Il est une pièce remarquable dans le paysage théâtral béninois. Kokou Yèmadjè fait partie aujourd’hui des plus influents acteurs de scène qui, d’une façon ou d’une autre, font la fierté du Bénin en matière d’art dramatique. A lui seul, comédien, metteur en scène, humoriste et dramaturge, l’artiste a déjà fait parler de lui au-delà des frontières béninoises. Il consacre sa polyvalence et son talent à l’évolution du théâtre béninois.
« Tu as beau être le plus bon du monde quel que soit le domaine, quel que soit la façon de vivre,il y aura toujours quelqu’un qui te trouvera mal », a laissé entendre Kokou Yèmadjè pour afficher son indifférence face aux regards des autres sur sa personne ou sur ce qu’il pratique comme activité. De teint noir et d’une corpulence moyennement opulente,l’homme de théâtre présente une apparence modeste qui laisse entrevoirl’aplatissement de tout comportement orgueilleux.« Tout être humain est forcément l’égoïste de l’un ou l’extraverti de l’autre. Mais moi, ce qui m’importe,ce n’est pas la façon dont les gens me voient. Ça ne me dit absolument rien. Ce qui m’intéresse, c’est, qu’est-ce que je fais pour ne pas déranger mon prochain, qu’est-ce que je peux faire pour apporter du plaisir à l’autre »,a mentionné Yèmadjè.Aujourd’hui, il n’est plus facile pour le comédien de répondre à toutes les provocations. Le poids de l’âge l’aurait refroidi et assagi. «Avec l’âge, aujourd’hui, j’apprends à voir les choses autrement. Sinon, quand j’étais plus jeune, j’étais plus prompt à réagir en cas d’offense», a-t-il fait savoir.Son regard avide et lourd charrie sa rigueur, sa vigueur et toute sa sincérité. « Au travail, par exemple, un comédien peut me trouver sévère. Au boulot, je fous la pression à fond. Je travaille sur un rythme effréné. Au boulot, je ne fais pas de cadeau et c’est ça ce que les gens appellent la pression»,a souligné le metteur en scène pour marquer un de ses points privilégiés d’ardeur, le travail.Lorsqu’il est invité à table, KokouYèmadjè aime se régaler avec la bière et du bon vin. Comme mets, en bon Aboméen, le comédien raffole de la pâte de maïs, surtout quand elle est recyclée (Wôkoli en langue fon), accompagné de sauce de légumefeuille (Fonman et Amanvivè(vernonia) : deux variétésde feuilles à vertu, essentiellement prisées dans la préparation de la sauce au sud du Bénin). « Je peux te le manger 365 sur 365. Vraiment, ce n’est pas de la blague, c’est ce que je peux manger sans me fatiguer»,a-t-il insisté avant d’ajouter qu’il aime aussi les tubercules.« J’aime manger très simple en tout cas ». Par ailleurs, Yèmadjè ne serait pas de ceux qui soutiennent que l’alcool ou les stimulants en général permettent de bien garder la scène. « Quand j’ai dit que j’aime prendre le vin, il ne s’agit pas pour moi de prendre l’alcool avant d’aller sur scène. Je parlais de ce que je prends juste en apéritif avant de manger. Je monte sur scène sain. Je bois de l’eau et je prends des fruits». Parlant de couleur, l’acteur de scène semble être hostile aux couleurs très éclatantes.« Dans le domaine vestimentaire, j’aime bien le bleu nuit, le bleu ciel et le blanc », a-t-il énuméré avant d’avancer que dans d’autres domaines, le vert fait son affaire. « J’aime parfois décorer les petit coins de ma maison avec du vert ». Dire la vérité et rien que la vérité à Yèmadjè serait le gage de s’assurer de sa confiance aux autres et le critiquer dans son dos est ce qu’il n’arrive pas à pardonner. « Mieux vaut être sincère, franc et avoir le courage de dire ouvertement ce qu’on pense de moi en ma présence », a-t-il conclu.
