La première session de la Cour d’assises d’Abomey a épluché vendredi 19 avril 2013, son dix-neuvième dossier dans lequel Dame Adjoua Blèossi a comparu pour déplacement illégal de mineure, traite de mineur et complicité. Dans ce dossier, elle a été condamnée à 5ans de réclusion.
Les faits, objet de ce dossier inscrit au rôle de cette première session de la cour d’assises d’Abomey année 2013 remontent en 2006. En effet, courant cette année 2006, le couple Emmanuel Gbélé et Adjoua Blèossi se rend au Togo auprès du nommé Mianikpo Amou pour négocier avec ce dernier le départ de Houéfa Amou, sa fille mineure, alors âgée de treize ans, pour le Nigéria. N’ayant plus aucune nouvelle de sa progéniture, Mianikpo Amou part à sa recherche. Au Nigeria, il la retrouve auprès d’une El Hadja nommée Koudiratou qui s’oppose à ce qu’elle suive son père pour rejoindre sa famille. En désespoir de cause, Mianikpo Amou revient bredouille au Bénin et décède des suites de ses chagrins. Les recherches entamées par son frère Jérémie Amou permettent d’appréhender le couple Emmanuel Gbélé et Adjoua Blèossi. Le bulletin n°1 de leur cassier judiciaire ne mentionne aucune condamnation antérieure. L’enquête de moralité est favorable à l’accusée Adjoua Blèossi. L’expertise médico-psychiatrique révèle qu’elle était saine d’esprit au moment des faits. Quant à son co-accusé, Emmanuel Gbélé ou son mari, bien qu’ayant pris l’engagement devant le magistrat instructeur de ramener au bercail, Houéfa Amou et poursuivi sans mandat de dépôt, n’a pas honoré ses engagements et a disparu. Par conséquent, il n’a pas pu faire l’objet ni d’enquête de moralité ni d’expertise médico psychologique. A la barre, il n’a pas cru devoir se présenter. Son cas a été alors disjoint et renvoyé à une session ultérieure. Poursuivi pour déplacement illégal de mineure, traite de mineure et complicité, faits prévus et punis par les articles 59, 03, 07, 12, 15,18 et 21 de la loi 2006-24 du 05 avril 2006 portant conditions de déplacement des mineures et répression de la traite des enfants en République du Bénin, Adjoua Bléossi a reconnue les faits à toutes les étapes de la procédure. Devant la Cour présidée par Victor Fatindé, l’accusée est restée constante dans sa déclaration et soutient que l’enfant avait 18ans environ au moment des faits. Cependant, la Cour toujours septique, la soumet à une série de questions pour faire rejaillir la vérité. « N’as-tu pas l’habitude de fournir des enfants à Koudiratou ? », interroge le président. « Non ! » répond l’accusée. « Ton entourage reconnait que tu vis de ce commerce. Qu’en dis-tu ? », demande Victor Fatindé. « Je n’exerce pas ce commerce », déclare Adjoua en ajoutant qu’elle avait placé trois enfants. Deux sont déjà rentrées au village et il reste Houéfa seule au Nigeria. « Mais dans quel intérêt ? », insiste le président de la Cour. « Pour devenir domestique, avoir de l’argent et comprendre la langue » précise l’accusée. « Quel rôle as-tu joué dans cette affaire de Houéfa ? Et combien as-tu reçu ? », poursuit le magistrat. « C’est moi qui suis partie la placée auprès de El Hadja en compagnie de son père. J’ai reçu 2000 nairas comme frais de voyage », clarifie-t-elle. Selon la convention qui a été conclue entre les deux parties, Houéfa est rémunérée au bout de chaque six mois au prix de 9000 nairas soit 1500 nairas/mois. A la fin de l’échéance, le salaire doit être payé en présence du père de la fille et d’Adjoua. A en croire l’accusée, elle n’a rien perçu du salaire de Houéfa avant que la justice ne soit venue la chercher. Elle affirme qu’elle ne savait pas que le déplacement des mineures est réprimé par la loi. A la suite de l’accusée, Jérémie Amou, c’est, l’oncle paternel de la file placée, qui déposera à titre plaignant. Il ressort de ses déclarations que sa nièce Houéfa n’avait pas 18 ans. S’il ne se constitue pas la partie civile, il tient à ce que sa nièce revienne au bercail.
Les réquisitions du ministère public
« Il ne faut pas faire fortune en chosifiant les enfants des autres », note Zacharie Dah-Sèkpo, Avocat général à l’entame de ses réquisitions en précisant que Dame Adjoua Bléossi l’a cependant fait. Après avoir apprécié les faits à la lumière des dispositions 354 du Code pénal et 3, 7, 12, 15, 18 et 21 de la loi 2006-04 du 5 avril 2006 portant conditions de déplacement des mineurs et répression de la traite des enfants en République du Bénin, le Ministère public a dans son argumentaire énuméré les trois conditions dans lesquelles l’infraction de déplacement illégal de mineure serait constituée. Selon lui, la fille doit avoir moins de 18 ans ; le déplacement se fait sans le consentement des parents ; et la troisième condition, le déplacement se fait sans autorisation. Dans le cas d’espèce, il soutient que la fille Houéfa n’avait pas 18 ans. Mais, il se rend compte que le déplacement s’était fait avec le consentement des parents et sans autorisation. Alors, il conclut que l’infraction de déplacement illégal de mineure n’est pas constituée. Ainsi, il demande à la Cour de décharger l’accusée Adjoua Bléossi de cette infraction. Quant à la traite de mineure, elle est bien constituée, aux dires de Zacharie Dah-Sèkpo. Il soutient cette thèse par le fait que l’accusée a conclu une convention à titre onéreux avec Dame Koudiratou pour aliéner la liberté de la petite Houéfa. Il requiert que la Cour la déclare coupable des faits de traite et la condamne à 10 ans de travaux forcés.
La répression d’accord mais texte légal d’abord
La défense assurée par les Avocats Lucresse Sakponou et Brice Tohoungba partage le point de vue du ministère par rapport à l’infraction de traite de mineur dont il tente d’accuser leur cliente. Pour elle, s’il n’y a pas de loi qui prévoit et punit les faits en cause, aucune répression n’est possible. Dans sa plaidoirie, Me Sakponou fait observer que la loi 2006-04 du 5 avril 2006 sur laquelle se base la partie poursuivante est entrée en vigueur le 1er septembre 2006, donc après la commission des faits. « Les faits incriminés remontent à 2005 » précise-t-elle. Brice Tohoungba appuie sa collègue en précisant que l’élément légal fait défaut pour pouvoir punir sa cliente par rapport à traite de mineure. « La répression d’accord, mais texte légal d’abord », martèle-t-il pour inviter les jurés à rester vigilant lors de la délibération. En somme, la défense plaide un acquittement pur et simple de l’accusée pour défaut d’élément légal au moment des faits. La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi déclare la nommée Adjoua Bléossi coupable des faits de traite de mineure. Elle la condamne à 5 ans de réclusion criminelle et au paiement des frais. Pour avoir passé 5ans 02 mois et 08 jours environ en prison, Dame Adjoua Bléossi est libre de ses mouvements.