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La Nation N° 5973 du 23/4/2014

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Artisanat : Adjarra, royaume du tam-tam
Publié le jeudi 24 avril 2014   |  La Nation




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Impossible d’arriver au marché d’Adjarra, quel que soit le jour, sans remarquer les tam-tams de toutes tailles et de tous coloris. Si Adjarra est le royaume du tam-tam, le quartier Aholouko en est le siège et le trône est occupé par la famille Kpodozan ; le souverain régnant étant en ce moment Augustin. Dans quelques années, il abdiquera peut-être pour laisser le pouvoir à l’un de ses fils. L’art de fabrication du tam-tam se transmet ici, en effet, de père en fils.



Par Wilfried Léandre HOUNGBEDJI


La cinquantaine largement conquise, Augustin Kpodozan s’en va résolument annexer les 60 ans. A cet âge où il envisagerait la retraite s’il avait été un travailleur assujetti à la sécurité sociale, Augustin ne se voit pas cesser ses activités. C’est que le tam-tam, est son univers, sa vie. Il faut savoir qu’il s’applique à en fabriquer depuis près de 50 ans pour comprendre cet attachement. C’est de son père qui, à l’époque ne scolarisa que quelques-uns de ses fils, qu’il tient son art ; ce dernier le tenant aussi de son géniteur…

Très tôt donc, Augustin se mit à l’art du tam-tam. Et depuis tant d’années, il répète mécaniquement, non sans passion et engagement, les mêmes gestes, certains moins qu’hier parce qu’il bénéficie de l’appui de ses fils. Lui qui a « un peu plus de quatre enfants» les a tous scolarisés et n’est pas peu fier de leurs parcours, même si la crise de l’emploi faisant son œuvre, certains ont des diplômes mais n’ont toujours pas trouvé du travail.

Ce sont ses fils, Alain, instituteur formé à l’Ecole normale d’Instituteurs de Porto-Novo qui n’entend « pas enseigner si ce n’est comme fonctionnaire, le privé ne payant pas bien » ; et Samson, titulaire d’un BAC G2, qui l’aident et qui s’associent à lui pour nous enseigner l’art du tam-tam.
Choix méticuleux des intrants et… totems


La fabrication du tam-tam commence par la sélection des troncs d’arbre. Depuis les anciens, au moins du temps du grand-père d’Augustin, il fallait parcourir quelques kilomètres pour gagner un bas-fond ou un marigot dans le village et y couper des arbres puis mettre les troncs en billes. Aujourd’hui encore, il va quelques fois en chercher en personne ou en achète. Ses favoris : l’arbre dénommé Afanlin et un autre dénommé Whètin (ou Samba).

Mais il ne suffit pas de voir cet arbre pour se décider à le prendre. Augustin jauge sa circonférence et inventorie la régularité du tronc. Ce rituel est capital pour lui qui sait que son travail s’exporte et que sa réputation est en jeu. Il faut, explique-t-il, « veiller à la qualité du bois car chaque tam-tam a sa particularité et il faut le fabriquer en fonction des rythmes et sonorités auxquels il est destiné».

Et si la qualité du bois préoccupe tant, c’est que si le choix est mal fait, le tam-tam pourrait ne pas durer, le bois étant dévoré par les termites. « Le même risque guette tout tam-tam dont le bois a été coupé pendant la période de pleine lune, ou par quelqu’un qui, dans les 48h précédant l’abattage de l’arbre qui y servira, aura entretenu des rapports sexuels », enseigne Augustin.

Or, assure-t-il, si le bois est coupé dans les conditions requises, le tam-tam peut durer longtemps, très longtemps. Augustin souligne d’ailleurs qu’il y en a encore dans la famille de plus âgé que lui-même ! «Tout au plus le cuir pourrait se dilater avec le temps, mais on le refait» précise-t-il.Si hier il fallait juste parcourir quelques kilomètres dans le village pour trouver du bois, les réalités sont autres aujourd’hui.

« A force de couper du Afanlin au marigot dit Hounsoutokpa, on n’en trouve plus aujourd’hui. Les forestiers nous obligent d’ailleurs désormais à en planter au moins un pour chaque pied coupé», expliquent Alain et Samson. «Nous allons vers Pobè, voire au Nigeria pour en chercher. Nous en assurons le transport par pirogue jusqu’au village et les convoyons vers la maison en voiture», poursuivent-ils
Religion et modernité

Le père Augustin est assis sous son hangar devant la maison familiale quand nous le rencontrons ce lundi 7 avril 2014 vers 14h. Il y a pris place « depuis 8h du matin ». Il en va ainsi tous les jours sauf dimanche, jour du seigneur. Car, Augustin s’est converti au christianisme et s’applique à honorer son Dieu.

