Les députés boudent le gouvernement depuis jeudi dernier suite à son absence à une séance plénière à laquelle des ministres étaient conviés. Certains d’entre eux se proposent même d’aller au-delà d’une simple grogne en déclenchant un mouvement de grève ou en traduisant le chef du gouvernement devant les instances de juridiction compétente. D’où une polémique sans précédent qui oppose les acteurs politiques de différents bords. Y a-t-il outrage dans le cas d’espèce ? Que disent les textes ?
Attendu pour répondre à certaines interpellations des députés jeudi dernier, aucun des trois ministres n’était présent à l’hémicycle lorsque le président Mathurin Nago procédait à l’ouverture de la séance-plénière. C’est alors que la majorité des députés piquèrent une colère noire. Du coup, la tension est montée d’un cran au sein de l’Hémicycle et les représentants du peuple ont jeté leur dévolu sur le gouvernement qui, selon eux, récidive dans l’absentéisme et le retard aux séances plénières auxquelles il est invité. A la question du président Mathurin Nago de savoir l’attitude à tenir, trois camps se sont démarqués au sein des députés. Pour le premier, les députés doivent entrer en grève en faisant un choix sélectif des dossiers à étudier en plénière. Ce choix sélectif consiste à apposer un embargo sur tous les ’’dossiers du gouvernement’’. Le deuxième propose que les députés rappellent le gouvernement à l’ordre sans envisager une quelconque grève qui pourrait être dommageable pour les populations. La troisième et dernière position consiste à poursuivre le gouvernement de par son chef, pour " outrage à l’Assemblée nationale ". C’est justement cette troisième proposition qui fait objet de polémique depuis jeudi dernier, déchainant toutes les passions au sein des acteurs politiques de divers bords.
Députés en colère
Pour le député Candide Azannaï (Fcbe), il s’agit d’un manquement grave à la représentation nationale et la Constitution béninoise est bien précise sur la question. Selon lui, " c’est l’interpellation pour outrage et traduite devant la haute cour de justice " qui est la solution. " Je pense que dans une démocratie, il y a des règles. Aucun gouvernement n’osera plus jamais se comporter de cette façon-là " a-t-il poursuivi. Hélène Kèkè (député Fcbe) abondera dans le même sens, sauf qu’elle se montre un peu plus modérée : " Parce qu’il y a une majorité, on ne veut plus respecter le parlement. Tout ce que nous faisons est prévu par la loi. Il faut que nous avertissions en refusant de travailler. Avant d’aller aux mesures fortes". Même son de cloche de la part du député Fcbe Chabi Soulé : " C’est L’article 113.2 de la constitution qui recommande l’interpellation. Ce qui nous renvoie à l’article 73. A défaut de tout, il faut une protestation forte. Nous allons aussi humilier le gouvernement ". L’opposition ne voit pas les choses autrement. En témoigne la réaction du député (Un) Antoine Idji Kolawole qui dit : " Ce que nous voyons est un danger pour la démocratie. Nous voulons envoyer un avertissement."
Que dit la loi?
En effet, l’article 76 de la Constitution béninoise dispose : " Il y a outrage à l’Assemblée Nationale lorsque, sur des questions posées par l Assemblée Nationale sur l’activité gouvernementale, le Président de la République ne fournit aucune réponse dans un délai de trente jours." Mieux, l’article 77 de la même constitution prévoit : " Passé ce délai, le Président de l’assemblée Nationale saisit la Cour Constitutionnelle de ce manquement grave aux dispositions constitutionnelles. La Cour Constitutionnelle statue dans les trois jours. Le Président de la République est tenu de fournir des réponses à l’Assemblée Nationale dans les plus brefs délais et dans tous les cas avant la fin de la session en cours. À l’expiration de ce délai, si aucune suite n’est donnée par le Président de la République à la décision de la Cour, le Président de la République est déféré devant la Haute Cour de Justice pour outrage à l’Assemblée Nationale."
A bien y voir, le gouvernement s’est rendu coupable d’un manquement à l’Assemblée nationale pour n’avoir pas fourni aux députés les éléments de réponse à ses questions dans les délais prescrits par la loi fondamentale. Mais suffit-il pour que son chef soit poursuivi devant la Haute cour de justice comme l’a souhaité le député Fcbe ? Doit-on conclure que le député Azannaï est allé trop vite en besogne si tant est que le gouvernement, représenté par cinq ministres, a présenté le même jour ses excuses aux députés tout en justifiant son retard ? Toutefois, il est à souhaiter que le gouvernement, comme il l’a si bien promis lors de sa sortie médiatique, prenne les dispositions utiles pour que de pareilles situations qui risquent de fragiliser l’Assemblée nationale ne se reproduisent.
Dans la pratique…
L’acte du gouvernement est condamnable. Les observateurs en conviennent, sauf qu’ils pensent que les députés eux-mêmes devraient, dans certaines mesures, se remettre en cause. Pour ceux-ci, l’absentéisme et le retard permanent des députés à l’ouverture des séances-plénière ne sont pas de nature à donner le bon exemple. Il n’est pas rare de voir des ministres airer à l’Assemblée nationale attendant que le quorum soit atteint pour l’ouverture de séance plénière. Les députés ont peut-être contribué à la désacralisation du parlement et il faut qu’ils prennent leur responsabilité. A bon entendeur…
Vitali Boton