Condamné déjà à sept ans de réclusion pour avoir crevé l’œil d’un bouvier à coup de lance-pierre dans le 7e dossier inscrit au rôle, Sannan Sokoto Bio Karou, 31 ans, cultivateur, est revenu à la barre mercredi 16 avril dernier pour répondre encore d’une infraction de coups et blessures volontaires ayant entraîné une infirmité permanente, mais commise cette fois-ci en prison. Au verdict de la cour qui, après en avoir délibéré, l’a condamné à cinq ans de réclusion criminelle, il s’est écroulé.
Par Claude Urbain PLAGBETO
Pour la quinzième affaire inscrite au rôle, les faits remontent au dimanche 7 juin 2009. Les nommés Sannan Sokoto Bio Karou et Mohamed Guerra Yarou, tous deux détenus à la prison civile de Kandi pour des infractions diverses, logent dans le même bâtiment dans l’enceinte de la maison carcérale. Ce dimanche vers 12 heures, alors que Mohamed Guerra Yarou serait à la recherche d’un morceau de fer qu’ils placent dans le fourneau endommagé pour faire la cuisine, le détenu Dicko Djantahou alla dire à Sannan Sokoto Bio Karou qu’il était en train de voler son charbon.
Sans vérifier cette information, Sannan Sokoto s’en serait pris à Mohamed Guerra Yarou. Au cours de la bagarre qui s’en est suivie, il aurait mordu Mohamed Guerra Yarou à l’oreille droite et l’aurait crachée par terre. C’est ce qui l’a conduit à nouveau devant la cour composée du président Adame N. Banzou, des assesseurs Séïdou Boni Kpégounou et Karimi Aladé Laziwolè Adéoti et des jurés tirés au sort : Mama Boni, Narcisse Tossa Djanguédé, Poulo Amadou Sambo et Mazou Issa.Au moment des faits, Sannan Sokoto Bio Karou n’aurait pas d’antécédent judiciaire connu. L’enquête de moralité lui paraît favorable : il serait un homme calme, un prisonnier effacé mais d’autres le voient comme quelqu’un de tempérament un peu violent et qui n’écouterait pas les conseils. Le rapport de l’examen médico-psychologique et psychiatrique mentionne qu’il était lucide au moment des faits.
Des précisions à la barre
A la barre, l’accusé Sannan Sokoto Bio Karou est apparu affaibli hier, par rapport à sa comparution du 7 avril dernier dans le cadre d’une autre affaire, celle qui l’a conduit à la prison civile de Kandi. Il n’a pas nié les faits. Mais il a tenu à expliquer que c’est parce que la victime était plus forte que lui, l’avait terrassé et le tenait par les testicules, qu’il n’a eu d’autre solution que de lui mordre le pavillon pour qu’il le lâche.
Mais pourquoi ne s’est-il pas contenté seulement de mordre mais d’arracher le pavillon de l’oreille avec ses dents, avant de le cracher par terre, lui demandent les juges ? « C’est parce qu’il était plus fort que moi », répond l’accusé. Suite à ces mots, le prévenu s’écroule. L’instruction à la barre sera suspendue pour reprendre quelques minutes plus tard. L’accusé se relèvera vaille que vaille pour confier qu’il a le vertige. Serait-il malade ? Il indique qu’il a souvent le vertige quand la peur l’anime. On lui permet de s’asseoir sur une chaise pour le reste du temps de l’audience. Pourquoi l’accusé n’avait-il pas soulevé ni à l’enquête préliminaire, ni devant le juge d’instruction que la victime l’avait tenu par les testicules ?
A cette question posée à plusieurs reprises, Sannan Sokoto Bio Karou maintient qu’il l’avait toujours dit à ces étapes. Dans les déclarations contenues dans les pièces du dossier lues à l’audience, les co-détenus de la victime et de l’accusé ont parlé pour la plupart d’un « incident » malheureux, dans le cadre de l’enquête de moralité qui a été menée sur sa personne. Sannan Sokoto Bio Karou lui-même déclare qu’il n’y avait pas d’antécédent avec celui qu’il a mordu et lui, et qu’il ne lui en voulait pas.
Quant à la victime, elle reconnaît que son charbon était fini mais qu’il n’était pas parti voler le charbon de Sannan Sokoto. Il aurait même montré une pièce de 500 F CFA à l’accusé du jour, pour lui signifier qu’il allait incessamment acheter du charbon.
Il n’a pas le charbon et il apprête déjà le foyer pour faire le feu, fera observer l’avocat de l’accusé au cours de sa plaidoirie.La victime encore en détention à la prison civile de Kandi n’a pas effectué le déplacement pour assister à l’audience. A travers sa déclaration lors de l’enquête, il se constitue partie civile et réclame une somme de 200 000 F CFA à titre de dommages et intérêts. Par message téléphonique lu hier à l’audience, le commandant de la brigade pénitentiaire a fait part à la cour que la victime réitère qu’elle se constitue partie civile mais réclame 350 000 F CFA à titre de dommages et intérêts. En vertu de l’article 319 du Code de procédure pénale, le ministère public a rejeté ledit message et souhaité que la cour se prononce seulement sur la sanction pénale.
