Kevin Quenum revient dans cet article sur les dernières révélations dans l’affaire Talon, du pardon présidentiel à l’avenir personnel du magnat béninois du coton.
Par Kevin Quenum/Afrika7.com
Après la pluie, le beau temps ; après le pardon, la détente.
Dans une touchante unanimité, la classe politique béninoise a salué la décision du président Yayi Boni, ce 14 mai 2014, d’accorder son pardon aux mis en cause dans les affaires jumelles de tentative d’empoisonnement et de tentative de coup d’état.
De Nicéphore Soglo à Séverin Adjovi, les hommes politiques béninois, à quelques exceptions près, ont salué la sagesse du président de la République, qui a fini par jeter l’éponge dans une affaire où il donnait finalement l’impression d’être sur le radeau de la Méduse.
L’hebdomadaire Jeune Afrique, qui a rencontré le médiateur Hugo Sada, ex-chef de la délégation à la paix, à la démocratie et aux droits de l’Organisation Internationale de la Francophonie et ancien journaliste à l’hebdomadaire panafricain, raconte ce qu’il est possible de raconter, à l’heure actuelle, sur les péripéties qui ont abouti à ce dénouement.
Acte 1 : c’est un Yayi Boni obnubilé par cette affaire, qui aura pourri jusqu’à plus soif son deuxième mandat, qui ouvre son cœur à François Hollande, en marge de la cérémonie d’investiture d’Ibrahim Boubacar Keita, en septembre 2013, à Bamako.
Le président se plaint alors de ce qu’il considère comme les "mauvaises manières" de la partie française à son égard. Il s’indigne de voir la justice française refuser de lui livrer son ennemi public No 1 et de voir les autorités de Paris fermer les yeux sur les activités politiques du magnat du coton.
Rebuffade ferme, mais polie, du président français, qui invoque le principe de la séparation des pouvoirs.François Hollande propose néanmoins une solution négociée…
Yayi Boni, aux abois et sans autre solution de sortie de crise, ne peut qu’accepter.
L’affaire lui colle à la peau comme le sparadrap du capitaine Haddock et il voit bien qu’il lui faut se sortir d’affaire au plus tôt, après les gamelles successives qu’il a ramassées auprès des justices béninoise et française, sans compter le gros discrédit dont il s’est couvert auprès de ses compatriotes.
De retour à Paris, François Hollande demande à sa conseillère Afrique, Hélène Le Gal, de prendre langue avec le secrétaire général de l’OIF, Abdou Diouf, pour sonder le terrain. Paris, à ce moment, est à la recherche d’un médiateur.
Selon des recoupements d’Afrika7, Abdou Diouf s’est en fait contenté de dire qu’il avait pris bonne note de la requête et attendait d’être officiellement saisi. Entre alors dans la danse le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui passe à son tour un coup de fil à Abdou Diouf.
Yayi Boni, selon JA, passe rarement à Paris sans rendre une visite de courtoisie à l’ancien chef d’Etat sénégalais, qu’il considère comme un "grand frère." Quelque temps plus tard, une lettre officielle du Quai d’Orsay charge Abdou Diouf de trouver un médiateur dans la crise entre les deux frères ennemis béninois.
Côté béninois, le président charge son ambassadeur à Paris, Jules-Armand Aniambossou, de suivre pour le compte de l’Etat, l’évolution de la médiation.
Des rencontres secrètes sont organisées à Paris entre Hugo Sada et Patrice Talon. Pendant ce temps, parallèlement aux efforts de médiation, chacun des protagonistes monte les enchères, pour mieux se positionner dans le cadre des négociations en cours, suivant le principe bien connu selon lequel "on ne négocie bien qu’en position de force."
Ainsi, les avocats de Yayi Boni portent plainte contre Patrice Talon pour "blanchiment d’argent" et continuent de harceler l’homme d’affaires devant les tribunaux français, dans l’affaire de tentative d’empoisonnement.
Talon, de son côté, appuie là où le président a le plus mal : la politique.
C’est que ce faiseur de rois connait son Yayi du bout des doigts.
Patrice Talon était – et est peut-être encore - l’alpha et l’Omega de la galaxie Yayi. C’est ainsi que l’homme politique se rapproche d’une bonne partie de la classe politique béninoise, de l’opposition comme de la majorité.
Yayi Boni vit très mal la rencontre à Paris, entre certains de ses partisans et Patrice Talon. Pis, les partisans du président réunis aux côtés de Patrice Talon à Paris, ne se cachent pas d’avoir rencontré l’homme d’affaires.
Talon, qui a de solides relais dans les médias béninois, harcèle quotidiennement le président, par le biais de plusieurs… quotidiens de la place à Cotonou, qui lui sont acquis.
Pourtant, à ce stade, les deux hommes savent qu’il leur faut bien fumer le calumet de la paix.
Yayi est Boni est au bord de la crise de nerfs.