Yèmadjè et sa carrière
Le début de sa carrière remonte à 1997. A en croire l’acteur, il a commencé sur les bancs. « Au cours primaire, je faisais déjà du théâtre et partout où je suis passé dans les collèges,j’instaurais une troupe de théâtre que je dirigeais. Donc, je m’essayais à l’écriture, à la mise en scène et au jeu. C’est quand,plus tard,je me suis engagé à pratiquer le théâtre que j’ai choisi de jouer », a-t-il fait savoir. Mais cela n’a pas duré longtemps. La pratique de cet art étant d’une fréquence rare, le comédien a rapidement fait l’option de jumeler le jeu à la mise en scène pour rompre avec l’ennui.Et pour la petite histoire, KokouYèmadjè, pour en arriver là où il est,a dû affronter l’opposition farouche de sa génitrice qui lui faisait comprendre qu’il n’était point question d’être exclusivement artiste comédien. « Ce n’était pas que ma mère. Il y a aussi d’autre qui m’ont dit,fais la comédie mais aie un autre boulot à côté. Mais, moi, je voyais des exemples, je voyais des gens qui exerçaient cette activité de façon purement professionnelle et qui étaient, pour moi, comme des professionnels. Je peux citer, en exemple, les gens comme Ousmane Alédji, TolaKoukoui, Alphonse Atakolodjouet bien d’autres ».Comme quoi, le métier de comédien ne nourrit pas son homme, selon certain, mais c’est tout à faire le contraire qu’il faut remarquer avec Yèmadjè. C’est uniquement à cette activité qu’il se consacre aujourd’hui sans grande difficulté apparente. « Jusqu’à ce jour, je n’ai vécu que de ça. J’ai fondé mon foyer. Je paye mon loyer et je vis comme tout le monde tranquillement»,a-t-il fait savoir. A l’en croire, ces avant-gardistes du théâtre béninois qu’il a cités en exemple lui ont,entretemps, servi de terreau. « C’est vraiment une grande chance quand on est jeune comédien et qu’on se retrouve dans une distribution comme ‘’Imonlè’’ qui est une écriture et mise en scène de Ousmane Alédji. Cette création m’a ouvert beaucoup de portes »,s’est-il rappelé pour tirer, soit dit en passant, un chapeau à l’homme. Depuis les années 2000, il a régulièrement pris part, selon ses témoignages, au festival international de théâtre du Bénin(Fitheb). « Sans interruption, j’ai toujours été présent ou en tant que metteur en scène, ou en tant que comédien », a-t-il dit pour focaliser l’attention sur son palmarès.Son talent étant ce qu’il est aujourd’hui, Kokou est l’un des rares comédiens/metteurs en scène béninois sollicité sur les festivals de théâtre d’envergure internationale, aussi bien en Afrique qu’en Europe. « Ce n’est pas comme avant où il faut que je dépose les dossiers. Même tranquille chez moi, on m’appelle pour dire Kokou nous avons besoin de toi sur notre festival ». Ilse dénote donc que l’homme a déjà fait un bout de chemin et vit tant bien que mal de son métier, même si aujourd’hui,il ne jouit pas encore d’une débordante opulence.Chose curieuse, son palmarès n’est pas garni de trophées comme on l’aurait imaginé. Et la raison est bien simple, « je ne postule même pas là où il faut postuler. Pour moi, l’art est quelque chose de subjectif. Donc, ce n’est pas une chose dont on peut se servir pour aller arracher des trophées », a laissé entendre le comédien avant d’indiquer qu’avec ‘’Imonlè’’, plusieurs prix ont été raflés dont celui de la meilleur mise en scène au FESTHEF au Togo ainsi qu’une autre distinction dénommée le prix de la meilleure comédie. « Je pense que le meilleur prix que puisse avoir un comédien ou un metteur en scène, c’est d’être salué par son public, c’est d’être reconnu par le public, c’est quand le public vous salue debout après un spectacle. Et la première fois que cela m’est arrivé, ça va vous surprendre, c’est toujours avec ‘’Imonlè’’ lors du Fitheb 2002 à l’institut Français alors CCF de Cotonou».Ce n’était pas la seule fois, en Côte d’ivoire sur ‘’Confession posthume’’, untexte de OuagabaléDanaïoù l’acteur a joué seul sur scène, étant concomitamment dans le rôle du comédien et du metteur en scène, le Standing Ovation lui a été également décoché, selon ses témoignages.Sur sa création ‘’Le procès de l’oreille rouge’’au Cameroun en 2006 et plein d’autres prestations, KokouYèmadjè affirme avoir joui de ce genre de laurier. Aujourd’hui, son art a déjà promené pas mal de pays aussi bien en Afrique qu’à l’international. Entre autrespays de l’Europe, il a cité la France, la Belgique, la Suisse et l’Allemagne. Sa seule conviction, a-t-il confié, est de mourir grand acteur. Aujourd’hui, il développe avec succès une forme de représentation théâtrale appelée ‘’Stand up’’ ou ‘’Sketch up’’, un monologue interactif entre le comédien et le public s’apparentant à un sketch.
Etude et vie privée
Après l’obtention de son certificat d’étude primaire(CEP) à Parakou, le comédien a poursuivi ses études dans la cité des Ayinonvi où il a décroché le Brevet d’étude du premier cycle(BEPC) et le Baccalauréat série D. En lieu et place d’une longue étude universitaire, le dramaturge est très tôt allé à l’art. « Moi, je ne voulais pas perdre mon temps. Aussitôt après le Bac,j’ai continué avec le théâtre. Ce que j’avais envie de faire était clair dans ma tête. Pour moi, si je devrais aller à l’université, c’était pour aller étudier le théâtre. Donc, je ne suis pas allé parce que je sais que je ne vais pas pouvoir y étudier le théâtre comme je l’aurais souhaité », a-t-il justifié. A l’époque,n’ayant pas les moyens d’accéder à une école professionnelle de théâtre, Yèmadjè s’est hissé au sommet de son art grâce à sa culture personnelle et à la pratique quotidienne de l’art dramatique. « Quand je trouve de l’argent, c’est des bouquins que j’achète. Je continue d’étudier », a-t-il dit pour afficher sa volonté et sa détermination à cerner et développer sa passion. Elevé selon les principes de l’église catholique, Kokou Yèmadjè est aujourd’hui discret dans sa pratique religieuse, mais affirme reconnaitre son Dieu partout où il peut bien se trouver. « Si j’arrive à avoir de bonnes pensées envers quelqu’un, si je lui viens en aide et je l’assiste comme je peux, c’est déjà une façon d’adorer Dieu. C’est tout simplement dire que je résume ma religion aux dix commandements de Dieu et j’essaye au mieux de les pratiquer».Issu d’une famille polygame de plusieurs enfants,KokouYèmadjè est né d’un père instituteur et d’une mère institutrice. Il est père d’un garçon d’environ huit ans.« Mon rêve, c’est de pouvoir voyager un peu partout dans le monde avec mes enfants. Donc, si j’en fait une dizaine, vous voyez qu’il y a problème ».