A en croire les propos du Garde des sceaux, ministre de la Justice, Valentin Djènontin-Agossou, le 26 mai dernier à sa sortie d’une audience avec le chef de l’Etat, le Bénin ne se sent nullement concerné par la sentence arbitrale prononcée à la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan (Ccja/Ohada). Mais, il a fallu quelques jours seulement après pour que le même ministre revienne sur ses premières déclarations pour se remettre sur le bon chemin.
Au soir du lundi 26 mai dernier, les Béninois croyaient tomber sur la tête lorsqu’ils entendent leur ministre de la Justice qui plus est Garde des sceaux déclarer, urbi et orbi que : « … L’Etat béninois n’aura à payer quoi que ce soit. Et vous savez, le Bénin n’est pas le premier pays à être condamné par des juridictions régionales.
Et dans ce dossier précisément, nous ne nous sentons pas tellement interpellés, parce qu’étant deux parties, nous devrions convenir ensemble de signer une convention d’arbitrage avant que le dossier ne soit porté devant les juridictions d’arbitrage. N’ayant pas été entendu, l’Etat béninois ne se sent pas engagé… ».
Valentin Djènontin-Agossou faisait, en effet, cette déclaration pour annoncer les couleurs quant à la position du gouvernement de Yayi Boni devant la sentence arbitrale issue du différend opposant l’Etat du Bénin à Benin Control S.a. Il y eut une levée de boucliers de toutes parts pour condamner cette déclaration qui manque de sens de responsabilité d’un Etat sérieux.
Des juristes avertis ont apporté des éclairages qui contredisent les propos et les réactions des membres du gouvernement ainsi que les déclarations faites par le chef de l’Etat sur le dossier. Il y en avait même au sein du gouvernement qui a osé menacer que si le Bénin se sent lésé, il sortira de l’Ohada, une institution régionale mise sur pied par 17 pays africains pour l’harmonisation des affaires dans l’espace francophone du continent.
Puis, telle une patate chaude qui leur brûlait les doigts… la lumière a gagné le tabernacle de ces disciples de Jésus-Christ qui, pour la plupart, professent la foi tous les dimanches dans les Temples évangéliques. Ils reviennent à de meilleurs sentiments et prennent, fort heureusement, le contre-pied de leurs déclarations de va-t-en-guerre d’il y a quelques jours. C’est ainsi que le vendredi 6 juin dernier au cours d’une émission télévisée sur le thème : « Table ronde de Paris : Gouvernance et décentralisation », c’est avec satisfaction que les Béninois découvrent enfin qu’ils ont effectivement un ministre de la Justice à qui l’on peut confier le Garde des sceaux. Valentin Djènontin-Agossou a, en effet, saisi l’opportunité à lui offerte par notre consœur Héloïse Houinato de la télévision nationale, pour déclarer et surtout préciser ce que ses compatriotes attendent de lui et des membres du gouvernement auquel il appartient.
De la honte à la joie !
A cette occasion, on a pu écouter, avec joie et une attention soutenue, l’enfant des Djènontin-Agossou, ministre de la Justice, es-qualité dire que : « … le Bénin ne va jamais se retirer de l’Ohada. Le Bénin ne va jamais s’opposer à appliquer une décision de justice… ». C’est vraiment heureux que le ministre de la Justice ait finalement pris conscience d’avoir gâché à sa première sortie la sentence arbitrale.
C’est heureux que Djènontin-Agossou a senti la nécessité de corriger le tir surtout en ce temps où le gouvernement auquel il appartient joue des pieds et des mains pour charmer les investisseurs étrangers à venir soutenir des projets de développement au Bénin , ont-ils dit, lors de la Table ronde de Paris des 17 au 19 juin prochain.
En serait-il autrement, si un gouvernement ne s’engage ou ne respecte pas les décisions de justice ? Qu’en serait-il si un gouvernement fait rébellion à une décision de justice et dans le même temps attire des investisseurs dans son pays ? Quelle crédibilité les investisseurs étrangers peuvent accorder à de tels interlocuteurs qui se comporteraient en délinquants, c’est-à-dire comme des personnes qui se mettent au travers de la loi ?
