‘‘Libérés mais traumatisés !! Qui réparera les préjudices moraux ? Cette histoire n’est pas close…’’ C’est le contenu d’un SMS reçu après les libérations du lundi 19 mai 2014. L’octogénaire, qui en est l’auteur, s’était retrouvé en exil pendant vingt ans pour échapper aux geôles où voulait l’enfermer le PRPB pour lui faire expier ses activités de syndicaliste et d’opposant. Il sait donc de quoi il parle en termes de traumatisme et de préjudices moraux.
Traumatisme ? Oui ! Même si les détenus libérés n’en laissaient rien paraître pendant les longs mois de leur détention, vingt mois pour les plus ‘‘anciens’’. Ils montraient un tel courage, une telle force d’âme ! Se soutenant les uns les autres par personnes interposées, ils ont résisté vaillamment á l’odieux chantage d’avouer pour être libérés. Avouer des crimes qu’ils n’ont pas commis. Comment a-t-on pu leur suggérer ‘‘ça’’ ? Attenter à la vie d’un homme ou à la sûreté de l’Etat, ce n’est pas un larcin de gamin, larcin que l’on avouerait par jeu d’enfant pour obtenir le droit de reprendre du chocolat. En disant non à l’immonde marchandage, ils ont porté haut l’honneur d’être homme, et il est bon que nous leur en sachions gré. Ils ont poursuivi sur la même lancée à leur sortie de prison. Les trois d’entre eux, qui ont accepté de dire quelques mots à la presse, se sont bien gardés de remercier tel ou tel pour un pardon qu’ils n’ont jamais demandé. S’ils avaient fait une telle concession à nos convenances imbéciles, à notre hypocrisie sociale – voire politique –, ils auraient déserté l’honneur d’être homme. Il est bon que nous leur sachions gré de leur constance dans la fermeté.
Car il n’est pas toujours facile de rester ferme et digne dans une telle épreuve. Parlant de l’ignoble montage où elle fut enfermée pendant plus d’un an et demi, la plus jeune des victimes a déploré la méchanceté des hommes et crié sa révolte. Elle a raison. Mais puisse-t-elle savoir que son admirable courage, partagé avec les autres détenus libérés, nous réconcilie avec l’honneur d’être homme et nous renforce dans la conviction intime que, même en plein règne du mensonge, il n’est pas possible que l’imposture des montages haineux l’emporte ni toujours ni tout le temps, sinon, c’est l’honneur d’être homme qui disparaîtrait, et l’homme deviendrait inférieur aux animaux et plus méchant qu’eux.
A Dieu ne plaise ! Stoïque et prudent, l’un des détenus libérés est resté en prison douze heures de plus, douze heures de trop. Il ne voulait pas rentrer chez lui de nuit car, avant de tomber sous le coup du montage haineux, il avait échappé de justesse à un attentat qui n’avait pas inquiété l’Etat, ce qui l’avait fortement instruit de ce que l’on sait désormais : dans notre République en ‘‘Refondation’’, les balles qui tuent (ce fut le cas de l’ancienne ministre Mme Agbossou) ou qui vous ratent de justesse (ce fut le cas de M. Martin Assogba) sont décochées la nuit, et l’Etat, garant de notre sécurité, n’y voit jamais rien. Les détenus libérés au soir du 19 mai 2014 seront bien inspirés de s’imposer un couvre-feu individuel rigoureux. Ne serait-ce que de ce point de vue, ‘‘cette histoire n’est pas close’’.
Les préjudices ? De leur côté et de celui de leurs proches. L’épouse qui, pendant plus d’un an et demi, a parcouru chaque jour des dizaines de kilomètres pour porter à manger á son mari en prison. Au chapitre des préjudices moraux à réparer, on devra s’en remettre, semble-t-il, à ce qu’écrivait au début de son martyre l’un des détenus libérés, alors qu’il stigmatisait le cynique montage : ‘‘L’homme pardonne, Dieu pardonne, mais la nature ne pardonne jamais’’. La nature donc. Et l’assurance que, selon le mot de Paul Eluard, ‘‘La nuit n’est jamais complète / Il y a toujours une fenêtre ouverte… / Une fenêtre éclairée.’’ La lumière. Et le souhait que de plus en plus de Béninois, à l’instar des détenus libérés, soient prêts, dans la nuit sur nous tombée, à garder fenêtre ouverte pour l’espérance de la lumière.