La mort est un phénomène, on ne peut plus naturel, mais la nature a mis à la disposition des humains, des outils pour la conjurer, autant que faire se peut. Ne pas savoir s’en servir et en tirer le meilleur parti pour sauver des vies humaines, c’est là qu’est le crime.
Par Candide Ahouansou*
Naguère, l’ambassadeur Maxime Léopold de Médeiros Zollner, diplomate professionnel des premières heures de notre accession à la souveraineté nationale, rendait son âme à Dieu et quittait les siens, après une longue hospitalisation au Centre national universitaire hospitalier de Cotonou, notre établissement sanitaire de référence. Le fait n’aurait certainement pas suscité une considération particulière, si l’état de santé de l’intéressé n’avait pas requis une évacuation sanitaire, qui a mis plus de temps qu’il ne fallait pour s’exécuter. En dépit des interventions de hautes personnalités, y compris celle du ministre des Affaires étrangères, pour accélérer la procédure, notre collègue s’en est allé, à quelques heures seulement du vol qui devait le conduire dans un hôpital européen. Et, Dieu seul sait si c’était déjà son heure. La malheureuse opportunité nous est ainsi donnée d’attirer, une fois de plus, l’intérêt sur le phénomène et la manière dont nous pensons qu’il convient de le réguler pour lui donner toute sa signification, d’autant qu’en toute chose, cela n’arrive pas qu’aux autres
La procédure actuelle de l’évacuation sanitaire
Et c’est parce que cela n’arrive pas qu’aux autres, que nous nous faisons le devoir d’exposer au lecteur, qui ne le saurait pas encore, la manière dont s’effectue, dans notre pays, un transfert sanitaire en direction de l’Europe, du moins pour les privilégiés qui en ont droit, tels les agents de l’Etat. Lorsqu’une évacuation sanitaire s’impose, la procédure à suivre s’avère si longue, si lourde et si pénible que, par voie discursive, bon nombre de patients passent de vie à trépas, sans en voir l’aboutissement. A la condition qu’il ne soit pas en mission à l’étranger, ou qu’il ne soit pas occupé à autre chose, le médecin traitant commence par établir l’observation médicale qui recommandera l’évacuation, en raison du fait que l’investigation ou l’intervention ne peut se faire au Bénin ; puis il devra proposer un hôpital d’accueil, demander et obtenir un devis dudit établissement et adresser le tout au ministre de la Santé. Celui-ci, à son tour, devra se prononcer sur le dossier et, si son avis est favorable, solliciter du ministère du Travail et de la Fonction publique, la décision d’évacuation. Puis commence le long traitement financier du dossier, entre les services du Budget, du Contrôle financier et du Trésor ; la saisine de la Banque centrale pour le transfert des fonds en faveur de l’hôpital d’accueil, via le siège, à Dakar. Suivent alors, les démarches en vue de l’obtention, sur intervention du ministère compétent, du visa du Consulat du pays où se rend le malade, et celles conduisant à la délivrance des titres de transport. L’autorisation d’embarquer du médecin de la compagnie aérienne, et la prise de l’arrêté qui autorise l’évacuation, terminent la procédure. Ouf ! pourrait-on souffler ; mais c’est sans compter, qu’en cas d’accompagnement du malade par le médecin traitant, ledit arrêté du ministre de la Santé précise l’identité de ce dernier, sans prévoir son remplacement, en cas d’indisponibilité, pour quelque raison. En pareille occurrence, le malade n’aura d’autre alternative que d’attendre avec sa maladie, qu’il se rende disponible. Et l’on comprend aisément, que le médecin désigné ne tienne pas particulièrement à concéder le pactole que lui constitue, en pareille circonstance, ses frais de mission, à un collègue, le cas échéant. Entretemps, le patient, lui, en fait les frais, car sa maladie ne cesse d’évoluer. Les autorités, tant politiques qu’administratives de notre pays, ne peuvent tout de même pas se prévaloir de ne savoir rien des méfaits de cette procédure qui court pourtant depuis près d’un demi-siècle.
