Après qu’il eut passé 21 ans sur le trône, une majorité de princes jugea trop cruelles les manières du roi Adandozan. Pour en finir avec la peur, ils complotèrent et le déposèrent en 1818. Le fait est unique dans l’histoire d’Abomey. Le peuple sujet fut lui aussi soulagé. Jusqu’à sa mort, plus de vingt ans plus tard, l’ex roi fut confiné dans une dépendance du palais, où il eut droit à étiquette et obsèques royales, en toute discrétion toutefois, car l’on avait également arraché son nom de la liste des monarques, afin que nul n’aille penser qu’il a jamais existé et, surtout, qu’il a été roi et cessé de l’être de son vivant. Inimaginable !
Mais voilà que, patatras, à la fin du mois de mars 2014, des universitaires béninois se réunirent en grand colloque et réhabilitèrent Adandozan au motif que, loin d’être plus cruel qu’un autre, il fut, au contraire, parmi les plus gentils, une sorte de ‘‘révolutionnaire’’ (sic), et que les siens l’avaient noirci, précisément ‘‘diabolisé’’ (sic) parce que, justement, c’était ‘‘un roi un peu en avance sur son temps’’ (sic). Nous fûmes dès lors quelques-uns, à pasticher le titre d’un roman lu au collège, pour nous demander, attristés : ‘‘Qui j’ose réhabiliter ?’’
Adandozan, comme l’écrivent Paul Hazoumê et Maurice Ahanhanzo Glèlè, faisait-il éventrer des femmes enceintes pour apporter la preuve à son interlocuteur qu’il avait deviné avec justesse le sexe de l’embryon ? Si oui, Adandozan était viscéralement incapable d’avoir la moindre notion de ce que nous appelons aujourd’hui droits de l’homme, genre, droits des enfants. Adandozan, comme l’écrivent encore nos deux auteurs, voulait-il que les princes aussi fussent objets à marchander pour l’esclavage et à égorger pour les sacrifices humains, et avait-il commencé à illustrer son désir en vendant la mère de son frère consanguin aux Portugais ? Si oui, Adandozan n’aurait jamais cautionné l’abolition de l’esclave décrétée par les acheteurs ni la fin des sacrifices humains décrétée par les princes d’Abomey sous la pression des colonisateurs. Adandozan, comme l’écrit Maurice Ahanhanzo Glèlè, a-t-il, vers la fin de sa vie, comploté avec l’un de ses fils pour incendier le palais et est-il sorti pour contempler les flammes ravageuses ? Si oui, Adandozan était un homme très ordinaire, haineux et vindicatif, sans aucune notion du bien public, et dont les colères (son nom de règne, Adandozan, signifie ‘‘la colère a déroulé sa natte’’), dans leurs manifestations visibles, pouvaient le faire apparaître comme le doublon de quelque fauve.
Si nos deux éminents auteurs n’ont pas fait des cauchemars, par quel côté et sous quels aspects Adandozan fut-il ‘‘un roi un peu en avance sur son temps’’ ? Les rappels historiques ci-dessus amènent à ne plus pasticher Hervé Bazin et à poser comme lui simplement la question : ‘‘Qui j’ose Aimer ?’’ Néron, Adandozan ou Hitler ? Le bel élan qui nous porte à chercher des modèles de grandeur dans notre propre histoire ne doit pas nous pousser à faire aimer l’immoralité à nos enfants et petits-enfants en prenant le risque – trop grave – de leur faire admettre que, par patriotisme ou nationalisme, on peut louer la barbarie, pactiser avec la barbarie.
Non ! A nos enfants et petits-enfants nous avons l’unique devoir d’apprendre à n’aimer que les choses et les gens aimables. Le choix ne peut donc pas être entre Néron, Adandozan ou Hitler, alors que nous avons Mandela et Sankara. Il y aura toujours de l’ombre pour rendre témoignage de la lumière, mais la lumière doit toujours l’emporter sur l’ombre pour que les choses et les gens puissent être dits aimables.
Or l’ombre l’emportait manifestement chez Adandozan, qu’il convient de laisser pour toujours dans le trou méphistophélique où les princes d’Abomey l’ont enfermé. Quitte à espérer qu’un colloque se penchera un jour sur la grave question de savoir pourquoi le Bénin peine à trouver dans sa propre histoire des modèles de grandeur et de lumière, manière Mandela ou Sankara, humbles et lumineux porteurs du meilleur de l’homme partout.