L’avocat général requiert cinq ans de réclusion criminelle
Le ministère public représenté par Alexis A. Metahou, fait remarquer que c’est pour des faits de coups et blessures volontaires ayant entraîné une infirmité permanente que le nommé Sannan Sokoto Bio Karou a été incarcéré depuis septembre 2008 à la prison civile de Kandi. Infraction pour laquelle il a été condamné le 7 avril dernier à sept ans de réclusion criminelle. Et c’est pour des faits similaires, qu’il se retrouve une fois encore devant la Cour d’assises. L’avocat général en déduit que c’est un coutumier des faits, évoquant « une passion délibérée pour la violence » chez l’intéressé.Après avoir rappelé les faits, il s’est évertué à démontrer les éléments légal, matériel et moral qui font que « l’infraction est constituée » selon lui. Parlant d’élément légal, « Les coups et blessures volontaires ayant entraîné une infirmité permanente sont prévus et punis par l’article 309 alinéa 3 du Code pénal et nous sommes bel et bien dans ce cas ici », souligne-t-il.
Ensuite, l’élément matériel, le fait extérieur par lequel l’infraction prend corps, est aussi patent, à en croire Alexis A. Metahou et ce, dans la mesure où l’accusé même a déclaré « J’ai mordu son oreille ». Le résultat matériel, c’est l’amputation du pavillon de l’oreille de la victime, poursuit-il. Quid de l’élément intentionnel ? Là encore, l’avocat général prend le prévenu au mot, en évoquant son état d’esprit lorsqu’il déclare : « J’étais tellement énervé que je l’ai mordu à l’oreille pour qu’il me lâche ».
Tous les éléments constitutifs étant réunis selon le ministère public, et après avoir signalé que « L’enquête de moralité est mitigée » et qu’il n’était pas en état de démence au moment des faits donc accessible à la sanction pénale, l’avocat général demande qu’il plaise à la cour de déclarer Sannan Sokoto Bio Karou coupable et de le condamner à cinq ans de réclusion criminelle.
Une légitime défense, plaide la défense
Dans ses réquisitions, l’avocat général anticipait et demandait à la cour de ne pas suivre la défense quand il parlera de légitime défense, pour tenter de tirer son client d’affaire. Mais c’est bien ce que plaide Me Donatien K. Gbadessi au principal.
D’entrée de plaidoirie, il laisse entendre qu’il s’agit d’un « procès non équitable », car le ministère public a pris entièrement fait et cause pour la victime en parachevant ce que l’enquête préliminaire n’a pas pu finir. Ce qui est injuste, explique-t-il, les témoins de la bagarre entre son client et la victime, Mohamed Guerra Yarou, n’ont pas été entendus. Il déplore l’absence de la victime à l’audience. Ensuite, l’avocat de l’accusé s’attaque au certificat médical produit seulement en 2012 alors que les faits se sont produits depuis 2009 et que la victime n’est pas introuvable : il est détenu jusqu’à aujourd’hui encore à la prison civile. « On devrait même arracher l’agrément à ce médecin qui a fait un papier de constat des événements qui se sont produits trois ans plus tôt et a tiré ces conclusions... A-t-il vu la partie tombée de l’oreille ? », a interrogé Me Donatien K. Gbadessi, un peu furieux.
L’avocat affirme qu’il y a bel et bien vol du charbon de son client, sinon comment comprendre que quelqu’un qui n’a pas de charbon veut faire le feu. Mais ce n’est pas le vol qui a entraîné les coups et blessures mais plutôt l’agression faite par Mohamed Guerra Yarou en tenant Sannan Sokoto Bio Karou par le col et en attrapant ses testicules, s’empresse-t-il de signaler. Pour la défense, il n’y a ni crime ni délit parce que son client était dans un état où il devrait sauver sa vie, sachant que les testicules constituent une partie très sensible de l’homme. De plus, il n’avait pas l’intention de mordre, c’est le moyen qui lui est venu à l’esprit en ce moment pour se débarrasser de son vis-à-vis, soutient la défense. Il plaide au principal la légitime défense pour son client, tout en faisant remarquer qu’on aurait dû à défaut correctionnaliser cette infraction en première instance.
Au subsidiaire, ajoute-t-il, on aurait pu joindre les deux procédures puisque les infractions de coups et blessures qui ont amené l’accusé à la barre ont été commises dans un intervalle de temps pas si long.
Verdict
La réplique du ministère public ne s’est pas fait attendre après la plaidoirie de Me Donatien K. Gbadessi. L’avocat général insiste que la légitime défense est à écarter dans ce dossier. Et même si c’était le cas, ce serait un geste disproportionné de la part du nommé Sannan Sokoto Bio Karou. Au sortir du délibéré, la cour ira dans le sens du ministère public pour déclarer Sannan Sokoto Bio Karou coupable d’avoir, à la prison civile de Kandi le 7 juin 2009, porté des coups et blessures volontaires au sieur Mohamed Guerra Yarou avec la circonstance aggravante qu’il en est résulté la perte d’une partie du pavillon de l’oreille droite de la victime. Pour ce fait, la cour le condamne à cinq ans de réclusion criminelle et aux frais envers l’Etat. Après que l’interprète lui ait traduit la décision de la cour, le prévenu s’est évanoui.
Heureusement, l’agent de santé dépêché sur les lieux après qu’il soit tombé une première fois, était encore présent : l’accusé a repris connaissance.Pour les cinq ans de réclusion criminelle, il restera en tôle jusqu’au 16 juin prochain, puisqu’il est mis sous mandat de dépôt dans cette affaire depuis le 17 juin 2009. Mais pour ce qui est des sept ans écopés lors du jugement du 7 avril dernier dans le cadre du dossier dans lequel il aurait crevé l’œil gauche d’un bouvier, il devra rester dans les liens de la détention jusqu’au 7 septembre 2015 parce qu’incarcéré le 8 septembre 2008.La Cour d’assises de la Cour d’appel de Parakou a connu hier ce jeudi de la 16e affaire inscrite au rôle, une infraction de meurtre impliquant le sieur Sanhongou Namboni.