Suite aux menaces du ministre de la Justice, Valentin Djènontin de ne pas se plier à la décision de la Cour commune de justice et d’arbitrage (Ccja) condamnant l’Etat béninois face à Benin Control Sa, plusieurs personnalités ont réagi. La plupart ont dénoncé les propos du Garde des Sceaux. Mais quelques uns, notamment des députés proches de la majorité au pouvoir soutiennent la résistance prônée par le ministre de la Justice. Lire les réactions.
Richard Kouassi Soglo : Chef du département des services juridiques et du contentieux de la mairie de Cotonou.
« C’est fort payer pour le contribuable béninois »
« Je dois dire que je ne connais pas exactement le fond de la convention qui a saisi les arbitres de la Ccja puisque c’est cela qui détermine leur mission. D’abord, il faudrait que les parties conviennent de la mission à confier à l’arbitre. Il faudrait qu’on sache le contenu de cette mission. Quant à la décision elle-même, dès que je l’ai apprise, je me suis dit que c’est colossal. 129 milliards FCfa du contribuable béninois à verser au sieur Patrice Talon.
Il y a de quoi retenir son souffle. Sûrement, les arbitres ont fouillé de fond en comble et ont trouvé que c’est indispensable de rendre une justice, une sentence équitable. Mais, c’est fort payer pour le contribuable béninois. Je comprends pourquoi l’Etat béninois cherche à s’opposer à cette sentence-là.
Mais, il faudra qu’il s’y oppose à travers les procédures normales. Il faudra que l’Etat s’y oppose à travers la contestation en validité de la sentence pour que la partie qui a gagné, c’est-à-dire Talon, ne fasse pas exéquaturer cette décision là avant le terme retenu pour exercer les voies de recours, c’est-à-dire au bout de deux mois.
Donc, pour défendre les intérêts du contribuable béninois, l’Etat doit exercer les voies de recours. Contrairement à certaines opinions, je ne crois pas qu’à cette étape, on puisse parler d’autorité de la chose jugée. Lorsque la Ccja rend la décision, il faudrait que la partie gagnante puisse la faire exéquaturer au Bénin, dans le pays membre, avant que cela ne revête l’autorité de la chose jugée et devienne définitivement exécutoire. Je pense qu’à l’étape où nous sommes, l’Etat a encore la possibilité d’exercer d’abord ses voies de recours.
De plus, lorsque la partie gagnante tente de faire exéquaturer la décision, le juge béninois a d’abord l’obligation de vérifier quatre motifs : si l’arbitre qui a statué, ne l’a pas fait sans une convention d’arbitrage ou si cette convention d’arbitrage, même si elle existait, n’est pas nulle ou déjà expirée. Deuxièmement, voir si l’arbitre a statué sans se conformer à la mission à lui confiée par les parties. Troisièmement, voir si la sentence rendue n’est pas contraire à l’ordre public international.
Enfin, voir si le principe de contradictoire a été respecté, avant d’exéquaturer ladite décision. Donc, je pense que la décision n’est pas encore à mon avis exécutoire au Bénin. Ce n’est pas encore une décision définitive. Pour finir, je voudrais au regard de tout ce qui se passe inviter les uns et les autres à la tempérance pour qu’on ne dise pas qu’il y a eu un vainqueur, un vaincu.
M. Pascal Gnaho, Chef d’agence Lnb Atacora-Donga
« …Cette décision s’impose à nous et l’Etat Béninois doit payer… »
« Par rapport à ce dossier, c’est vraiment triste et c’est l’image de notre pays qui prendra encore un coup sur le plan international. Si nous sommes membres de l’Ohada, cette décision s’impose à nous et l’Etat Béninois doit payer. L’Etat est une continuité et si ce gouvernement ne paie pas, ce qui est sûr, le gouvernement qui viendra si peu doit payer. Pour ma part, il est de l’intérêt du pays que les dirigeants discutent avec le camp adverse pour vider définitivement ce dossier.
Et pour mémoire, au temps du régime Kérékou, si mes souvenirs sont bons, il y avait un contentieux qui opposait le port autonome à Saley et la justice a fait dédommager Saley de plus de trois milliards de Fcfa. Je crois donc que pour le bonheur de notre pays, il est normal que les deux camps qui sont en conflit s’entendent et que tous les Béninois s’entendent également pour éviter de se mettre en spectacle sur le plan international ».