"Il a assez facilement embastillé plusieurs personnalités béninoises, dont M. Séfou Fagbohoun, sa première "prise" à son arrivée au pouvoir. Il aime particulièrement s’en prendre aux puissants, marquer son territoire et montrer que dans la jungle Bénin, c’est bien lui le lion. Seulement, Adjavon et Patrice Talon, deux hommes d’affaires parmi les plus puissants du pays, lui ont prouvé qu’il a beau être président, il y a des limites à l’arbitraire", résume un ancien collaborateur du président, réfugié à Paris.
Procédure bana bana
Acte 2 : au mois de février, Hugo Sada effectue son premier voyage de médiateur à Cotonou, du 23 au 26 février.
Il rencontre le chef de l’Etat béninois pendant cinq heures de temps, dans la discrétion totale. Même certains des plus proches collaborateurs de Yayi Boni n’étaient pas dans la confidence, confie Hugo Sada à Jeune Afrique.
Un couac apparait cependant, dans la médiation : Yayi Boni bombe le torse et exige des excuses écrites de Patrice Talon, avant d’abandonner les poursuites contre lui. Ce dernier refuse toute idée d’excuses, redoutant qu’un document écrit ne soit plus tard utilisé contre lui, dans le cadre d’une procédure bana bana, selon le mot d’un connaisseur du dossier.
A ce moment, le secrétaire général de l’OIF entre en jeu et obtient de Patrice Talon qu’il rédige une lettre manuscrite d’une page. Entre le 30 avril et le 3 mai, Hugo Sada reprend son bâton de pèlerin, non sans avoir assuré par téléphone au président qu’il était en possession de la lettre de Talon.
L’histoire ne dit pas si Yayi Boni a fait expertiser la lettre avant de la lire, au cas où, paranoïa ou réalisme, elle aurait été empoisonnée…
Entre-temps, le médiateur et le président conviennent d’une date pour l’annonce du pardon présidentiel. C’est cela qui a accouché de l’annonce du 14 mai, à la télévision nationale.
Dans sa déclaration, Yayi Boni évoque de manière à peine voilée des excuses que Patrice Talon lui aurait adressées.
Ce dernier dément formellement, tout en admettant avoir formulé des regrets au sujet d’actes qui auraient pu nuire, non à Yayi Boni, mais au Bénin. De toute évidence, l’un des deux protagonistes, aura menti.
Yayi Boni avait besoin d’un geste fort, de mots forts pour justifier ce qui apparait bien aux yeux d’une grande partie de l’opinion comme une capitulation et se ménager une porte de sortie honorable.
Toute autre formulation, de son point de vue, aurait été assimilée à une honte insupportable.
La pilule du pardon
Il n’est donc pas exclu qu’il ait pris certaines libertés avec la sémantique, pour mieux faire passer… la pilule du pardon. Patrice Talon, quant à lui, n’a évidemment aucun intérêt, dans un contexte où il n’a rien lâché, où la justice s’est plusieurs fois prononcé, à Cotonou comme à Paris, en faveur des thèses défendues par ses avocats, à compromettre son image et laisser dans l’opinion le souvenir de l’homme qui a voulu tuer pour l’argent, le pouvoir, ou par vanité.
Il aurait, en s’excusant ouvertement de crimes présumés qu’il aurait commis, couru le risque de passer pour l’assassin qui échappe à la prison par la force de l’oseille.
Un éditorialiste à Cotonou résume ainsi la situation : "Si Patrice Talon n’avait pas eu la puissance financière qu’on lui connait, il y a longtemps qu’il aurait été mis au frais, qu’il ait commis ou pas les délits que le prince lui reproche."
Troisième hypothèse, quoiqu’invraisemblable : celle d’une manipulation des médiateurs, pour qui les détails de l’accord importeraient peu, pourvu qu’il y ait accord."C’eut été trop gros, des personnalités de cette envergure n’auraient jamais pris pareil risque", fait remarquer un habitué des dossiers de médiation.
Afrika 7 a bien essayé de joindre Patrice Talon, qui a expliqué qu’il ne souhaitait pas s’exprimer sur le sujet. Toutefois, nous sommes en mesure de révéler que ce week-end, le magnat de la presse béninoise s’est entouré de son état-major, pour préparer l’avenir.
Certains ont effectué exprès le voyage de Paris pour l’écouter et le conseiller…
Il y en a, dans son entourage, qui le poussent à aller au bout de la logique d’affrontement, en se portant candidat à la présidentielle de 2016. Mais Patrice Talon, bien qu’il en ait l’étoffe, semble pour l’instant préoccupé par la reconstitution de son empire financier.
Pendant qu’il cuvait son exil forcé, à Cotonou, le glaive de la vengeance de Yayi Boni s’est abattu sur toutes ses entreprises, démantelées l’une après l’autre, au nom de la raison d’Etat. De nouvelles négociations devraient avoir lieu sur l’avenir de ces entreprises, et d’éventuelles indemnisations de l’Etat béninois devraient suivre, pour préjudices subis.
C’est à l’aune des résultats de ces négociations que Patrice Talon pourrait décider d’un éventuel retour au Bénin, avec des garanties de sécurité fermes, avec l’onction des médiateurs.