Ce que nous proposons
Nous ne leur suggérons rien d’autre que la mise sur pieds d’une instance d’urgence, pour régler la situation d’urgence que revêt toute évacuation sanitaire, à l’étranger. Que ne pourrait-on, alors, créer un guichet unique pour ce faire ? Que ne pourrait-on nommer des membres de ce guichet unique qui regrouperait, sous l’autorité et la responsabilité du ministre de la Santé, les représentants de tous les services impliqués dans la procédure du transfert sanitaire qui, en cas d’évacuation effective, se réuniraient sans désemparer ; qu’il y ait grève ou pas ; que ce soit jour férié ou non ; que ce soit en fin de semaine ou non ; et qui rempliraient toutes les formalités requises, en pareille circonstance, d’autant que l’inexorable évolution d’une maladie ne concède pas de répit, certains jours. Traitée de cette manière, avec toute la diligence adéquate, nous estimons qu’une évacuation sanitaire en direction de la France, ne devrait guère prendre, en tout et pour tout, plus de dix jours. Ce qu’on a pu faire au bénéfice des opérateurs économiques, pour leur permettre de gagner plus d’argent, ne pourrait-on le faire pour sauver des vies humaines? Une évacuation sanitaire est intrinsèquement une affaire d’urgence, une affaire de vie ou de mort, et il convient de la traiter comme telle.Il est bon de noter, à toutes fins utiles, que la procédure que nous préconisons ne sera d’aucune incidence financière significative sur le budget de l’Etat, hormis les quelques compensations que l’on pourrait accorder ponctuellement aux membres de ce guichet unique qui pourraient être amenés à travailler en dehors des jours ouvrables. Comment alors s’expliquer que l’on ne l’instaure pas ? L’on préfère laisser les choses en l’état et intervenir tout azimut, mettant la pression sur les services concernés, lorsque c’est une personnalité proche du pouvoir ou influente, à quelque titre dans la société, qui fait objet du transfert. Outre le fait que telle démarche est discriminatoire envers le citoyen ordinaire, et qu’elle ne peut donc être moralement défendue, elle s’avère, en maintes occasions, simple agitation ne rimant à rien, d’autant que dans la plupart des cas, l’intéressé, déjà envahi par la maladie, décède. Et, pour camoufler le tout, et ne responsabiliser personne, l’on a tôt fait de mettre toutes les bévues sur le compte de la fatalité. Et cela n’a pas manqué, en ce qui concerne notre feu collègue dont l’évacuation n’a pu se faire à temps. En effet, l’on a fini par nous dire qu’il n’est pas décédé du mal qui l’a amené à l’hôpital, mais d’une nosocomiale.
Une digression utile
Nous nous permettant la digression, utile cependant, nous aimerions rappeler que les professionnels appellent nosocomiales, les maladies contractées dans un établissement de santé. N’étant pas médecin, nous ne sommes pas fondé à discourir sur le sujet. Mais il nous suffira de retenir que l’hôpital est un lieu infecté en permanence, un pot pourri de germes où le malade peut continuer de s’infecter avec ses propres germes, au contact de sa propre couche ; où les malades peuvent se contaminer entre eux, en raison de la promiscuité qui y règne. Un lieu où le visiteur sain qui y entre peut en ressortir avec une maladie ; où celui qui héberge déjà une maladie au stade d’incubation, peut transmettre le germe au malade. Un lieu où ceux qui nous soignent, infirmiers et docteurs peuvent, eux aussi, nous infecter en disséminant les germes des malades qu’ils examinent, à d’autres patients. Les maladies nosocomiales ont cours dans tous les hôpitaux, mais à des degrés divers, certes. Chez nous, le mal est endémique et renforcé par un déficit criard d’hygiène. Pour illustration, qu’il nous soit permis de faire mention de deux cas qui ont retenu notre attention ; ce dont nous nous excusons auprès des autorités administratives hospitalières qui donnent le meilleur d’elles-mêmes pour garantir bonne figure à notre hôpital de référence. Il reste cependant dans l’enceinte, des endroits où le sol est à découvert, c’est-à-dire sans gravillon ni asphalte ; et, lorsque l’on entreprend de les rendre propres, c’est un nuage de poussière qui s’infiltre dans les salles. Et le malade, déjà affaibli par le mal qui l’y a amené, peut contracter une infection pulmonaire qui peut l’emporter.Par ailleurs, lorsque vous développez une affection spécifique à la gent masculine et que vous vous rendez en consultation, il est préférable que vous soyez à même de contrôler votre vessie, pour ne jamais avoir à utiliser ce qui y fait office de toilette. S’il vous arrivait de pénétrer dans ce lieu, je puis vous assurer que vous remettrez certainement ce que contient votre estomac ; et, il y a fort à parier, que vous vous en sortirez avec une infection urinaire. Ce n’est pas sérieux ; ce n’est vraiment pas sérieux parce que l’on n’a pas besoin de milliards pour faire une toilette décente dans un endroit où l’on parle urologie, d’autant que le patient est un client, qui donc a payé sa consultation. Au demeurant, le service dont il est question est logé dans un recoin de l’hôpital, sans attrait d’aucune sorte, alors qu’il s’agit d’y soigner des seniors, principalement ; des citoyens qui ont droit à considération quand bien même minimale. Que ne peut le CNHU traiter les patients avec dignité ; cela ne requiert pourtant pas des milliards, non plus.