M. Jean K. Ségbédji, opérateur économique
« …Le mieux pour le Bénin, c’est de lui verser cette somme… »
« En ce qui concerne le versement des dommages et intérêts à M. Talon, je crois que si cette juridiction est sans appel, le mieux pour le Bénin, c’est de lui verser cette somme et qu’on lui retire simplement la gestion du Pvi »
M. Alban Hounton, Juriste consultant foncier rural
« C’est ce qui peut freiner l’arrivée des opérateurs économiques »
Je pense que le démêlé de l’Etat avec l’opérateur économique Béninois est la conséquence de la façon dont les choses se font et qui n’est pas dans les règles. On peut se rendre compte que les décisions sont prises sans que toutes les facettes ne soient appréhendées et sans qu’on ne prenne la mesure des choses.
Donc ce n’est pas seulement une perte que l’Etat verse cette somme à l’opérateur économique mais aussi c’est son image qui est encore ternie ; ce qui peut freiner vraiment l’arrivée des opérateurs économiques internationaux dans notre pays. Je vois déjà cette table ronde de Paris sentir le roussi. C’est vraiment dommage qu’on soit dans un Etat de droit, qu’on est des gens intelligents et qu’on assiste à ces genres de choses. C’est vraiment dommage. »
Saka Fikara, député de l’opposition
« Nous devons avoir peur du régime Yayi »
« … Je n’ai pas écouté la réaction du ministre de la justice, je viens de la lire transcrire dans un journal et je suis préoccupé. Je vais vous dire, j’ai honte. Mais aujourd’hui nous ne devons plus avoir honte.
Je crois que nous devons avoir peur de ce régime de Yayi Boni qui dirige actuellement notre pays. Je trouve que, je pèse mes mots, c’est très malhonnête. Je ne comprends pas comment le ministre de la justice peut dire qu’il n’est pas au courant de ce qui se passe. Ou alors les arbitres ont menti, ou c’est le ministre de la justice du Bénin qui ment.
Parce que si vous lisez sa réaction, vous verrez bien que le gouvernement du Bénin sait qu’il est saisi et a donné ses arguments. Dire donc aujourd’hui que nous n’allons pas respecter les décisions d’une juridiction internationale, c’est inadmissible, d’abord pour le démocrate que je suis, et surtout pour le législateur que je suis.
Je sais que les lois internes sont bafouées tous les jours par le régime Yayi Boni et ses ministres. Je sais que ce régime là, ne protège que les malfrats du pays qui se sont agglutinés sous l’organisation Fcbe. Mais dire sans honte qu’une décision d’une juridiction internationale ne sera pas respectée, franchement c’est faire honte à notre pays. Nous ne devons pas accepter cela. On parle de pardon. Que vaut un pardon quand on a fini de se venger ?
Que vaut un pardon quand on a fini d’être désavoué par les juridictions de chez soi ? Parce que c’est d’abord le tribunal de première instance qui a désavoué Yayi en prononçant un non-lieu, c’est ensuite la Cour d’appel qui l’a désavoué en confirmant le non- lieu. Qu’on dise maintenant parce qu’il y a une erreur sur la forme que la Cour suprême demande de corriger et qu’on bombe le torse, franchement il y a quelque chose qui ne marche pas chez nos dirigeants.
Je n’accepterai pas que le gouvernement du Bénin ignore les sentences d’une Cour régionale parce que c’est une faute qui va nous coûter encore plus cher. Nous l’avons toujours dit quand le président Yayi Boni bafouait les lois et les contrats que lui-même de ses mains a signés, avions dit que ça va coûter cher au Bénin.
Certains le suppliaient même d’arrêter cela et qu’il y a une justice non seulement nationale mais aussi internationale que les victimes vont nécessairement saisir. Mais, c’était comme si on parlait en l’air. Notre pays, le Bénin ne peut pas vivre dans un environnement régional, international sans reconnaitre les lois internationales.
Peut-être que le gouvernement de Yayi Boni est un gouvernement d’irrespectueux des lois internes. Mais nous devons nous battre pour que notre pays soit respectueux des lois internationales. Il ne faut pas que le Bénin soit humilié.
Mais, comment vont- ils faire maintenant ? On parle de table ronde. On veut demander aux étrangers de venir investir au Bénin. En même temps, on refuse de respecter les sentences internationales. Ces étrangers, ces investisseurs là qu’on va rencontrer en France, dans tous les contrats qu’ils veulent avoir avec nous, c’est en se référant aux instances de justice régionale ou internationale.
