ironie et de l’injure au peuple. On a, par ailleurs, beau dire, emploi de jeunes, mais on constate aujourd’hui qu’il y a des concours frauduleux, où l’emploi est réservé aux partisans de Yayi. Jusque-là, il y a toujours des fraudes dans les concours, mais il a fallu le concours du Ministère des finances pour que le gouvernement reconnaisse que depuis 2012, tous les concours qui ont été organisés sont entachés d’irrégularités et d’annuler au-delà de ce que les syndicalistes ont demandé. Cela cache quelque chose. C’est une remise en cause du plein emploi qu’il a promis aux jeunes, alors qu’on connaît aujourd’hui la situation budgétaire de notre pays, même si la propagande politique continue d’avancer le pourcentage des 5% en termes de croissance économique. Tout le monde sait qu’il y a problème. En définitive, je dirai que la refondation a connu un échec cuisant total et on a tenté de le masquer par des affaires dites de coup d’Etat ou de tentative d’empoisonnement du chef de l’Etat, toutes choses ayant pour objectif de divertir le peuple. Aujourd’hui, nous vivons dans un imbroglio total, les élections locales sont dans l’impasse. Personne ne sait ce qu’il adviendra de ces élections législatives. La Lépi, on ne sait pas non plus ce qu’elle devient. Le gouvernement et le Cos-Lépi se renvoient la balle. Il faut une autre manière de gouverner notre pays pour que le peuple puisse profiter des sacrifices qu’il a consentis pour l’avènement de l’ère démocratique. »
Agapit Napoléon Maforikan, Consultant en communication, expert en Gouvernance et rapporteur à l’Autorité Nationale de Lutte contre la Corruption
« Le Chef de l’Etat est volontariste, infatigable, et débordant d’énergie. Mais on n’a pas les résultats »
« Il faut déjà rendre grâce à Dieu de lui avoir permis d’accomplir ses 8 années de gestion de ce pays, car elle n’est pas facile du tout. Déjà, nous-mêmes, dans nos petites associations, dans nos familles, dans nos clubs et dans nos entreprises, nous nous rendons compte que ce n’est pas facile de gérer des groupes, de gérer l’humain.
Cela dit, je vais être clair avec vous. Pour moi, je vois le verre plutôt à moitié vide qu’à moitié plein. En clair, j’ai quelque déception, trois ans après la réélection du Président Boni YAYI à laquelle j’ai contribué à ma manière. Certes, le Président a fait beaucoup d’efforts depuis trois ans, mais il n’arrive pas à vaincre les résistances pour amorcer le changement attendu, rendre effectives les mutations espérées. Les chantiers ouverts n’aboutissent pas, la crise s’est intensifiée, l’éducation nationale est en veilleuse avec le spectre d’une année blanche ; l’économie tourne au ralenti, la corruption n’est pas jugulée, la méfiance politique s’est généralisée et la défiance à l’égard des institutions se banalise, le régionalisme s’invite dans tous les débats, et l’argent semble redevenir « notre maître ! ». C’est vrai, on peut trouver des situations atténuantes, mais en fait, la capacité des gouvernants, c’est de trouver les moyens de résoudre des crises, d’apporter des réponses aux questionnements. Alors, tant que le Président n’arrive pas à trouver des solutions aux divers problèmes qui se posent, notamment à la crise politico-économico sociale actuelle, il restera toujours un arrière gout d’inachevé et de gâchis. Car, sans un environnement politique cohérent et un climat social apaisé, on ne peut rien réussir. Par exemple, en ce qui concerne la morosité politique actuelle, il n’y a pas mille solutions : il faudra nécessairement établir le dialogue avec la classe politique. Cela suppose la mise en place d’un cadre de dialogue avec l’opposition. Cela devrait en principe être simple, car nous avons une Charte de l’opposition et nous avons des formations ou des regroupements politiques qui se réclament de l’opposition : l’Union fait la Nation, le Prd, l’Alternative Citoyenne et quelques mouvements ou personnalités. Il faut les écouter. On ne peut pas continuer de faire comme si tout va bien. Il faut préparer les deux ans qui restent. Et cela passe par une ouverture d’esprit au dialogue. Personnellement je pense que le fameux « consensus » de la Conférence Nationale a vécu, et qu’il urge d’instaurer un nouveau Pacte politique pour le Développement du Bénin. Etant dans son « deuxième et dernier mandat », le Président Boni YAYI a encore le temps de porter ce projet qui doit placer le Bénin sur l’orbite de l’horizon 2050. Et là encore il faut l’ouverture au Dialogue.
