Les Petites et moyennes entreprises (Pme) constituent des réservoirs d’emplois pour les jeunes, donc un instrument de lutte contre le chômage et la pauvreté. A travers cet entretien, Bruno Noudéhoué, Directeur général de Label Bénin parle du financement des Pme, des dispositifs mis en place par l’Etat pour les accompagner, des avantages d’aller vers les banques au lieu de s’orienter vers les institutions de micro finance.
Les Pme constituent un réservoir d’emplois pour les jeunes, donc un instrument de lutte contre le chômage et la pauvreté. Malgré ce rôle qu’on leur connaît, elles sont confrontées au problème de financement. Comment expliquez-vous cela ?
Les Pme sont des entités qui créent plus d’emplois donc, plus de richesse, parce qu’en général, elles sont plus flexibles en matière de gestion, plus réactives face aux contraintes et elles sont plus dynamiques. Elles sont de petite taille, donc la prise de décision est rapide par opposition aux grandes entreprises qui demandent plus de précautions avant d’agir. Les Pme sont donc une très bonne chose pour un pays. Quand on prend un pays comme les Etats-Unis, il y a plus de 200.000 Pme qui sont créées ceci ; grâce à la flexibilité.
Dans les pays sérieux, lorsqu’on a conscience de l’importance des Pme, on les accompagne. C’est le cas en France et aux Etats-Unis. Dans ces deux pays, les Pme font l’objet de beaucoup d’attention par rapport aux grandes entreprises qui ne sont pas non plus négligées. On ne peut pas dire que les Pme ne sont pas accompagnées au Bénin, au contraire le concept a été élargi et on parle de Mpe (Micro, petites et moyennes entreprises). Je fais partie de ceux qui peuvent dire que les Pme sont bien accompagnées au Bénin, donc la difficulté est ailleurs.
Où se trouve alors la difficulté ?
Depuis des lustres, l’Etat béninois a mis en place plusieurs dispositifs pour accompagner les Mpme. Ces dispositifs se trouvent soit aux ministères de la micro finance, de l’industrie et de l’agriculture. Dans ces ministères, il y a des facilités d’accompagnement accordées aux promoteurs des Mpme. On peut classer ces facilités dans les Bds (Business developement service). C’est souvent des services financiers et non financiers que l’Etat a organisés au profit des Mpme. Il y a des dizaines de dispositifs que l’Etat a mis en place, parfois avec l’aide des Partenaires techniques et financiers. Parfois dans les services financiers, l’Etat donne carrément de l’argent aux promoteurs, je ne parle pas de prêt, mais un don pour les accompagner. Dans les dispositifs non financiers, l’Etat achète de matériels aux promoteurs. Si tous ces dispositifs existent dans notre pays, on ne peut que s’en féliciter.
Pourquoi tous ces dispositifs dont vous parlez ne font pas prospérer les Mpme au Bénin ?
Le problème qui se pose est que beaucoup de promoteurs des Mpme ne sont pas informés de l’existence de ces dispositifs. Il y a donc un problème de communication qui se pose au niveau des structures en charge de ces mesures prises par l’Etat béninois. Cela fait que les promoteurs ne sont pas informés, donc ils ne peuvent pas aller vers elles.
Pourquoi ces ressources ne sont pas utilisées pour permettre aux Mpme de se développer ?
C’est la vraie problématique. Les gens se posent la question, pourquoi les entreprises ne vont pas chercher ces ressources que l’Etat a mises à leur disposition ? Pourquoi les Mpme ne se développent pas alors qu’il y a une panoplie de dispositifs à leur disposition ? Ces questions se posent à l’heure où nous parlons. Peut-être dans les prochains jours, les Mpme vont s’organiser autrement pour aller vers ces dispositifs pour leur développement.
A défaut de s’orienter vers ces structures étatiques, les Mpme vont vers les banques qui refusent le plus souvent de leur accorder des prêts. Comment expliquez-vous cela ?
La banque est une entreprise particulière qui vend de l’argent en s’assurant que cet argent va lui revenir avec intérêts. Ce n’est pas un bon jeu pour elle de refuser de vendre de l’argent. Mais la question qui se pose est que celui qui veut acheter cet argent est-il sûr de respecter ses engagements ? Parce qu’en réalité, l’argent que la banque veut lui vendre, n’appartient pas à la banque. C’est l’argent que des citoyens ont confié à la banque. Ces derniers peuvent venir à tout moment chercher leur argent, il faut que la banque soit en mesure de les satisfaire. Il faut donc que celui qui veut emprunter de l’argent soit en mesure de rembourser à temps avec des intérêts. Donc, il faut s’assurer que le demandeur a l’expérience dans l’utilisation de l’argent et va pouvoir honorer ses engagements. Tant que la banque n’est pas sûre de vous, elle ne s’engage pas à vous remettre de l’argent. Ce que je peux conseiller aux Mpme, c’est de commencer petitement leurs activités sur fonds propres. Comme cela, vous vous donnez de l’expérience, vous aurez assez d’arguments à fournir à la banque qui pourra vous financer sans doute.
Je parle des banques parce que je ne suis pas sûr qu’une entreprise puisse prospérer en prenant des microcrédits, en tout cas j’en cherche. Vous constaterez que ceux qui ont géré la micro finance sont bien ronds, bien joufflus et ils ont deux mentons. Ils achètent de belles villas et de belles voitures. Alors que les Mpme à qui ils vendent de l’argent végètent dans la misère.
