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Combat pour la survie à Ouidah : La saline traditionnelle de Djègbadji se meurt...les femmes s’accrochent malgré tout
Publié le mardi 3 juin 2014   |  Educ'Action


Le
© Autre presse par DR
Le sel


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Elles ont décidé de se battre jusqu’au dernier souffle pour être à l’abri du besoin et surtout offrir le meilleur à leurs progénitures. Sous le brûlant soleil de leur Djègbadji natal, elles ne se donnent aucun répit. De 5heures du matin jusqu’au coucher du Soleil, elles s’activent à l’élevage, à l’agriculture et à la production du sel, héritage ancestral. Branchages sur la tête, le ‘djèâgli’ en main, marmites au feu, elles sont au four et au moulin, pour rentabiliser chaque journée de travail. Votre journal Educ’Action est allé voir comment ces amazones de la liberté et de l’émancipation féminine luttent pour vivre. Avec l’avènement de la Route des pêches, la disparition annoncée de la saline de djègbadji est presque certaine alors que les braves femmes s’y accrochent malgré tout. Votre journal est allé apprécier de près, la rage de vaincre la pauvreté et la précarité pour des femmes qui sont parfois père et mère pour leurs enfants. Sur le site de cette saline traditionnelle, à quel prix les femmes peuvent-elles s’offrir un ou deux repas par jour ? C’est ici et maintenant !



Les pieds totalement nus, le pagne noué à la taille, le ‘Djèâgli’ en mains - une espèce de houe dont la lame en forme de demi-cercle est ouverte de part et d’autre, soutenue par un bois oblique-, Saossi Montchovi vient de commencer sa journée à la saline traditionnelle de Djègbadji pendant que la montre indique 6 heures 30 mn du matin. Elle, la nourrisse, qui était sur pied depuis 5 heures, avait d’abord consacré plus d’une heure aux travaux champêtres et ménagers avant de se porter sur le lieu où elle a coutume de passer sa journée. Sa collègue Christine, branchages sur la tête, passe son chemin, avec un regard furtif, fredonnant une mélodie dont elle garde seule, le secret, se dirigeant droit vers sa case entièrement construite en pailles comme toutes les cases de cette saline traditionnelle. Elle s’apprête à « faire le feu » pour la cuisson du sel. Ainsi, viennent-elles une à une, au fur et à mesure que les premiers rayons du Soleil percent le ciel et frappent la terre. C’est alors que le travail commence…

Les tas de sables

Selon Montchovi Saossi, la première étape est celle du ramassage de la matière première : le sable salé. « Après avoir identifié les parties du solSaline susceptible de contenir du sel, nous nous mettons à racler jusqu’à obtenir de petits tas consistants, utilisables dans la chaîne de production », a expliqué passionnément Saossi qui ne marchande pas son énergie. Le corps incliné, le ‘Djèâgli’ au sol, elle en fait une démonstration sourire aux lèvres. Au bout de quelques minutes, son visage généreux laisse dégouliner de grosses sueurs. C’est à ce prix qu’elle pourra continuer sa journée et espérer produire du sel, au bout de la chaine. « Lorsqu’un sol est salé, on le reconnaît aux petites particules brillantes qui l’émaillent », ajoute-t-elle du haut de ses nombreuses années d’expériences. Le sable ainsi obtenu, sera reversé dans le ‘bou’, une espèce de réceptacle…

‘Bou’, le dispositif de filtrage

Ingénieuses, ces femmes à peine ou pas du tout lettrées, ont hérité de leurs ancêtres, un dispositif de filtrage traditionnel fait de branchages de palétuviers coupés dans le lac Toho, sur le bras duquel se situe la saline, entremêlés et entrelacés sous forme de panier avec de petits branchages à l’intérieur, recouverts par un linge de filtrage. C’est dans ce dispositif que le sable ramassé est déversé. « On y ajoute de l’eau salée qui dégouline via un petit raccord de dix centimètres qui part du panier vers une jarre ou bassine posée juste à côté du ‘bou’ et fixée en profondeur dans le sol comme pour l’immobiliser », a clarifié, Cécile Coffi, Présidente de la fédération des groupements féminins « Doumavo » de Djègbadji. C’est de ce filtrat que va naître le sel par le pouvoir du feu.

