Allure insondable, ce sexagénaire d’une réputation qui force l’admiration est à la limite un pédagogue du théâtre. Fin dans ses œuvres artistiques et créations qui dégagent à l’extrême le professionnalisme, Alougbine Dine est sympathiquement surnommé ‘’Esthète ‘’ pour son goût prononcé du beau. « Je reste admiratif devant tout ce qui est sain, beau… », confesse-t-il, très enthousiaste.
Et pour dire vrai, cet homme aux cheveux grisonnants, ‘taillé’ dans du noir africain, exulte devant du bon vain, la bonne nourriture et la belle femme. L’air innocent et souvent placide, il sait donc concilier l’art vivant et la vie malgré le poids de l’âge, 62 ans.
Du haut de ses 1m 60 environ, Alougbine Dine qui n’éprouve nullement le moindre gêne pour sa petite taille, voit bien loin l’avenir du théâtre, cet art dont il est un homme à tout faire : comédien, scénographe, metteur en scène, etc. « Le professionnalisme aujourd’hui ne se vit pas au niveau du théâtre béninois », s’indigne-t-il, versant dans son difficile et riche parcours depuis 1973.
Il s’est complètement offert, tel un obsédé mais affranchi, au théâtre parfois contre la volonté de ses géniteurs. « Je ne regrette pas mes oppositions … parce que le théâtre m’a ouvert le monde et j’en vis pleinement», martèle-t-il, geignant le niveau de cet art chez lui ; lui qui à l’entame de sa carrière solo à Porto-Novo, proposait aux lycéens et collégiens des parties de récital contre des jetons, 50, 100 Francs Cfa.
Alougbine Dine, aujourd’hui virtuose du théâtre, s’irrite de cette loge d’honneur conférée à des personnes qui sont tout sauf de vrais professionnels. Leur savoir sot du théâtre, hélas, déteint sur l’image de cette discipline toujours amateur et le Fitheb qui bégaie, balbutie à chaque édition. « Depuis des années, on n’a pas su faire du Fitheb un événement attendu et célébré par les Béninois ; On devrait faire immigrer le Fitheb vers toutes les régions, amener tout le monde au festival. Le Fitheb n’est pas un festival d’élite », lâche-t-il, plongeant son regard dans la verdure de l’Institut Français de Cotonou, un lieu de scène pour ce metteur en scène.
Plus posé, l’ancien directeur du Festival international de théâtre du Bénin (en 2002) fait la peinture des obstacles du festival : « Les maux du Fitheb sont les permanentes malentendus entre acteurs et le choix approximatif des directeurs qui ne débordent pas d’imaginations ».
Après quarante ans de vie professionnelle comme un véritable « fou » de cet art vivant, partagé entre le Bénin, le Gabon et l’Europe, Dine se veut conciliant: «Que le Fitheb devient une vraie nourriture spirituelle pour les populations ».
Ancien membre de l’Ensemble Artistique Zama-Hara de Porto-Novo, 1975-1985, dix ans durant, et du Ballet National du Bénin, Alougbine dresse ce portrait robot : « le directeur du Fitheb doit être un rassembleur, un visionnaire, un rêveur ; il doit être intelligent, avoir un esprit de synthèse et le réflexe approprié. S’il n’a pas d’ambitions, il aura du mal à réussir. La réussite du festival passe par la mobilisation des populations…»
Alougbine Dine fustige, à cet effet, le choix de certains sites et cadres qui abritent le Fitheb. Pour ce diplômé de l’Ecole Nationale d’Art et de Manufacture (ENAM) du Gabon et fondateur de l’Atelier Nomade avec lequel il a animé 30 stages de jeu d’acteur à travers quatorze pays d’Afrique et d’Europe, le Fitheb ne doit s’organiser dans des salles climatisées comme le Palais des congrès. « Devant le stade de l’Amitié de Kouhounou qui est un lieu de grande rencontre, on peut mobiliser du monde autour du festival sans trop de peines », suggère-t-il.
Son souci d’offrir au Bénin et à l’Afrique une nouvelle génération de professionnels du théâtre fouette son imagination, créant en 2004 l’Ecole Internationale de Théâtre du Bénin. Promoteur de l’EITB, Alougbine Dine sort une première promotion de sept élèves venant de trois pays (Bénin, Togo, Niger) en septembre 2006. La seconde promotion composée de six élèves (Bénin, Togo, Niger, Burkina) a terminé son cursus en décembre 2010. « La troisième promotion est à l’œuvre », renseigne l’homme, impatient de voir émerger le théâtre béninois. Son défi immédiat: rapprocher le théâtre du bas peuple. « Il faut qu’on arrête nos bagarres pour construire un théâtre fort pour notre pays. Et avec plus de sincérité dans nos relations, le théâtre se portera mieux pour nous tous acteurs », conseille-t-il, rempli d’espoir.
Marié à 49 ans, père de quatre enfants, Alougbine Dine renonce sans ambages à un poste ministériel parce que : « Je suis un insoumis ! »