Des vomissures à l’antalgique
Si Valentin Djènontin-Agossou a pu revoir le contenu de ses précédentes déclarations tenues à la sortie du salon de son chef, il est à comprendre que le chef aussi a compris qu’il faut adopter une nouvelle position dans ce dossier de sentence arbitrale de la Ccja. C’est ce qu’ils auraient dû faire depuis lors dans cette affaire que d’emboucher la trompette de la diversion et de l’égarement qui ne conduiraient que sur le chemin de « si je savais », le dernier mot de…
Mais nous osons croire que nos dirigeants actuels sont suffisamment intelligents pour emprunter un chemin aussi rocailleux et tortueux dont on n’en tire aucun mieux-être si ce n’est que dégoût et amertume. Fumer le calumet de la paix avec le concerné dans cette affaire de Benin Control S.a contre Etat du Bénin, est la voie royale qui s’offre à Yayi Boni et son gouvernement, et les propos que ses ministres ont commencé par tenir ces derniers jours sont rassurants. On pourrait dès lors espérer que les vomissures ravalées ne créeront pas de l’ingestion mais, pourront avoir l’effet d’un antalgique qui guérit de tout fourvoiement le gouvernement. Le Bénin s’emporterait mieux et l’histoire retiendra pour l’éternité leurs œuvres de clairvoyance.
Emérico Adjovi
Extrait de la déclaration du ministre Djènontin, le 26 mai 2014
« …Nous avons discuté du dossier dans lequel le Bénin a été condamné à payer 160 milliards sans compter les intérêts… Depuis un moment, on a constaté que beaucoup de commentaires se font. Je voudrais d’abord appeler le peuple à la sérénité et dire que cette décision qui a été rendue par la Ccja est sur le dossier Benin Control et Sodéco. Pour l’Etat béninois, c’est des dossiers qui dans leur concession posent problème. Les juridictions béninoises avaient été saisies et elles se sont déclarées incompétentes. Même s’il fallait aller à la Ccja, dans le contrat, c’est les deux parties qui devraient convenir d’y aller.
Le Bénin n’a pas décidé d’y aller. Le Bénin n’a même pas été entendu. Cette décision intervient au lendemain du pardon que le Chef de l’Etat a accordé à notre compatriote qui gère ces deux sociétés. C’est un peu dommage que nous ayons à vivre cette situation au lendemain de ce pardon. Et, tout porte à croire qu’en compensation du pardon, il faut peut-être faire un troc, c’est-à-dire donner 160 milliards à une personne.
Nous sommes 10 millions de Béninois, cela veut dire que chaque Béninois doit, au moins, cotiser 16.000 F pour une seule personne. On sait que notre compatriote a construit sa fortune à partir des ressources du pays. Et si un Béninois doit se lever et demander que son Etat soit condamné à lui payer encore 160 milliards, ça pose un problème…Le gouvernement béninois est serein. Et nous invitons tous nos compatriotes à être sereins.
Je voudrais demander à la presse de savoir raison garder parce que tous les jours nous avons droit à beaucoup de commentaires. Et nous rassurons le peuple que le Trésor public n’aura pas à débourser un franc pour payer un quelconque dédommagement à qui que ce soit dans ce dossier. Nous avons besoin des ressources pour construire et non des ressources que nous allons gaspiller dans des dossiers qui sont au départ faux. Nous avons dit au départ que c’était un contrat administratif. On aurait dû aller peut-être devant la Chambre administrative.
Je ne sais pas pourquoi. L’Etat béninois n’aura à payer quoi que ce soit. Et vous savez, le Bénin n’est pas le premier pays à être condamné par des juridictions régionales. Et dans ce dossier précisément, nous ne nous sentons pas tellement interpellés, parce qu’étant deux parties, nous devrions convenir ensemble de signer une convention d’arbitrage avant que le dossier ne soit porté devant les juridictions d’arbitrage. N’ayant pas été entendu, l’Etat béninois ne se sent pas engagé. Et nous invitons tout le monde à la patience, à la sérénité ».
Extrait de la déclaration du ministre Djènontin, le 06 juin 2014
« …Je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez de mettre les choses au point dans ce dossier qui fait couler beaucoup d’encre et de salive. Je voudrais d’abord souligner que le Bénin est un des Etats membres, un Etat partie et fondateur de l’Ohada. Je voudrais dire, haut et fort, que le Bénin n’a jamais pris la décision de se soustraire ou de quitter l’Ohada. Ceci pour plusieurs raisons. Vous savez déjà qu’en octobre 1992, lorsque le traité a été signé, le Bénin était parmi les fondateurs.