Ses parents, eux, adoraient les dieux tutélaires du village et de la famille, les vodouns. Mais «il y avait trop de problèmes, les enfants tombaient gravement malades, d’autres mouraient». C’est ce qui l’a tourné vers l’église catholique et, «depuis que nous y sommes, j’ai la paix car je ne connais pas ces problèmes que vivaient mes parents », soutient-il. Chaque jour, ce sont au moins deux tam-tams qu’il fabrique.

Chacun d’eux lui coûte au moins trois heures de travail assidu qui nécessite de la force, souffle-t-il. Ce qui n’est pas de nature à le décourager. Au contraire, fier de ce que ses clients viennent tant du Bénin que du Togo, du Nigeria, de la Côte-d’Ivoire et même d’Occident (les touristes essentiellement), il entend s’y appliquer et dénoncer les amateurs qui prennent d’assaut le secteur, sans aucun égard pour les normes et totems ; ce qui pourrait, à terme, ternir la réputation du village.

Lui qui en fabrique aussi sur commande, dit vendre au moins 20 tam-tams par mois et gagner au moins 2 millions de FCFA par an. Il est, par ailleurs, très fier que ses ''Awangbahoun'' soient utilisés par les chorales religieuses catholiques, certains cultes comme le christianisme céleste, Thron; que ses djembés, gangan et autres attirent toujours du monde ; les prix variant en fonction de la taille des tam-tams, des rythmes auxquels ils sont destinés, de la qualité de leur finition aussi.

C’est pour maintenir la tendance à la modernité et à toujours plus de qualité que les fils Kpodozan, Alain et Samson, travaillent à apporter une plus-value au travail du père. Eux qui exécutent aussi des commandes propres, utilisent les outils du ‘’vieux’’ parce que «lui aussi utilisait ceux de son père. Mais ils l’aident aussi à exécuter ses commandes.

«Nous apportons l’esthétique et nous avons mis au point d’autres techniques pour creuser les troncs d’arbre afin d’aller vite», révèlent-ils. En termes de techniques modernes, Alain et Samson recourent à une tronçonneuse là où le père est toujours au burin. Ils travaillent à mieux polir la paroi extérieure des tam-tams. Ils y tracent des dessins et autres mentions demandés par les clients.

Ils personnalisent donc les tam-tams. Il faut parcourir les étals de la famille aux abords du marché pour s’en convaincre. Et si les étals se retrouvent aujourd’hui aux abords du marché alors qu’il y a quelques années encore les tam-tams étaient exposés au cœur même du marché d’Adjarra, c’est parce que les touristes et autres clients ne peuvent pas y aller avec leurs voitures.
Pas de tam-tam sans cuir

Il ne suffit pas d’avoir du bon bois, ni de bien le tailler. Sans cuir, pas de tam-tam. C’est ce matériau qui entre dans la finition. Pour avoir les sonorités, pour que le tam-tam soit et résonne, il faut en effet recouvrir le bois creusé et poli de cuir. Augustin Kpodozan et ses enfants, faute d’élever eux-mêmes de nombreux animaux, en achètent. Pour ce faire, ils vont à Zongo (Cotonou) où on abat beaucoup de moutons. Dans ce domaine, la peau de mouton est effectivement celle requise.

Pourquoi ? «La peau de bœuf est trop épaisse, celle du porc davantage. Donc on ne peut les utiliser pour la cause, même si la peau de bœuf est utilisée dans la fabrication d’un tam-tam particulier, le Satô», enseigne Augustin, ajoutant que la peau d’antilope était aussi utilisée mais qu’on n’en trouve plus, interdiction étant faite d’abattre désormais cet animal dans les forêts classées.

Si le tam-tam nourrit ses acteurs, il procure aussi quelque recette à la mairie, estiment les acteurs de la filière tam-tam d’Adjarra, qui disent payer une patente de 45 000 F CFA à peu près par an, que la mairie s’emploie à récupérer. Par contre, déplorent-ils, «la mairie elle ne fait rien pour nous».Ils espèrent qu’un jour, les autorités politico-administratives d’Adjarra comprendront ce que représente le tam-tam pour la commune. Alors, Adjarra aura peut-être son festival des tam-tams…

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