L’évacuation sanitaire ; un pis-aller
Pour revenir au sujet qui fait l’objet de notre préoccupation, nous n’hésiterons pas à dire que l’évacuation sanitaire est une calaminé nationale ; et cela à plusieurs titres. Elle est extrêmement onéreuse ; obère et ruine les caisses de l’Etat alors qu’elle est discriminatoire ; elle maintient, par ailleurs, nos médecins dans une situation d’arriération technologique. On ne peut lui trouver une justification que de deux façons ; soit le défaut d’équipement, soit le déficit de compétence technique. La compétence technique, en l’occurrence, l’utilisation mécanique d’un appareil médical, s’acquiert par la formation qu’assure généralement celui qui le vend. Quant au matériel, il s’achète ni plus ni moins. Le problème ne peut donc être au niveau de la compétence technique. Il se situe, alors, au niveau de la capacité d’acquisition, c’est-à-dire en définitive, de la volonté politique et de la détermination à équiper notre hôpital de référence ; et, pour cela, l’imagination fait défaut. Cette situation émane du fait, il faut bien le dire, que dans notre pays, nous ne sommes pas égaux devant la maladie ; si nous l’étions, les autorités politiques auraient trouvé, depuis belle lurette, les moyens nécessaires pour équiper convenablement notre hôpital de référence et, partant, une solution alternative à l’évacuation sanitaire. Dans cette situation d’inégalité devant la maladie, les plus fortunés s’évacuent eux-mêmes et prennent le premier avion, quand leur état de santé les inquiète quelque peu. Les autorités politiques en font tout autant, à cette notable différence près, que leur transfert engage des fonds publics générés par le citoyen anonyme qui lui-même est, soit astreint à la lourde procédure administrative d’évacuation, soit en est complètement exclu. Ainsi, les agents de l’Etat qui ont statutairement droit au transfert sanitaire, sont, néanmoins, à la merci d’une procédure qui, en fait, détermine leur sort. Disant cela, nous faisons, pudiquement, abstraction de la grande majorité de la population qui, elle, se sait vouée à l’issue fatale si son état devait requérir une évacuation sanitaire, puisqu’elle n’en est éligible aucunement. Figurons-nous et réalisons que près de 90 pour cent de la population n’est pas éligible à l’évacuation sanitaire ? N’est-ce pas scandaleux, dans un pays normalement géré? Pourquoi donc ne pas équiper correctement le CNHU pour éviter, ou tout au moins limiter, autant que faire se peut, ces évacuations sanitaires, au demeurant discriminées bien des fois, et mettre tous les béninois sur le même pied d’égalité, devant la maladie ; pourquoi donc ? D’autant que les évacuations se chiffrent en dizaines de milliards de nos francs, chaque année, et que nous dépensons ces milliards, en pure perte, depuis des dizaines d’années ? C’est par discrétion et pour ne pas inquiéter les esprits, que nous faisons l’économie des montants décaissés à cette fin. Un véritable gâchis dirions-nous, cependant, en toute responsabilité. Sous d’autres cieux, la Cour des Comptes se serait, à n’en pas douter, autosaisie de ce dossier et aurait recommandé vivement au gouvernement, de réviser sa politique d’évacuation sanitaire. Il est vrai, qu’en toute singularité, nous ne disposons pas d’une telle institution et que la Chambre des comptes logée à l’intérieur de la Cour suprême ne dispose pas de l’autorité nécessaire pour s’en saisir. Que faire alors, si ce n’est invoquer le bon jugement de l’Exécutif et l’implication du Législatif qui a le devoir de protéger les intérêts du peuple.
* - Ambassadeur, - Président de l’ONG Groupe d’Actions pour une meilleure qualité de Vie