De la cuisson du sel

Cuisson au feu« C’est le filtrat recueilli grâce au dispositif sus-décrit qui nous permet de produire le sel », a indiqué Cécile Coffi. Pour la Présidente des lieux, il faut une certaine salinité de l’eau avant de passer à la phase de cuisson. En effet, grâce aux amendes de palme, une autre technique ingénieuse, les femmes de « Doumavo », arrivent à trancher la question de la salinité. « Nous prenons une amende de palme pour contrôler la salinité de l’eau que nous recueillons. Si l’eau que nous recueillons du filtre a une salinité suffisante, l’amende de palme flotte à la surface de l’eau. Quand la salinité diminue considérablement jusqu’à un certain niveau, l’amende de palme descend au fond de l’eau. C’est l’eau dont la salinité est forte que nous mettons au feu. », a expliqué Cécile avant d’ajouter : « Quand ça commence à bouillir, les déchets qui sont dans l’eau montent à la surface et on essaie de les enlever. Et l’eau bouillit jusqu’à commencer par donner des grains tout comme le sable qu’on avait ramassé. Nous n’amenons pas notre sel au moulin pour le moudre. Ainsi donc, ça cuit jusqu’à ce que l’eau disparaisse. Nous le ramassons et nous le mettons dans un panier ; aussi, le peu d’eau qui reste coule-t-elle par les pores du panier. Et quelques temps après, le sel jaunâtre devient tout blanc sans aucun additif. Notre sel est tout naturel. » Ce qui est aussi naturel ici, à la saline de Ouidah, c’est le liquide qui suinte du sel mis dans les paniers.

Un liquide salé tenant lieu de formol naturel

Selon les explications de Allougba, l’une des plus vieilles salicultrices de la saline de Djègbadji, « Auparavant, au temps de nos aïeux, l’eau qui aeau salée suinté du sel est récupéré et utilisé à la place du formol qu’on inocule aux cadavres aujourd’hui. Avant on ne connaissait pas le formol ; quand quelqu’un meurt, on lui fait boire cette eau. Cela permet de garder son cadavre intact, sans problème, pendant au moins 05 jours sans aucun signe de putréfaction ». Elle ajoute « cette même eau s’utilise lorsque vous avez une latrine remplie et que vous n’avez pas les moyens de faire la vidange. En y mettant quelques litres, tous les déchets s’anéantissent et vous donnent encore du temps pour la vidange. »

Et pourtant les difficultés du métier sont énormes !

Pour Justine Zounwekpe, salicultrice à la saline traditionnelle de Djègbadji, ce miracle du sable au sel, ne se produit pas sans difficultés. « Nous travaillons sans répit, de jour comme de nuit. Et souvent chaque salicultrice est seule dans sa cabane et doit exécuter les étapes, seule. C’est épuisant.» Cécile Coffi abonde dans le même sens lorsqu’elle déclare : « Nous travaillons en permanence sous le soleil et restons en contact permanent avec le feu. Nos constructions en paille se délabrent vite à cause de la fumée ; et même les foyers que nous fabriquons ne durent pas. Les bassines de préparation du sel ont tôt fait de se percer et il faut recommencer. Les problèmes sont énormes et nous sommes là, quelques fois impuissantes.

