« Juge constitutionnel et pouvoir politique en Afrique », c’est le thème d’un atelier qui se tient depuis hier, mercredi 11 juin 2014, au Novotel Hôtel de Cotonou. Conjointement organisé par la Cour Constitutionnelle du Bénin et la Conférence des juridictions constitutionnelles africaines (CJCA), cet atelier regroupe divers acteurs venus de l’Algérie, du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de la République Démocratique du Congo, du Burkina Faso, du Mali, du Togo, du Cameroun, de l’Afrique du Sud…
Selon le Professeur Théodore Holo, Président de la CJCA et de la Cour Constitutionnelle du Bénin, cet atelier permettra de jeter un regard scientifique et critique sur les différentes pratiques des juridictions constitutionnelles des pays membres de la CJCA, singulièrement dans leurs rapports avec le pouvoir politique. « Des échanges qui auront lieu au cours des trois jours que durera l’atelier, les participants devraient pouvoir identifier les forces et obstacles, les facteurs de limitation et les éléments de stimulation de la justice constitutionnelle », a ajouté le Professeur Théodore Holo. L’objectif pour nous, a-t-il poursuivi, est de tirer en dernière analyse, des enseignements des meilleures pratiques des uns et des autres afin d’améliorer la qualité du contrôle du juge constitutionnel.
Mais avant de planter le décor des objectifs poursuivis par l’atelier, le Professeur Holo a d’abord fait l’état des lieux de la justice constitutionnelle en Afrique. Si la justice constitutionnelle date déjà de deux siècles au moins dans les pays de vieille démocratie, la naissance sur le continent noir de juridictions constitutionnelles autonomes et spécialisées résulte, a dit le professeur Holo, des turbulences politiques qui ont secoué l’Afrique dans les années 1990. Malgré cette relative jeunesse, force est de constater tout de même que cette justice constitutionnelle africaine évolue avec vigueur et développe une riche jurisprudence qui retient l’admiration des chercheurs et des praticiens du droit de tous les horizons.
Pouvoir constitué émanant de la volonté du pouvoir constituant, la justice constitutionnelle est l’organe chargé de veiller au respect du principe constitutionnel de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs. Ce principe est, selon le Professeur Holo, primordial car on ne peut pas contrôler efficacement un organe dont on dépend. Il est donc impérieux, de l’avis du Président de la CJCA, de garantir l’indépendance de cet organe de contrôle de constitutionnalité, de régulation du fonctionnement des institutions, de préservation des droits et libertés fondamentaux et de validation des résultats des consultations électorales nationales et référendaires si l’on veut que ce contrôle soit efficace.
Pour le Professeur Holo, le contexte politique dans lequel évoluent les juridictions constitutionnelles doit être pris en compte dans la mesure où l’indépendance garantie par le constituant originaire au juge constitutionnel et la consécration expresse ou implicite de la séparation et de l’équilibre des institutions ne suffisent pas à lui conférer la sérénité et la tranquillité nécessaires à l’accomplissement correct de sa mission.
Rapport juge constitutionnel et pouvoir Politique
Le constat fait par le professeur Holo dans le cadre du rapport qu’entretiennent le juge constitutionnel et le pouvoir politique tranche avec toute hypocrisie. Selon lui en effet, l’articulation des rapports entre la justice constitutionnelle et le pouvoir politique se complique d’autant que dans la plupart des Etats, ce sont les deux pouvoirs constitués (Exécutif et Législatif) qui, très souvent, interviennent dans la nomination des membres des juridictions constitutionnelles ; or toute nomination faite par une autorité politique est réputée être politique et suscite de doute quant à l’indépendance de la justice constitutionnelle.
« L’impartialité du juge constitutionnel de même que l’objectivité de ses décisions ne le soustraient pas pour autant de l’ire du pouvoir politique », a reconnu le Professeur Holo qui a indiqué que c’est surtout lors des élections présidentielles et législatives que les rapports entre les juridictions constitutionnelles et les acteurs politiques connaissent les tensions les plus extrêmes. Il a cité les cas de l’assassinat du vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal après la proclamation des résultats des législatives de 1993, le mitraillage du domicile du Président de la Cour Constitutionnelle du Bénin en 1996 sans oublier le revirement juridictionnel spectaculaire opéré par le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire.
Comme l’a si bien dit le Professeur Holo, on constate bien que du chemin reste à faire par les juridictions constitutionnelles africaines. Les uns et les autres en sont d’ailleurs conscients et sont persuadés que cette rencontre de Cotonou au cours de laquelle plusieurs communications seront présentées, permettra de tirer des enseignements en vue de l’édification sur le continent d’un Etat de droit, gage de liberté, de sécurité et de dignité pour chacun et pour tous.
Affissou Anonrin