Au niveau social, je vais vous le dire honnêtement, le gouvernement n’a pas su canaliser les évènements du 27 décembre. Avec tout le respect que je dois au préfet des Département de l’Atlantique et du Littoral, avec toute l’admiration que j’ai pour lui depuis des années, je le dis sincèrement : si j’étais à sa place, je démissionnerais. C’est vrai que ce n’est jamais facile. Mais c’est ça la gouvernance. Si le gouvernement n’arrive pas à le faire, je pense que le préfet, humblement peut mettre sa position dans la balance, en disant je me sacrifie, au besoin, pour que l’apaisement arrive. Et là, libre au chef de le repositionner ailleurs. Idem pour cette affaire de concours. Moi je trouve bizarre qu’on annule les concours et qu’on ne sanctionne personne. N’y a-t-il donc pas de responsables ? Personnellement, à la place de certaines personnes impliquées pans ce dossier, j’aurais du mal à accepter certaines nominations. C’est une question de bon sens. Or je constate que tout ça a déserté le forum. Comment pourrons-nous avoir une société refondée de cette manière là ?
Pour me résumer donc, je dirai que le Chef de l’Etat est volontariste, infatigable, et débordant d’énergie. Mais on n’a pas les résultats. Or il a toutes les cartes en mains pour réussir. Et c’est ce qui me désole le plus ! »
Dieudonné Lokossou, Secrétaire général de la Csa-Bénin
« Le président Boni Yayi aime les crises»
Du 06 avril 2011 au 06 avril 2014, le volet social a souffert sous l’actuel pouvoir. Par conséquent, les organisations syndicales n’apprécient pas la gestion du régime Boni Yayi II. C’est ce qu’il faut donc retenir des impressions du secrétaire général de la Confédération des syndicats du Bénin (Csa-Bénin), Dieudonné Lokossou lorsqu’il appréciait hier, les trois (03) ans du Chef de l’Etat. En effet, sur un ton très amer, le syndicaliste a peint au noir plus de la moitié du tableau présenté par Yayi II de 2013 à 2014. Il pense que le Président de la République a gardé le pays sous tension permanente avec comme moyen de lutte, la détention de la liberté syndicale et des personnes. Une situation qui laisse, à ses yeux, une impression « dictatoriale » au regard de la gravité des actes que le gouvernement ne cesse de poser chaque jour. En exemple, il a cité la bastonnade dont les travailleurs ont fait objet le 27 décembre 2013 à la Bourse du Travail, les défalcations abusives pour fait de grève, les menaces proférées à l’endroit des syndicalistes, les attaques contre les opérateurs économiques en faveur des expatriés…. « C’est la preuve que Yayi aime les crises », a-t-il confié. En souhaitant le voir partir du pouvoir au terme de son mandat, Dieudonné Lokossou estime qu’il n’est pas dans une lutte politique contre le régime mais plutôt en lutte syndicale et sociale. « Nous sommes investis pour la défense des causes des travailleurs. Ce que Boni Yayi ne comprend pas », a déclaré le secrétaire général qui pense également que les actions menées par le régime en faveur des syndicalistes sont bien de son devoir. Dieudonné Lokossou fait savoir que l’Etat est une continuité. Par conséquent, Boni Yayi se doit de rendre ce qui est du droit des travailleurs. Même si l’amélioration de la situation salariale au niveau des enseignants du supérieur a été un acte louable, il estime que l’augmentation du Smig de 31.650 fcfa à 40.000 fcfa est un droit. Néanmoins, Dieudonné Lokossou trouve normal qu’on lui souhaite joyeux anniversaire, même si son élection en 2011 a été avec une Liste électorale permanente informatisée (Lépi) à polémique. Mais, il n’attend rien de lui durant les deux ans lui restant. Son seul souhait est de le voir rendre le tablier à temps et permettre au Bénin de se relancer.