Si vous refusez, viendront- ils ? Vous parlez de quoi ! Le régime de Yayi a trop humilié notre pays. On ne peut pas le laisser faire. Je fais appel à tous les démocrates à se désolidariser de cette connerie de pardon, de cette ruse du pouvoir de Yayi. Parce que ce n’est pas vrai ce que le ministre a dit !
Le pardon est intervenu après la notification de la sentence au gouvernement. Alors nous sommes en droit de dire que c’est une ruse. Je veux demander au président Yayi Boni de ne pas humilier davantage notre pays, de respecter la sentence, d’appeler les responsables de Bénin Control Sa et de trouver un terrain d’entente avec eux dans le strict respect du jugement de la Ccja… »
Janvier Yahouédéou, ancien député
« Le gouvernement doit faire profil bas »
« On a du mal à comprendre la position du gouvernement béninois. A ce que je sache, les décisions de la Cour commune de justice d’arbitrage (Ccja) de l’Ohada sont sans recours. Donc, il est inutile de polémiquer.
L’Etat béninois doit convenir de respecter la décision qui est rendue. Le gouvernement en place doit avoir le profil bas, s’il se souvenait de tous les échecs qu’il a essuyés dans le sillage de des dossiers dont les jugements ont été rendus par une instance sous régionale. A mon avis, le gouvernement joue avec le feu et risque de le payer plus cher s’il s’entêtait dans sa position. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il organise avec les Partenaires techniques et financiers (Ptf) une table ronde à Paris.
Dans cette perspective, je me tourne vers ce gouvernement pour lui demander si c’est en s’opposant à une telle décision qu’on va attirer les investisseurs. Je me tourne particulièrement vers Yayi Boni pour lui dire qu’il a intérêt à écouter sa raison et non ses conseillers. Ce qui reste à Yayi Boni, c’est d’aller en négociation avec Patrice Talon, qui après tout, est un patriote, un homme d’ouverture qui aime son pays. Je suis convaincu qu’il y a une porte de sortie à exploiter. C’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui.
Le Bénin a déjà trop souffert des divergences entre Yayi Boni et Patrice Talon et personne ne voudra plus qu’il en souffre davantage. A l’étranger, vous savez qu’à cause de ces affaires (empoisonnement, coup d’Etat, Pvi, Sodéco et autres), le pays a trop perdu sa crédibilité. C’est pourquoi, j’exhorte les différentes parties à faire l’effort de sauvegarder le peu qui nous reste. Ce n’est pas le moment d’engager un bras de fer avec Patrice Talon. Il faut que le chef de l’Etat prenne la mesure de la situation ».
Me Jacques Migan
« Dans cette affaire, nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge »
« Je suis avocat. Et quelqu’un a dit que quand on n’a pas fait des investigations, on ne peut pas parler. Je n’ai pas en main la décision qui a été rendue. J’aurais tant voulu avoir cette décision pour vous dire ce qu’il en est. Mais il faudrait quand même que nous fassions très attention. Est-ce que nous savons que dans ce dossier, les juridictions nationales avaient été saisies ?
Est-ce que nous savons que l’affaire est pendante devant la Cour d’appel lorsque brusquement les gens sont allés devant la Cour commune de justice d’Abidjan ? Mais dans l’une des clauses, est-ce qu’il a été fait référence avec précision que la juridiction compétente en cas de litige, serait la Cour commune de justice d’Abidjan ? Parce que, ce qui m’a été donné de savoir, c’est qu’il a été mentionné une clause qui fait allusion à l’Ohada.
Or faire allusion à l’Ohada, ne veut pas dire qu’on a choisi la Cour commune de justice d’Abidjan qui, plus est, il y a déjà une Commission arbitrale ad ‘hoc qui avait été déjà créée au Bénin pour régler ce problème…
L’affaire dont il s’agit, a porté sur quoi ? Sur les marchés publics. Est-ce que les marchés publics font partie du droit Ohada ? Si tel n’est pas le cas, la Cour commune de justice d’Abidjan ne peut pas être saisie pour en discuter ou en traiter. Il se pose un problème : c’est l’arbitralité des contrats administratifs. Est-ce que l’arbitralité des contrats administratifs est soumise au droit Ohada ?
