Au Bénin, les médicaments se vendent comme du piment et de la tomate. Alors que l’inquiétant débat sur la circulation de faux médicaments se fait vieux, c’est la question des produits pharmaceutiques distribués par les structures officielles qui est polémique. Et pour cause, des médicaments interdits sont toujours prescrits par nos médecins et vendus dans nos officines. Votre journal a enquêté sur la question. Le résultat est, à la limite effrayant.
Christophe D. AGBODJI
C’est un véritable cafouillage eu égard à ce qui se passe dans le secteur de la pharmacie béninoise. En effet, il y circule toujours des médicaments dont le nom figure pourtant sur une liste dite de « médicaments interdits ». Artémédine 50 mg comprimé, Alaxin 60mg comprimé, Plasmotrim 50 mg, ... La liste est longue. D’ailleurs, ces produits sont généralement prescrits par des médecins exerçant dans nos centres de santé. M. Sévérin souffre depuis plus de six ans d’hypertension. Son médecin lui a prescrit ’’ Vastarel’’, un produit qu’il prend régulièrement. Seulement, il ne sent pas d’évolution dans le traitement qu’il suit, pourtant avec rigueur. Mme Sabine utilise, elle-aussi les mêmes produits que lui a prescrits un autre médecin. Cependant, loin de guérir, son mal s’amplifiait. Le premier patient nous a conté que suite à un voyage en France, le premier médecin qu’il a rencontré s’est indigné de ce que ce produit interdit d’utilisation soit encore prescrit et vendu. Les effets du médicament que lui a été prescrit en remplacement de Vastarel semblent, selon son témoignage, miraculeux. C’est la même sensation que ressent Mme Sabine depuis qu’elle a cessé aussi de prendre ce produit.
Comprendre la terminologie « médicaments interdits »
Selon le Dr Fadigba en service au centre hospitalier départemental de Parakou, « un médicament interdit, au sens médical du terme est tout médicament, à priori mis à disposition sur le marché pour les prescripteurs et qui, pour une raison ou une autre a été retiré de la vente ». C’est le Dr Fadhul qui nous a renseignés sur ces raisons pour lesquelles un médicament peut être retiré de la vente. « La raison fondamentale pour laquelle on peut ordonner la cessation de la vente d’un médicament est la constatation d’effets secondaires suite à son utilisation ». Cela signifie que certains médicaments prescrits pour le traitement d’une pathologie peuvent encore rendre plus malades c’est-à-dire susciter d’autres maux. Mais ce n’est pas le seul motif. « D’autres fois, on constate aussi que ces produits ne guérissent pas les maux pour lesquels ils ont été prescrits ». A entendre le médecin, ces produits ne valent pas plus que la simple eau dans l’organisme ; ils ne produisent pas les effets attendus de leur utilisation. Continuer à vendre ce produit serait donc abuser de la confiance des patients qui continueraient par acheter des médicaments inopérants pour le traitement de leur maladie. Et c’est, pourtant la situation des béninois.
Le loup est dans la bergerie
Il est choquant de réaliser qu’un tel malheur s’abat au quotidien sur ces pauvres patients qui ont laissé leur vie entre les mains de leurs médecins. Dans le rang des professionnels du secteur, tout le monde s’accorde à dire que la situation n’est pas aussi angoissante que ne le pense. Pour Dr Mèdénou, « un médicament interdit en France peut ne pas l’être au Bénin ». La raison est toute simple, « chaque pays dispose d’une nomenclature établie en fonction de ses réalités ». Cependant, les explications données par le pharmacien semblent insuffisants pour apaiser la crainte des patients. Et pour cause, la structure organique du français est la même que celle du béninois. Un médicament qui s’est révélé dangereux pour le patient français l’est forcément pour celui béninois. « Il y a trop de polémique sur cette affaire ; plusieurs listes circulent sur internet sans qu’on soit en mesure d’en attester l’authenticité ». C’est pourquoi, nous nous sommes rendus au ministère de la santé pour avoir cette liste officielle de médicaments interdits au Bénin. Malheureusement, nous en sommes revenus plutôt désillusionnés.
Le chien aboie ; la caravane passe ?
Direction des médicaments au Ministère de la santé ce jeudi 5 juin 2014. Le directeur est en congé. La secrétaire nous oriente vers l’une de ses assistantes, un Dr en pharmacie. « Je ne veux plus me prononcer par rapport à cette affaire », jeta t-elle d’entrée. Elle a certainement raison.
Le sujet est angoissant. Elle nous exprima son indignation par rapport à la façon dont les médias traitent l’information ; cette façon qui ne sert à la fin qu’à donner une « fausse alerte ». Mais, entre expression de son désaccord face à cette stratégie et proclamation de l’attitude de réserve qu’elle entend désormais garder, quelques bribes de mots s’échappent ; assez pour nous permettre de voir plus clair dans la situation. « Oui, le Bénin a lui-aussi une liste de médicaments interdits » comme c’est le cas dans tous les pays du monde ; mais « elle n’est pas compétente pour mettre à notre disposition cette liste ». Entre deux vagues de nervosité, elle nous explique que des « médicaments peuvent être interdits en France et ne pas l’être au Bénin ».
La raison est, selon elle toute simple. « Les réalités sont différentes sur le terrain ; nous souffrons de maux au Bénin que les français ne connaissent pas ». L’interdiction serait aussi relative à l’association de certains médicaments en vue du traitement d’une pathologie. « L’exemple le plus évident est celui de la chloroquine ; une fois qu’elle a été interdite par l’Oms, elle est retirée des pharmacies ». Toutefois, ce produit peut toujours être acheté sur commande personnelle après justification de son traitement. D’après les éclaircissements de la pharmacienne, « la chloroquine, si elle est interdite pour le traitement du paludisme, peut servir à la guérison d’autres maladies ». Plus encore, « il y a des médicaments dont nous avons interdit la vente au Bénin et qui sont, pourtant vendus au Togo voisin », a-t-elle renchérit pour nous démontrer qu’il suffit juste aux patients de traverser la frontière pour se procurer ces produits. D’ailleurs, « même en Europe, l’unanimité n’est pas toujours faite à propos de ces produits ».
Des explications non rassurantes
Ces explications ne sont pas de taille à rassurer quand on sait que ce qui tue le Français ou l’américain peut tuer également le béninois ou le togolais ; d’où la seule palliative est d’interdire au Bénin, le médicament qui est interdit ailleurs. Pourquoi trouve t-on alors toujours ces produits dans nos pharmacies ? Pour le Dr Fadigba, deux raisons peuvent expliquer cela. « D’abord, il peut s’agir des raisons financières ». Il faut que les pharmaciens évacuent le stock qu’ils se sont procurés. « Ensuite, c’est quelques fois dû à la lenteur des travaux de la commission ». Ainsi, la commission de surveillance des médicaments peut mettre plusieurs mois pour prendre la décision de retirer de la vente un médicament. On peut aussi estimer que nos médecins ne s’informent que trop peu. Ainsi, peuvent-ils continuer de prescrire à leurs patients des produits qui ne les guérissent pas ou pire encore peuvent les rendre malades. Et cela dure des décennies déjà. Et cela risque de continuer encore pendant longtemps. En attendant une prise de conscience effective, les pharmaciens peuvent continuer par gonfler leur caisse et les malades par mourir. On ne peut retenir qu’une seule leçon de cette fable : Notre vie est trop chère pour qu’on la laisse entre les mains des médecins et des pharmaciens.