Pourquoi ce contraste ?
Quelqu’un qui emprunte de l’argent jusqu’à 24% d’intérêt, je ne vois pas quelle activité il peut mener pour s’en sortir. Dans un environnement aussi concurrentiel, que pouvez-vous vendre pour dégager 24% au financier et gagner vous aussi de bénéfice ? Je ne vois pas. C’est suicidaire. Je ne conseille à aucune Mpme d’aller emprunter de l’argent dans une institution de micro finance pour mener ses activités.
Pourtant ; l’Etat béninois fait la promotion des micro-crédits ?
Je suis de ceux qui pensent que notre Etat se trompe en mettant l’accent sur le micro crédit. Je pense que la banque est le meilleur instrument qui peut financer le développement d’une entreprise. Il vaut mieux aller vers les crédits de la banque que ceux d’une structure de micro finance.
Au lieu que l’Etat mette des milliards à la disposition des institutions de micro finance (Imf), il serait mieux qu(il fasse un appel d’offres à l’endroit des banques. Et il attribue le marché qui lui ferait les meilleures propositions. C’est plus avantageux pour l’Etat car, il n’ira pas acheter des véhicules 4x4 aux gens, ni les aider à louer des immeubles à grands frais avec des salaires faramineux… La banque dont la spécialité est de prêter de l’argent va se charger de prêter ces sous à ceux qui en ont réellement besoin à un taux très abordable.
Avec 30.000 ou 60.000 F Cfa, on ne peut pas créer des entreprises. Au contraire, on prive le pays de la main d’œuvre de qualité car, ceux qui prennent ces sous, pensent créer des entreprises, ce qui est faux. Tout le monde ne peut pas être entrepreneur. Il faut des gens pour créer des entreprises et des gens pour y travailler car, créer une entreprise, c’est une vocation, un sacerdoce. Ceux qui prennent ces maigres sous, créent les mêmes choses qui ne marcheront pas pendant que les entreprises cherchent vainement la main d’œuvre. Finalement, le pays n’évolue pas, il n’y a pas d’emplois sérieux. Il faut donc organiser l’accès des Mpme aux crédits bancaires. Il y a la Banque mondiale qui a un projet avec une banque de la place. Elle a fait un dépôt auprès de cette banque pour faciliter l’accès d’une catégorie de promoteurs au crédit. Ce sont ces genres d’exemples que notre pays doit suivre pour faciliter l’accès des Mpme aux crédits bancaires.
Vous dites que les Imf ne jouent pas un grand rôle pourtant, elles se multiplient dans le pays ?
C’est normal car, c’est une très bonne affaire pour ceux qui les créent. 24% comme taux d’intérêt par an, c’est important : que pouvez-vous faire dans ce pays de nos jours pour avoir ce bénéfice ? Là où c’est dangereux, ces Imf font ces bénéfices sur des pauvres. Car, c’est ceux qui ont peu d’argent qui vont vers ces institutions de micro finance. Les Imf sont des solutions de dépit. C’est parce que les gens n’ont pas accès aux crédits bancaires qu’ils leur font recours.
Vous semblez encourager vos compatriotes à aller vers les banques alors que nous sommes dans un pays où les gens n’ont pas de papiers, cela pose problème.
Pourquoi les gens n’ont pas de papiers ? Arrangeons-nous pour que tout le monde ait de papiers. Après cela, arrangeons-nous pour que les gens aient d’activités correctes dans le pays. Lorsque ces deux problèmes seront réglés, les gens pourraient avoir un accès facile aux banques. Et c’est facile pour l’Etat d’organiser tout cela. Ce sont les Etats qui contrôlent la Bceao. Il revient à ces Etats de lui donner des directives sur comment orienter les crédits dans les banques en fixant les taux de base. Quand on ne le fera pas et on dira micro-crédits aux plus pauvres, les pauvres iront chercher ces crédits pour aller acheter du carburant chez les gros trafiquants qu’ils revendront au bord des routes. Est-ce que cette activité fait du bien à l’économie béninoise ? Tous ces jeunes déscolarisés alignés au bord des routes pour vendre ce carburant felaté sont en déperdition, et c’est du manque à gagner pour le pays car, les entreprises souffrent de la main d’œuvre. Cette activité étouffe les stations-service qui ferment à tour de rôle leurs portes. Si bien qu’il n’y a plus de station dans le pays. Tout cela à cause des micro-crédits de l’Etat. Les micro-crédits ont tout déstructuré. C’est dommage.
Comment peut-on s’organiser pour que les Mpme prospèrent davantage ?
L’Etat a déjà des dispositifs d’assistance technique et financière. Il n’y a pas un domaine où vous allez entreprendre et où vous n’allez pas trouver un dispositif de l’Etat pour vous accompagner, sauf qu’il faut être initié pour le savoir.
Mais ça ne devrait pas être une question d’initié, cela devrait être connu de tous.
Oui, je le déplore aussi, car cela devrait être connu de tous. C’est dommage pour notre pays. Donc, les dispositifs existent et l’Etat doit les faire connaître afin que les gens puissent en bénéficier. L’Etat doit s’organiser pour que les Mpme puissent être informées de tout ce qui existe dans le pays comme dispositifs d’accompagnement. Et au lieu que l’Etat oriente les Mpme vers les Imf, il faut qu’il facilite leur accès au crédit bancaire qui est le meilleur outil de financement d’une entreprise.
Propos recueillis par Isac A. YAÏ