Le sort de l’an trois de Yayi II s’est donc joué entre les mosquées, les églises et les lieux de spectacles. Hier encore, après le culte, c’est à un géant concert qu’on a eu droit au stade de l’amitié. Les agapes présidentielles ont pu continuer sous les lambris dorés des hôtels cinq étoiles où l’on a festoyé pour les trois ans par-ci huit ans par-là. Dehors, la populace (la petite population pauvre et analphabète) a chanté la gloire du changement refondé et ses routes, et son eau potable, et ses salles de classe et son électricité. Elle a fêté les turbines à gaz, le mémorial national de la corruption dressé à l’entrée de Porto-Novo, les scandales qui ne se comptent plus, l’année blanche à nos portes…
Pendant que les danses se poursuivaient au stade de l’amitié, je me suis demandé ce qu’il adviendrait de nous tous si le lundi, les syndicats (oh malheur !) décidaient de ne pas arrêter leurs débrayages, ouvrant grandement la porte à une année blanche. Que se passerait-il ? Je n’ose pas l’imaginer>
Je n’ose surtout pas imaginer comment réagiraient les enfants privés d’école depuis trois mois, et encore moins les conséquences désastreuses que cela pourrait engendrer chez certains d’entre eux. Beaucoup, désespérant déjà de l’école, vont y trouver prétexte pour dire adieu aux classes, entraînant le désespoir de leurs parents. Face à tout cela, j’ai été l’un des plus stupéfaits face au déploiement indécent et nauséeux des agapes pestilentielles (pardon, présidentielles !). Cet esprit ne nous ressemble pas. Cette arrogance de ceux qui se satisfont des angoisses des élèves et de leurs parents est contraire à toutes les valeurs autour desquelles nous avons construit ce pays. Ce refus ostentatoire de la probité et de la mesure est une imposture.
Comment rendre compte de la nausée qui m’étreint à voir les déhanchements de Pélagie-la-Vibreuse et les flagorneries éhontées de tant de grands noms de notre culture dont la dignité s’affaisse devant l’argent ? A quoi bon fulminer contre tous ces gens définitivement inaptes à penser aux douleurs des plus petits qui forment notre avenir ?
J’ai lu hier mon (ex)-confrère Aboubakar Takou qui écrivait sur son profil Facebook : « C’est quoi encore cette affaire de fête dans un contexte de pauvreté et de difficultés partagées? N’y avait-il pas une lumière autour du chef pour lui souffler qu’il pourrait récupérer cette occasion et grandir dans le cœur de ses compatriotes? Il suffisait simplement que le président, dans un discours de circonstance, refuse d’une part, que l’anniversaire de ses trois ans soit festif, et d’autre part, invite ses compatriotes à la réflexion et à une certaine prise de conscience au profit du travail bien fait. Tout en reconnaissant que la situation n’est pas totalement rose comme il l’aurait souhaitée…. »
Cet autre internaute n’a pas non plus de mots assez durs pour fustiger l’imposture : « Au lieu de mener des réflexions dignes du nom sur la situation actuelle du pays, les zigotos pensent qu’il faut fêter avec nos centaines de millions leur durée en organisant des fêtes clôturées par des concerts alors que si on fouille bien dans leur bilan, on ne verra rien de bon comme changement. Mais je vous jure que notre Dieu est trop fort et il voit tout ce que vous faites de bon et de mauvais. Sachez, vous serez jugés sur vos actes et vous porterez tout le malheur de la population. » Et le syndicaliste Jacques Ayadji s’étrangle presque de rage devant l’étalage scabreux. Il s’épanche bruyamment sur sa page Facebook : « Alors que l’école est fermée et l’administration publique paralysée, des Béninois ont trouvé l’occasion de festoyer autour de ce qu’ils ont appelé troisième anniversaire de second mandat. Quel mépris pour le peuple béninois qui souffre! Et puis les artistes en sont complices. Que le Tout Puissant et les mânes de nos ancêtres les pardonnent, car ils ne savent pas ce qu’ils font contre leur pays pour de l’argent… ».
Derrière ces colères volcaniques, se cache l’amour d’une patrie que l’on piétine. Derrière ces colères passionnées, se trouve un patriotisme qui n’a rencontré que bassesse.
Par Olivier ALLOCHEME