A un moment donné, ça battait de l’aile avec le Président Abdou Diouf et avec le leadership du Président Boni Yayi en 2008 encore, le 25 octobre au Canada, les pays membres se sont retrouvés pour revoir les textes et relancer l’Ohada. Vous savez que l’actuel Secrétaire permanent de l’Ohada, c’est notre compatriote le professeur Dorothée Sossa. Vous savez que le Bénin abrite également l’Ersuma. Donc, c’est vous dire que le bruit qui court faisant état de ce que nous voulons quitter l’Ohada, c’est de l’intoxication. Maintenant qu’est-ce qui s’est passé ? Il s’est agi de faire la distinction entre les juridictions arbitrales et les arrêts rendus par la Cour commune de justice et d’arbitrage (Ccja).
En effet, lorsqu’il y a un contrat, il y a des gens qui disent lorsqu’on a des problèmes, nous pouvons aller vers des individus qui vont nous écouter et nous aider à régler nos problèmes. Effectivement, il y a eu l’article 49 qui parle du règlement des différends, il y a eu la procédure de conciliation préalable. A ce niveau, lorsqu’une partie constate qu’il y a un problème, elle le notifie à l’autre partie et ils s’entendent pour le régler. Dans ce cas précis, lorsque les problèmes ont commencé, au départ, les gens de Bénin Control se présentaient pour les négociations. Après, ils ne venaient plus.
Donc les choses ont commencé par mal tourner. Le texte dit que si on veut, on peut désigner un arbitre. Nous ne l’avions pas fait. Lorsqu’il s’est agi d’aller chercher un conciliateur, qui avait pour mission de mettre au clair les points du litige, on ne s’est pas prononcé. Donc, nous avions la latitude d’aller chercher un arbitre mais, on ne l’avait pas fait en son temps.
Mais il est dit que la décision rendue est une décision de l’Ohada. Vous le confirmez ?
La Cour de justice de l’Ohada rend un arrêt. Il n’y a pas eu d’arrêt. Ce sont les tribunaux arbitraux composés de juges privés qui ont rendu une décision. Donc, il n’y a pas eu d’arrêt. Mais on a voulu manipuler l’opinion publique en faisant croire que la Cour a rendu un arrêt et que le Bénin doit se voir obligé de le respecter. Même les gens qui disent que c’est sans recours, depuis qu’on a fait recours, est-ce que vous les entendez ?
Pourtant ce sont les tribunaux arbitraux qui ont rendu la décision. A partir de cet instant, la Ccja ne peut plus dire qu’elle n’est pas informée.
Non. Les gens ont dit que la Cour de l’Ohada a rendu une décision. C’est là que nous avions réagi en disant non. Ce que je veux dire, et que je veux que les gens comprennent est que la Cour n’a jamais rendu une décision. La Cour rend des arrêts. Il n’y a pas eu d’arrêt. Ce sont les tribunaux arbitraux composés de juges privés qui ont rendu cette décision.
Mais, on a voulu faire un travail psychologique au niveau du peuple pour faire croire que la Cour a rendu une décision et que le Bénin veut s’opposer. On a distillé dans la presse, dans les radios et télévisions partout. Mais depuis que nous avions déposé notre recours, est-ce que vous avez vu quelqu’un parler ? Et c’est ce qui est dommage. Au Bénin, spécifiquement, tout le monde est spécialiste. Tout le monde veut parler. Vous savez chacun a un parcours. Il faut que les gens aillent faire des investigations au lieu d’injurier les autorités. Ce que je veux dire est que le Bénin ne va jamais se retirer de l’Ohada.
Le Bénin ne va jamais s’opposer à appliquer une décision de justice. Les instances qui ont rendu la décision sont les tribunaux arbitraux composés de juges privés. Les gens ne veulent pas entendre cela, mais je le reprécise, ce sont des juges privés. C’est un tribunal arbitral. Et ce n’est qu’après le recours en invalidité formulé par l’Etat béninois que la Ccja en tant que juridiction va connaître du dossier. Nous allons nous battre par tous les moyens parce qu’aujourd’hui nous avons la charge de la gestion du pays. Nous allons aller jusqu’au bout. Le Bénin nous appartient à nous tous. Les investisseurs privés béninois ne sont pas des ennemis du gouvernement béninois.
Nous devons tout faire pour qu’étrangers et nationaux contribuent au développement de la nation. La Table ronde va se faire avec tout le monde. Le souhait est que les nationaux investissent plus dans leur pays. Ils auront l’accompagnement nécessaire. »