C’est vrai, la Cour commune de justice saisie a rendu une décision demandant à l’Etat béninois de restituer à Bénin Control Sa ce qui lui revient, à défaut dans 60 jours, l’Etat sera condamné à 129 milliards de franc Cfa. J’ai entendu comme tout le monde, le ministre de la justice dire qu’un kopeck ne serait point payé. S’il le dit, il a peut-être ses raisons. Le ministre a peut-être été conseillé pour aller à ce qu’on appelle annulation, pour aller peut-être en révision de la décision rendue.
e ne connais pas les éléments qui l’ont amené à dire qu’un kopeck ne serait pas payé. Mais ce que nous devons savoir, on ne saisit pas les biens de l’Etat. On négocie avec l’Etat… Avant même qu’on aille à l’exécution de cette décision, il faut régler le problème de l’exequatur. Donc, il y a tellement de problèmes qui se posent et amènent à dire que nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge en ce qui concerne cette affaire… »
Serge Prince Agbodjan
« C’est de l’irresponsabilité »
"Lorsqu’on refuse d’exécuter une décision de justice, c’est une infraction à la loi pénale. Si c’est un simple citoyen, il fera la prison. C’est le code pénal béninois qui le dit. Maintenant, si c’est un Etat garant de l’exécution des décisions de justice qui décide de ne pas exécuter une décision de justice, cela voudra dire que ce genre d’Etat est un irresponsable.
C’est une forme d’irresponsabilité. De toute façon, la décision sera exécutée par la juridiction arbitrale puisqu’elle bénéficie de la chose jugée. A partir de cet instant, si les dirigeants actuels ne l’exécutent pas, ceux à venir, se verront dans l’obligation de le faire.
Et j’ai entendu le ministre dire que la décision ne sera pas exequaturée au Bénin. Je pense qu’il veut dire qu’elle ne sera pas exequatur au Bénin. Je veux lui dire que c’est la Cour commune de justice et d’arbitrage qui a seule compétence pour rendre une décision d’exequaturée. Si le Bénin se refuse d’exécuter une décision de la Ccja, cela renvoie à l’extérieur l’image selon laquelle notre pays ne respecte pas les décisions de justice rendues à l’intérieur".
Victor Topanou
« Le ministre Djènontin doit démissionner »
"J’ai suivi avec un grand étonnement et une grande déception la double réaction des ministres Djènontin et de Souza au sujet de la décision de la Ccja condamnant l’Etat béninois à payer la coquette somme de plus de cents milliards de FCfa à M. Talon. Pour monsieur Djènontin, l’Etat ne payera pas cette somme" et pour le ministre Marcel de Souza "le Benin pourrait sortir au besoin de l’Ohada".
Pour moi, ces déclarations relèvent de l’irresponsabilité et de manque de crédibilité. Il s’agit d’une irresponsabilité d’abord, parce qu’une décision de justice, est faite pour être exécutée qu’elle soit prise par les juridictions internes et a fortiori par une juridiction internationale, à laquelle le Bénin a librement adhéré. Irresponsabilité ensuite, parce que les ministres, semblent ignorer le principe de la continuité de l’Etat selon lequel si le régime actuel ne paie pas aujourd’hui, les régimes suivants devront payer un jour.
Ces déclarations relèvent d’un manque de crédibilité parce que, désormais, plus personne ne croira en la parole de notre pays. A quelques semaines de la Table ronde de Paris, c’est un très mauvais signal que le pays à travers son ministre de la justice envoie aux potentiels investisseurs étrangers. Un pays qui déclare urbi et orbi, qu’il n’exécutera pas les décisions de justice et qui, plus est, d’une décision de justice internationale, n’est pas un pays crédible. Il ne peut non plus se réclamer d’être un pays démocratique.
Pour toutes ces raisons, le ministre Djènontin doit démissionner".
Le député Zéphirin Kindjanhoundé
« Le gouvernement ne devrait pas tenir un tel langage »
« Je ne voudrais pas me prononcer sur cette affaire parce que nous sommes dans un pays où l’on fait un pas en avant et deux en arrière. Le gouvernement de Yayi ne devrait pas tenir un tel langage face à une décision prononcée par une instance régionale. Et pour endormir le peuple et lui faire avaler la pilule, il se cache derrière l’article 30 du traité de l’Ohada nouvelle version à la page 109 pour clamer son innocence.
Or, la décision qui est prise par l’Ohada est sans recours. Donc l’Etat doit payer les frais même 20ans après. Le mieux pour le gouvernement serait de négocier et de définir de commun accord avec l’autre partie, le mode de règlement de l’amande », a déclaré le député proche du pouvoir.