L’une des informations qui ressortit des récentes réunions hebdomadaires du gouvernement est la décision de faire tenir le conseil des ministres alternativement dans les différentes régions. Comme on peut le craindre, cette annonce, fort « lumineuse », éclaire moins sur les considérations objectives qui décident de cet acte de « très bonne gouvernance ».
Au demeurant, elle risque d’ébranler la solidité psycho-sociale du pouvoir incarné par l’Etat. Déjà, faut-il ne pas la confondre avec le précédent de la célébration tournante de la fête de l’indépendance.
1°) Le précédent. Il est vrai que ce gouvernement avait entrepris de faire célébrer la journée de l’indépendance dans chacune de nos régions. L’idée, fort originale, fut appréciée de tous, saluée par tous même si à l’arrivée, les fruits de la réalisation sont assez éloignés des fleurs de l’intention. La réhabilitation des villes bénéficiaires ?
Le rapprochement de l’administration des administrés ? Une évaluation aurait pu suggérer les réponses à ces questions. On évitera, en l’absence d’un tel rapport, d’interroger les populations : la double négation risque de réunir la majorité des suffrages. Mais déjà, sans aucune étude, on monte en degré : les conseils des ministres tourneront. A-t-on identifié la pertinence, rechercher les hypothèques ?
2°) Les hypothèques et les intérêts. On aurait dû, en effet, sur la balance de cette décision, chercher d’abord à remplir le plateau des charges et celui des profits.
a) De ce côté-là, les charges. On n’aurait pas pu, de ce côté-là, échapper à la perte de temps à subir chaque semaine : le temps du départ, le temps du transport, le temps de l’arrivée, le temps du protocole, le temps de l’installation, le temps de la délibération, le temps de…, le temps des…, le temps pour…, le temps à…, dans une société où l’on considère que le temps est un élément du patrimoine : on a son temps comme on dispose de son bien. Or, le temps est une donnée de la gouvernance dont on ne saurait manquer la maîtrise.
De ce coté-là également, on n’aurait pas pu manquer d’évaluer les coûts induits. Le coût lié au nombre de personnes à déplacer : les ministres et leurs cabinets ; le chef du gouvernement et son cabinet ; les responsables des sociétés, les experts impliqués dans les dossiers, les commissions multiples (non pas celles à percevoir, mais celles constituées sur différents sujets), les religieux, les confidents (ce substantif est plutôt, à l’occasion, neutre), les médecins … Le coût lié au transport de ces personnalités déplaçables : par voie terrienne (ce sera quelque peu difficile compte tenu de la qualité peu glorieuse des voies. Mais les membres du gouvernement sont des héros), par voie aérienne (avec les hélicoptères).
Mais le coût est lié également à la sécurité, qui éprouvera nos forces, qui les mobilisera, et éloignera certains des défis de la défense et de la protection intérieures des citoyens. Le coût, ce sont les êtres humains que la horde hebdomadaire fera passer de vie à trépas, sur ces voies scabreuses. Le coût, ce sont les moyens financiers que le contribuable devra exposer, chaque semaine, en prime, en carburant. Le coût, de ce côté-là, paraît bien excessif...
b) De ce côté-ci, les profits. Ils n’en manquent guère. Chacune de nos contrées découvrira encore les ministres et leur chef en pleine activité, dans leur obséquiosité légendaire, avec les dossiers épais (de gros dossiers dont la préparation préalable et l’usage des outils électroniques empêchent sans doute les dirigeants de satisfaire la soif du peuple à apprécier leur dimension à la fois entière et altière).
De ce côté-ci, il y aura, un atterrissage et un décollage, un hélicoptère et des véhicules grands et longs en convoi. Il y aura de la poussière et de la lumière. Il y aura des agents dressés autour des voies, dans les rues, que nulle faim n’ébranlera, dont nul moustique ne distraira l’attention ; des agents de la gendarmerie, de la police et de l’armée dont la seule posture martiale suffirait à indiquer à chaque commerçante que l’heure du marché est différée, que le chemin du travail est détourné.
De ce côté-ci on verra les « grands », avec à la fin, les embrassades aux élus, la distribution des canettes de boisson (attention : veuillez désormais les verser dans un verre afin de mieux mesurer la qualité de la contenance. Certaines contiennent de véritables pourritures. Une procédure vient d’être engagée par nous-même contre une société de production et de distribution de bière en cannettes).
De ce côté-ci, on aura également des projets ressuscités, des promesses réitérées, des lancements relancés enfin, la campagne continuée… Au fond, il s’agirait plutôt d’une tournée consultative des ministres. Consultation par leur chef, consultation par les populations. Mais qu’aurait-on vraiment gagné, ou fait gagner à l’Etat dans cette balance ?
3°) Le gouvernement : le cœur de la République. Il faut se résoudre à considérer que le gouvernement est à l’Etat ce que le cœur est au corps : l’organe d’impulsion de l’énergie vitale ; le centre de distribution des ressources de fonctionnement, le recours et le secours de l’être et du citoyen.
Mais autant que le cœur ne se déplace point pour satisfaire les caprices des autres membres de l’organisme, autant le gouvernement ne se déplace pas pour satisfaire les intérêts prétendus des régions. Il est aussi bien une émanation qu’une incarnation. Sa situation en un lieu exerce une fonction de psychanalyse sociale : chaque être humain est en quête de ciel et de Dieu, chaque citoyen en quête de République et d’Etat.
Il faut éviter d’ajouter à la démagogie, le démocratisme, cette forme de fanfaronnade ventilée sur l’autel des intérêts du « peuple ». Le gouvernement est un siège, celui de nos espérances et des défis majeurs qui déterminent notre devenir. Mais le gouvernement a également un siège. Ce siège est sacré parce que le citoyen a, à son égard un lien plus spirituel que structurel.
4°) Porto-Novo, en permanence ? Assurément ! A la réalité, il se pose un vrai problème de déplacement : celui du siège du gouvernement à Porto-Novo. Cela ne devrait plus être un projet ou un programme politique, mais une exigence démocratique et juridique. Le Conseil des ministres doit s’y réunir. S’il existe une seule case à Porto-Novo, habitable par les êtres humains, le Gouvernement doit y trouver sa place. Il faut que le siège factuel retrouve le siège juridique, que la réalité se conforme au droit.
N’est-il pas dans les habitudes de ce peuple d’habiter les constructions en chantier afin de mieux les finaliser ? Porto-Novo est un grand chantier. Mais il faut, au Gouvernement, de l’habiter sans retard. Rejoindre Porto-Novo en son état actuel semble, pour lui, la condition nécessaire à la construction d’une réelle et vraie capitale. Mais cette décision, sans aucun doute, attendra encore. Mais, peut-on espérer, plus pour longtemps…
Joseph DJOGBENOU
Agrégé des facultés de droit
Avocat