Une sentence du Centre d’arbitrage de la Cour commune de Justice et d’arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) et l’arbitrage est devenu, ces derniers jours, le mot vedette. Qu’est-ce donc que l’arbitrage ? Comment se déroule-t-il? Le Centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin (CAMeC-CCIB) est l’institution qui promeut, au plan national, ce mode alternatif de règlement des conflits. Son président, Christophe Tozo, explique ici les avantages de l’arbitrage.
Propos recueillis par Wilfried Léandre HOUNGBEDJI
La Nation : Monsieur Christophe Tozo, c’est quoi le CAMeC-CCIB ?
Christophe Tozo : Le CAMeC-CCIB est un organe mis à la disposition des opérateurs économiques pour leur permettre de bénéficier des modes alternatifs de règlement des conflits. Il s’agit d’une justice privée institutionnelle qui implique tous les acteurs du secteur privé, y compris la Chambre d’Agriculture, la Chambre des Métiers, les associations professionnelles intervenant dans le secteur privé. C’est en somme un instrument au service des acteurs du développement. Le CAMeC-CCIB peut connaître de conflits entre Béninois, mais également entre Béninois et étrangers de sorte que, même si la seconde partie est à l’étranger, le Centre peut instruire l’affaire et rendre une sentence qui sera appliquée même hors du Bénin.
Monsieur le président du CAMeC-CCIB, l’actualité est riche du thème arbitrage. Pouvez-vous expliquer les avantages comparatifs de ce mode alternatif de règlement des conflits par rapport aux procédures judiciaires classiques ?
Je dois d’abord dire que l’arbitrage CAMeC est régi par les lois du pays ainsi que les principes de l’OHADA. Et qu’en dehors de l’arbitrage, nous promouvons la médiation et la conciliation. Mais alors, en quoi cela est-il différent des procédures judiciaires ? Au CAMeC-CCIB, lorsque nous recevons un dossier, la première des choses est de veiller à ce qu’il y ait la médiation ou conciliation, d’amener les acteurs à comprendre qu’ils sont des partenaires d’affaires et non des adversaires ; c’est de veiller à apporter des éclairages aux parties qui se disputent. Nous disons ici que deux personnes qui se disputent sont deux personnes qui n’ont pas discuté. Ainsi, quel que soit le conflit qui oppose les parties, nous les amenons d’abord à la table de négociation, d’explication ; nous écoutons les deux parties qui, peut-être en prenant des engagements, ne s’imaginaient pas qu’à la pratique des difficultés peuvent compromettre leur réalisation. Le sens de notre démarche, c’est d’éviter au maximum les conflits sachant qu’une fois survenus, ils peuvent durer dans le temps ; ce qui peut pénaliser une partie, sinon les deux. Ensuite seulement, lorsque nous échouons dans la conciliation ou médiation, nous envisageons maintenant le volet arbitrage. Contrairement à la pratique devant les tribunaux ordinaires, dans une procédure de conciliation ou d’arbitrage, il n’y a ni gagnant, ni perdant. Nous amenons les parties à se comprendre et, à la fin, l’entente revient, elles se donnent la main. Parfois même, les parties s’entendent pour différer le règlement des dommages causés à l’une par l’autre, parce qu’elles conviennent qu’il n’est pas possible de le faire dans l’immédiat. Tout cela découle de la discussion alors qu’au tribunal la réalisation des dommages-intérêts peut déboucher sur des voies d’exécution. Certes, il peut nous arriver, au CAMeC-CCIB, d’aller jusqu’à des mesures du genre des saisies de comptes bancaires, mais c’est des mesures extrêmes qui interviennent en cas de mauvaise foi avérée d’une partie.Par ailleurs, je dois faire remarquer qu’au CAMeC-CCIB, il y a des conciliations qui se soldent en une semaine et le délai maximal pour boucler une procédure de conciliation, c’est 45 jours. Ceci parce que les questions en cause sont souvent cruciales et peuvent engager, par exemple, des marchandises périssables qui pourraient se détériorer du fait de longues procédures. En ce qui concerne l’arbitrage, l’OHADA impartit un délai de six mois pour boucler les procédures mais nous, au CAMeC-CCIB, nous nous donnons trois mois pour en finir.
En somme, une certaine célérité est de mise. Et vous garantissez aussi la confidentialité puisque tout cela se fait généralement sans publicité autour…
C’est exact, nous garantissons célérité et confidentialité. Mieux, si au tribunal les juges sont littéralement imposés parce que désignés d’office, à la conciliation ou à l’arbitrage, rien n’est imposé. On présente même aux parties les arbitres, quitte à elles à les choisir. Et ces arbitres ne sont pas obligatoirement des juges. Il s’agit de techniciens, parfois même il s’agit d’opérateurs économiques qui maîtrisent le monde des affaires, il s’agit aussi d’experts comptables, d’avocats, ou même de magistrats mais sans jamais que les parties aient le sentiment d’être au tribunal, dans une procédure judiciaire.
Monsieur le président, si les opérateurs économiques ont intérêt à explorer les voies de l’arbitrage, peut-il arriver que l’Etat soit partie à une procédure d’arbitrage ?