Ratier Agassounon, Coordonnateur des Forces citoyennes pour la défense de la patrie
« La crise sociale au Bénin est due au bilan positif du Dr Boni Yayi »
Mon regard sur les trois ans du 2ème mandat du Dr Boni Yayi à la tête de notre pays est rassurant. On peut continuer par croire à un avenir meilleur et réfléchir pour proposer des alternatives aux maux qui minent notre pays. Nous devons soutenir et accompagner les dirigeants de notre pays, notamment, le 1er des Béninois, le chef de l’Etat, dans sa politique de développement. C’est d’un devoir citoyen et ce faisant, nous refondons nos valeurs ; nos traditions; et notre mode de vie. Il est important de rappeler que ce qui se passe au Bénin sur le plan économique se déroule aussi sur le plan mondial. La plupart des pays, pratiquement depuis une décennie, sont en crise. Mais, malgré l’impact de la crise économique mondiale sur l’économie du Benin, le gouvernement de mon pays assure par sa politique une vie meilleure aux Béninoises et Béninois. Conformément à son projet de société, plusieurs actions salvatrices visant l’amélioration des conditions de vie des populations ont été menées dans tous les secteurs, notamment, celui de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, de la promotion de l’emploi des jeunes, les infrastructures économiques, la bonne gouvernance, l’énergie, l’eau et la communication …etc. Aujourd’hui, je peux dire sans me tromper que la crise sociale au Bénin est due au bilan positif du Dr Boni Yayi. Car, c’est inconcevable qu’après tous les efforts du gouvernement de mon pays, la classe politique, dans un esprit machiavélique, cherche à rendre ingouvernable le pays à travers la paralysie totale de l’administration publique ; l’intoxication par des informations biaisées et tronquées, le blocage des institutions d’Etat, l’atteinte à la personne du Président de la République et le non-respect de la sacralité des institutions. J’invite les acteurs politiques à s’oublier pour la patrie et savoir que la nation est une et indivisible et qu’ensemble, nous devrions oeuvrer pour l’apaisement de la tension sociale ; rétablir la confiance entre le peuple et ses dirigeants et laisser travailler en toute quiétude le Chef de l’Etat. Je rêve d’un grand Bénin ; ce Bénin ou vibrera l’énergie du monde, l’audace, le travail, le courage, le partenariat public-privé, la prospérité partagée. Ce Bénin sera le Bénin nouveau.
Maurice Gbèmènou, président du Réseau des organisations de lutte contre le chômage
« On doit rester positif et ne jamais souhaiter le pire pour notre pays »
« L’arrivée du président Boni Yayi en 2006 avait suscité beaucoup d’espoir parce qu’il était un homme neuf, un homme qui n’était pas dans les acarnes de la vie politique. Mais il faut dire, aujourd’hui, que les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. En ce sens qu’on ne peut pas dire aujourd’hui que le pays va mieux, au regard de ce que vit la jeunesse et au regard de la misère chronique, du sous-emploi et du chômage que vivent les jeunes aujourd’hui. Néanmoins, il faut reconnaître les efforts que le gouvernement a entrepris, et les différentes réformes qu’ils ont annoncées. Sincèrement, le Dr Boni Yayi est un président que j’appelle débonnaire parce que c’est un monsieur qui veut régler tous les problèmes en même temps. Et c’est cela qui fait le drame de ce régime. Et si aujourd’hui, par exemple, le pays est paralysé par les syndicats, c’est parce que le président Yayi a pris l’habitude de donner tout ce que les gens veulent. Ce qui fait qu’ils sont, tout le temps, cristallisés sur leur position. Je prends, par exemple, le problème de l’emploi des jeunes. Dès son arrivée, le chef de l’Etat a fait organiser le forum national sur l’emploi des jeunes pour diagnostiquer la situation de l’emploi dans le pays et faire des projections. Je pense que cela est une très bonne chose. Il a même créé un ministère en charge de l’emploi montrant que cette question le préoccupe au plus haut niveau. Et suite à ce forum, il a installé le Fonds national de l’entreprise et de la promotion de l’emploi de jeunes qui a été doté de 6 milliards F Cfa. Mais, si aujourd’hui, nous n’avons pas les résultats escomptés, ce n’est pas la faute de l’Etat. Elle doit être, plutôt, imputée aux gestionnaires de ce programme parce que le contrôle et le suivi que les gens devraient faire au niveau de ce programme pour canaliser les jeunes qui venaient fraichement de l’université, n’avaient pas un projet préétabli et étaient rentrés dans des domaines où ils n’étaient pas aussi préparés surtout à la production agricole. Bref, tous ces programmes ont échoué un à un. Mais la faute est partagée. Une partie pour la jeunesse et la grande partie pour les aînés qui ont conduit ces programmes. Reste que nous n’allons jamais demander le pire pour le pays. On doit rester positif. Tout peut être encore possible en deux ans, et beaucoup de choses peuvent encore se faire. Je dois rappeler qu’aux assises des forces vives de la jeunesse que nous avons organisées en novembre 2013, on avait demandé, entre autres, de faire des enquêtes de moralité pour vérifier, par exemple, si ce que les gens réalisent dans le pays est en adéquation avec ce qu’ils gagnent. Et c’est à partir de ce moment qu’il faut décourager ceux qui pillent les ressources de notre pays. Il va falloir, en tout cas, que la jeunesse se prenne en charge. Le président Boni Yayi doit s’attaquer au problème du chômage, qui reste crucial, pendant les deux ans à venir.
Propos recueillis par Christian Tchanou et Emmanuel Gbèto