Le sel de Djègbadji disponible au marché Kpassè de Ouidah

Vente du sel sur le marché Après la production, les femmes se rendent au marché de kpassè toujours dans la commune de Ouidah pour écouler leurs produits. Elles n’ont donc visiblement pas de repos. Elles doivent porter elles-mêmes leur sel au marché et se battre pour le vendre à un prix décent qui puisse leur permettre d’acheter du bois et les intrants nécessaires à une nouvelle production. Cécile Coffi que nous avons suivie au marché dès 7heures du matin, vend aussi des oignons qu’elle cultive dans son champ. Une bassine sur la tête, elle propose à la criée sa marchandise aux potentiels clients qui visitent le marché. Déjà à 9 heures, elle a fini son étalage et s’apprête à retourner à la saline pour une nouvelle production. Le sourire aux lèvres et la joie au cœur, elle compte son gain du jour. Subitement transpercée par une douleur viscérale, elle déclare à EducAction : « voyez-vous, c’est ce que nous faisons tout le temps pour survivre et aujourd’hui, on nous dit de dégager de ce site parce que la route des pêches doit prendre par là… » A ces mots, deux grosses gouttes échappent de ses yeux humides qu’elle essaie vainement de dissimuler…. Issue d’une famille polygame de 17 enfants, Cécile Coffi a, très tôt, pris son destin en main. Elle fabrique le sel depuis 20 ans. Elle l’a hérité de sa mère qui la tient de sa grand-mère. Laquelle la tient des descendants du Roi AGADJA (1709-1732) sous lequel cette activité a débuté sur les côtes balnéaires du Dahomey. Ce n’est qu’en 1999, que les femmes ont compris qu’il fallait se grouper pour mieux défendre leurs intérêts. C’est à cette occasion que Cécile a bénéficié de la confiance de ses paires qui l’ont élue présidente de l’Association des femmes salicultrices. Plus tard cette association est devenue la Fédération des groupements féminins ‘Doumavo’ de Djègbadi dont elle reste la présidente jusqu’à ce jour.

La route des pêches, un os dans la gorge de la saline de Djègbadji

Les informations recueillies nous renseignent que le Projet de la Route des pêches vise à mettre en valeur le potentiel touristique du littoral entre Cotonou et Ouidah et à offrir à la clientèle étrangère et locale une alternative de tourisme de loisirs et de vacances concurrentielles par rapport aux pays et aux régions de tourisme balnéaire. Le projet consiste en la réalisation de 2000 chambres d’hôtel de niveau 3 à 4 étoiles et la mise en place d’infrastructures connexes : aqueduc, égouts, électricité, téléphone, voies d’accès et traversées bitumées. Le projet réalisé sur une période de dix années comporte des aménagements dans trois localités distinctes :Togbin/Adouko Daho, Djègbadji, Avlékété. Voilà donc le péché de la saline traditionnelle de Djègbadji. Elle s’est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment, dira-t-on ! Mais Cécile et son groupement de femme ne démordent pas pour autant : « nous nous organisons pour aller sur les radios et à la télé pour exposer cette situation aux populations et demander leur soutien. Nous allons nous battre jusqu’au dernier souffle pour conserver l’héritage de nos grands parents. », a confié Cécile Coffi.

Un combat permanent pour la survie

Les braves femmes de Djègbadji, malgré l’effort physique que le travail leur impose et le supplice du feu ardent qu’elles affrontent en permanence, neContrôle du niveau de salinité se lassent pas de cette activité devenue une partie d’elles-mêmes. Virginie Kanté, mère de deux jumeaux, tous décédés, témoigne : « le travail est dur. Mais c’est notre vie. C’est que nous avons toujours fait. Même fatiguée, nous vivrons toujours ici et une fois ici, nous prendrons toujours le sable pour le transformer en sel. C’est à ce prix que nous mangeons tous les jours». Et justement, pour tout repas, après une journée de dur labeur, nous avons aperçu maman Allougba délayant joyeusement ‘son gari’, adossée à sa case en pailles. Un morceau de sucre en main, elle prend avec sa cuillère la farine de manioc appelée ‘’Gari’’ en langue fon, une langue du sud Bénin, qu’elle délaye dans de l’eau et coupe avec ses dents, une partie du sucre qu’elle mange avec intelligence. Elle devra gérer ce morceau jusqu’à la fin de son repas au risque de se retrouver sans sucre, peut-être pour demain…. C’est sur ce repas qu’elle prendra congé de son travail de la journée avec l’espoir que demain lui donnera une nouvelle chance de vivre… « Mahou ni fon mi… » me lâcha-t-elle, les yeux pétillants, en langue fon. Ce qui signifie littéralement « Que Dieu nous réveille ! » …. On pourrait y ajouter : «… pour le combat de demain… »

Ulrich Vital AHOTONDJI

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