Bien sûr que cela peut arriver. Les litiges que nous réglons, ce n’est pas toujours entre opérateurs économiques. Ce peut être aussi entre un opérateur économique et l’Etat, ou les collectivités locales. A cet effet, il est à déplorer que beaucoup ne comprennent pas l’importance de contractualiser les accords. Donc ils ne consacrent pas leur accord par un contrat. Ou quand ils le font, ils ne prévoient pas la clause compromissoire, celle-là même qui indique l’arbitrage du CAMeC comme mode de règlement de tout différend qui naîtrait de ces accords. Ou encore, à défaut de clause compromissoire, une convention par laquelle, le litige déjà né, les parties décident de le régler par voie de conciliation ou d’arbitrage. Or, quand cela est bien prévu, même lorsqu’une des parties saisit le tribunal en cas de conflit, elle est déboutée de son action et renvoyée en arbitrage, les juges lui opposant qu’ils ne sont pas compétents en l’espèce.
Si les parties ont la latitude de désigner leurs arbitres, arrive-t-il qu’il soit désigné au profit d’une partie, son arbitre au cas où elle ne le ferait pas elle-même ?
En fait, la procédure au niveau du CAMeC-CCIB induit qu’on ne juge pas par défaut. Il y a des arbitres qu’on propose aux parties sur une liste d’arbitres agréés, mais elles peuvent aussi proposer directement leurs arbitres ; quitte à nous à vérifier s’il s’agit de personnes qui répondent aux normes. Dans tous les cas, lorsque les parties renoncent à leur droit de désigner leur arbitre, cela est constaté par écrit avant de procéder à la désignation d’office. Mais il arrive aussi que l’une ou l’autre ou les parties ne fassent pas preuve de bonne volonté, ou s’engagent dans du dilatoire et n’observent pas, par exemple, les délais pour la signification de certaines pièces. Tout cela impacte sur le délai de règlement du litige. Certes l’OHADA impartit un délai de six mois comme je le signalais supra, nous nous faisons l’effort de faire moins, mais il peut arriver que ce délai de six mois soit dépassé à cause du caractère spécifique du dossier.
Intéressons-nous au cas qui défraie la chronique, la sentence du Centre d’arbitrage de la CCJA dans les affaires opposant l’Etat béninois au sieur Patrice Talon. Quelles appréciations portez-vous sur la sentence rendue ?
J’avoue que je n’ai pas eu la sentence, que je ne l’ai pas lue et que donc je ne sais pas vraiment ce qu’elle renferme. Mais par parallélisme je puis vous dire que le président du CAMeC-CCIB ou encore moins le bureau ne se mêle pas des jugements. Il met à la disposition des parties, les personnes compétentes pour arbitrer leurs différends. Son devoir est de veiller à la régularité des procédures, à leur transparence, à l’indépendance des arbitres pour éviter tout conflit d’intérêts. Nous veillons à la déontologie et à l’éthique des arbitres, et au respect des délais. Par contre, nous ne nous impliquons pas dans le contenu des sentences. C’est certainement la même chose au niveau de la CCJA où les arbitres sont vraiment indépendants dans leur fonctionnement; de sorte que quand ils rendent des décisions, nous pensons qu’elles sont, au moins à 80%, applicables. Cependant, il arrive parfois que, du fait de l’absence d’une partie, les arbitres n’aient pas toujours tous les éléments d’information. C’est pour cela qu’on fait en sorte que les parties désignent leurs arbitres, et que lesdits arbitres essaient de les amener à fournir le maximum d’information pour éclairer leur lanterne afin que leurs sentences soient vraiment crédibles.En somme, n’ayant pas lu la sentence, je ne peux en apprécier la qualité mais je pense que si les arbitres ont bien joué leur rôle et que la procédure a été respectée, la sentence devrait être valable.
Dès lors, quelles voies de recours s’offrent aux parties lorsqu’elles ne sont pas satisfaites de la sentence arbitrale ?
Ici, si recours, c’est encore au CAMeC-CCIB d’en connaître. Il peut s’agir de porter à sa connaissance du centre des éléments nouveaux antérieurs à la sentence mais qui n’étaient pas connus au moment de la procédure, alors qu’ils auraient pu infléchir la sentence dans un sens ou dans un autre. Cela peut conduire à une réduction ou une augmentation des dommages-intérêts. Cela ne fonctionne pas exactement comme un appel judiciaire mais on discute de nouveau. Chez nous au CAMeC, il y a un comité d’arbitrage qui analyse les sentences, voit si elles sont exemptes de failles, même si cela concerne la forme, avant leur reddition. Sinon, les sentences sont définitives et applicables si la procédure est bien respectée.
Quand on considère le cas qui fait l’actualité, dans lequel l’Etat est condamné à payer plus de cent milliards de FCFA, cela paraît énorme. Comment comprendre cela quand on est profane ?
En tant que Béninois simplement, et pas président du CAMeC-CCIB, je trouve que le montant est énorme, mais il faut considérer la nature des activités en cause pour apprécier sérieusement. Et je pense qu’il faut que les deux acteurs discutent, qu’ils échangent, qu’ils négocient. Peut-être qu’alors, des avancées seront faites car il peut arriver qu’en dépit de la sentence arbitrale, la partie bénéficiaire des dommages-intérêts accepte de les réduire. Dans ce cas, elle saisit le centre d’arbitrage qui va mener les discussions pour homologuer cette avancée. De même, peut-être que la victime demande à la partie adverse de lui payer une certaine somme mais se rend compte qu’il lui est manifestement difficile voire impossible de le faire, alors les parties discutent et voient dans quelle mesure revoir les prétentions à la baisse.