La chose semble être passée inaperçue. A part quelques bruits émanant du Syndicat des travailleurs de l’Administration Centrale des Finances (Syntracef), personne ne s’en émeut outre mesure.
Et pourtant ce dossier mérite toute notre attention car il dégage une puanteur à la dimension du niveau de crétinisation et de pourriture que nous atteignons dans la quête légitime du développement de notre pays. La jeune dame sauvée de justesse par le Médiateur de la République aurait pu passer à la trappe si une âme sensible et avertie ne l’avait réveillée à temps pour réclamer ses droits. Et je pense que loin d’être un cas isolé, ce cas est la face cachée de l’iceberg.
Le processus de crétinisation a commencé depuis longtemps
Il y quelques mois, j’ai indiqué qu’il y a une règle non écrite des quotas qui est en cours de mise en œuvre dans notre pays et qui laisse insidieusement sur les carreaux, de braves et intelligents filles et fils de ce pays qui accomplissent de brillantes études dans nos structures de formations et qui de façon répétitives échouent au concours de recrutement. Par contre, parce qu’ils sont originaires de certaines régions de notre pays, des béninoises et des béninois se retrouvent un jour par enchantement dans l’administration, parfois sans jamais avoir mis les pieds dans une salle de composition.Cette situation que certains feignent de ne pas connaitre et dont d’autres s’accommodent parce que cela bénéficie à leurs proches, persiste depuis de nombreuses années, grâce à un système mis en place pour remplir la fonction publique béninoise de cousins, de nièces, de co-régionnaires, de coreligionnaires, d’enfants d’amis politiques et que sais-je encore. Avec ce qui vient de se passer dans le cadre du concours de recrutement des agents de l’administration des régies financières, on se rend compte que ce n’est plus simplement la politique des quotas qui est en marche, mais aussi la substitution de noms de candidats, après la délibération du concours. Cette affaire qui jette le discrédit sur notre administration est la preuve palpable de ce que ceux qui dirigent notre pays ont décidé d’en faire. C’est aussi l’illustration du manque de sérieux et de l’entêtement de ceux qui nous dirigent à ternir l’image de notre pays qui, de plus en plus, se classe dernier toute catégorie dans la sous-région et dans un monde en rude compétition. Commencé subtilement sous le régime du Général Mathieu Kérékou, le système se perfectionne au fil des années, faisant de notre administration, tout sauf l’administration de développement qui est chantée par les dirigeants du pays et leurs chantres.
Le Médiateur de la République oui, mais…
Dans un pays sérieux, a-t-on vraiment besoin que des individus saisissent le Médiateur de la République pour avoir passé un concours ? Nous devons peut-être reconnaitre l’efficacité du Médiateur sur ce dossier, mais cela est-il un bon exemple ? Certes, le règlement du dossier est une victoire pour la plaignante, mais est-il une victoire pour notre administration ? Si nous voulons que notre pays se développe, nous devons avoir le courage de dire définitivement non à certaines pratiques. Il n’est pas à l’honneur de notre pays, ni dans notre intérêt à tous que des situations de ce genre se produisent impunément. La réaction du Ministre de la Fonction Publique telle que rapportée par la presse fait honte. Point n’est besoin de rappeler que le Syntracef avait déjà tiré la sonnette d’alarme avant l’organisation de ce concours. Mais habitué qu’il est au forcing et dans sa volonté d’accomplir son plan d’intérêts immédiats qui hypothèque l’avenir de notre pays, le gouvernement a fait la sourde oreille en organisant ce concours dans les conditions habituelles d’opacité et de mépris de l’intelligence et de l’excellence. La réaction du Ministre de la Fonction Publique jetant à la vindicte certains de ses collaborateurs, cache mal le malaise. C’est une plaie qui a trop duré, qui commence à gangrener notre administration car les conséquences sont visibles d’une administration où des gens passent des concours dans une région et réussissent avec une moyenne exécrable, sont affectés a Cotonou et parfois obtiennent, après quelques années, des postes de responsabilité. Il n’y a pas longtemps, des dizaines de stagiaires ont été recalés à l’Ecole de formation des agents des Douanes à Porto-Novo. De l’avis de la presse, des pressions exercées par des parrains pour faire passer leurs ouailles n’ont pu avoir raison des responsables de cette école. Si cela est vrai, ce comportement est à leur honneur et qu’ils en soient salués.
Le temps d’agir
Aucun pays au monde ne s’est développé sans avoir recours à ses ressources humaines de qualité. Cela est plus vrai pour les pays qui n’ont pas de ressources minières et énergétiques comme le Benin et qui se positionnent comme une économie de services. Pourquoi certains membres du gouvernement, y compris le Chef de l’Etat lui-même s’évertuent à justifier la faible croissance de l’économie béninoise par le manque de ressources minières et énergétiques (ce qui n’est pas forcement vrai) et dans le même temps créent les conditions d’une administration médiocre ? C’est une contradiction qui traduit leur manque de vision et même leur absence de compréhension des leviers de la croissance.
Au cours de ces sept dernières années, il semble qu’une sorte d’omerta s’est abattue sur notre pays, contraignant tout le monde au silence. Tout le monde se tait en raison du climat d’intimidation savamment créé par le pouvoir en place et qui lui permet d’abuser de tous, à tout moment, et de poursuivre ceux qui ont encore le courage de s’exprimer devant « sa justice ». Ainsi, acceptons-nous tout dans la fatalité. Beaucoup appellent Dieu au secours. Nous ne devons pas oublier que Dieu n’aide que ceux qui entreprennent de se prendre en charge, et notre peuple qui accepte aujourd’hui les pires humiliations et une pauvreté gratuitement et cyniquement entretenue doit le savoir. Combien sont les Béninois capables de saisir le Médiateur pour des cas analogues? Combien de gens seront-ils informés de leur cas comme cette jeune dame chanceuse [pour saisir le Médiateur]? Et pendant combien d’années allons-nous encore supporter la situation qui prévaut aujourd’hui dans l’organisation des concours?
Le gouvernement actuel porte la lourde responsabilité d’agir pour mettre une fin définitive à ces pratiques éculées génératrices de médiocrité. Les partis politiques dits de l’opposition et la société civile, des personnalités qui sont encore crédibles dans notre société, ont aussi le devoir d’agir maintenant, d’exiger un audit complet des concours organisés au cours des 10 dernières années. De ceux qu’on proclame admis, des personnes sans voix susurrent que certains ne ce seraient même pas présentés dans les salles de concours. Ce combat n’est pas seulement celui des syndicats, c’est une œuvre de salubrité nationale pour que notre pays retrouve ses lettres de noblesse et construise une économie soutenue par une administration compétente et moderne. Il est temps que la vérité éclate et que justice soit rendue. Nous y avons tous intérêt.