Le peuple a faim, le peuple veut du pain, le panier de la ménagère est vide. La ritournelle revient à chaque fois au Bénin. Dans les différentes interventions même au niveau élevé, on dit sans hésiter qu’il y a beaucoup de Béninois qui n’arrive pas à joindre les deux bouts. Et pourtant, c’est vrai. Pourquoi certains doivent manger à satiété et d’autres obligés de veiller parce que le ventre creux ? Y-a-t-il un faible niveau de production ? Les prix fixés dépassent-ils le niveau réel du dernier citoyen ? D’où vient le danger et quelles en sont les implications ?
Mardi 20 mai 2014 autour de 11 heures. Le marché Dantokpa grouille de monde. Personne ne s’intéresse vraiment à l’autre car le temps, c’est de l’argent. Jeunes dames, personnes âgées, petites filles, toutes passent une journée pour acheter et vendre. Les détaillants achètent auprès des grossistes pour revendre aux clients. Les grossistes eux se chargent de le vendre aux détaillants. Dans ce commerce, chacune des parties s’en sort gagnante. C’est d’ailleurs la raison même de leur présence en ce lieu commercial. Mais est-ce que le client est privilégié dans ce jeu ? La recherche du bénéfice ne pénalise pas le citoyen lambda ? Nan Hounsa, septuagénaire est une commerçante issue de la vieille école. Elle a été emmenée du village dans ce grand marché à l’âge de 17 ans et depuis lors, elle ne l’a jamais quitté. C’est une commerçante grossiste de maïs. C’est chez elle que viennent s’approvisionner la plupart des femmes détaillantes du marché et des marchés environnants, car elle est généreuse dans la mesure et son prix est relativement abordable. Mais la différence n’est que de quelques francs, car dans le marché, les prix sont apparemment identiques. Un peu comme si elles s’entendaient, les femmes de ce marché s’arrangent pour que le prix de la mesure soit le même partout. La raison selon Dame Hounsa est toute simple. « C’est chez nous, (grossistes) qu’elles viennent acheter. C’est sur la base du prix que nous fixons qu’elles déterminent leur marge et fixent le prix définitif au client. Mais sur quoi se base Nan Hounsa pour fixer son prix ? La commerçante répond en expliquant tout l’itinéraire du produit. « Je vais acheter le maïs à Djidja dans mon village. C’est en campagne que je me rends. A l’approche des récoltes, les paysans m’informent et je leur dit la quantité que je veux avant de descendre. Quand je me rends là bas, je parcours des kilomètres pour avoir la quantité voulue puisque mes fournisseurs paysans ne se trouvent pas au même endroit. Il faudra maintenant solliciter les jeunes pour ensacher les récoltes et les convoyer vers la gare pour le retour sur Cotonou », affirme-t-elle. A ce niveau, Dame Hounsa enregistre deux formes de difficultés. La première affirme-t-elle, se trouve au niveau de la récolte et de l’ensachage. « Le parcours qui a été fait pour recueillir les récoltes est facturé, la main d’œuvre payée pour ensacher le produit est aussi facturée sur le prix d’achat », affirme-t-elle. Le second niveau de difficulté se trouve selon la commerçante au niveau des aléas climatiques. « Il y a des fois où nous n’arrivons pas à avoir la quantité espérée à cause des aléas climatiques. Il peut avoir trop de pluie ou en moins ce qui joue vraiment sur la productivité. Si la quantité que nous espérons n’est pas atteinte, c’est évident qu’on élève le coût à l’achat », affirme-t-elle.
Une industrie à la chaine
La méthode de Dame Hounsa est suffisamment harassante pour certaines vendeuses en gros rencontrées. Pour Dame Adelaïde Hounga, grossiste de gari au marché Vèdoko, c’est carrément la vielle école. Désormais, au lieu que ce soit la commerçante qui aille vers les paysans des campagnes, ce sont ceux-là qui amènent les récoltes au niveau des marchés des communes comme Bohicon, Zogbodomey, Houndjroto et autres. Ils chargent les récoltes par centaines de kilogrammes qu’ils déversent sur ces marchés. Dans ces marchés, ils ont leur clientes (les femmes commerçantes) qui les achètent en tenant compte du prix sur le marché et de la marge qu’elles auront sur les commerçants qui viendront de Cotonou et alentour. Une fois la cession réalisée, les paysans regagnent leurs campagnes et les commerçantes commencent maintenant par appeler leurs clients des villes de l’arrivée de la ‘’cargaison’’. L’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication aidant, elles sont informées en temps réels. Ce sont exclusivement les grossistes de ces marchés qui s’y rendent. Chacun achète en gros et un titan se charge de convoyer les produits sur Cotonou. Tout fonctionne comme un travail à la chaine. En effet, selon les déclarations des commerçantes, le prix n’est ni fixé par le paysan encore moins la vendeuse qui arrive de la ville. « Ce sont les commerçantes des villages et communes qui communiquent aux paysans le prix au regard de la disponibilité ou de la rareté de la récolte. Si la demande est forte à leur niveau, elles haussent le prix et c’est en raison de cette hausse qu’elles informent les paysans qui viennent avec la cargaison. Mais si la demande est moindre et la production forte, elle diminue le prix et les commerçantes qui arrivent des villes en ressentent moins le choc. C’est ce qui fait que les prix changent du jour au lendemain », affirme-t-elle.
Des prix fluctuants en raison des nombreux aléas
Pour Dame Hounnou, vendeuse de maïs au marché Dantokpa, la première raison de la hausse des prix, c’est le décalage de la périodicité des récoltes. « Il arrive des moments où le temps de la récolte ne coïncide pas avec la pénurie sur le marché. Cela arrive souvent avec le maïs. Quand c’est comme cela, nous sommes obligés d’hausser les prix », affirme-t-elle. La seconde, ajoute-t-elle, ce sont les aléas climatiques. « Les aléas menacent gravement nos prévisions. L’absence de pluie ou les pluies en excès menacent les récoltes et créent l’indisponibilité sur le marché. Quand c’est comme cela, nous ressentons le choc. Le consommateur final également », affirme-t-elle. Mais il y a également les aléas non climatiques. Pour la plupart des commerçantes rencontrées, l’instabilité du coût du carburant ou du gasoil est un facteur important dans la fixation du prix au consommateur final. Les difficultés d’acheminement des récoltes comme les pannes des camions jouent aussi sur le coût. « Nous partons souvent ensemble acheter les produits. La plupart du temps, on utilise les mêmes camions. Donc le camion devient en fait le grenier de ce marché. Quand il tombe en panne, cela veut dire que le marché recevra les produits en retard ce qui entraîne une hausse au niveau de la petite quantité de produit disponible sur le marché. Ensuite, le chauffeur qui transporte les produits sera obligé d’augmenter le coût du transport pour compenser les pertes qu’il a enregistrées du fait de la panne », a-t-elle fait savoir, déclare-t-elle. A cette allure, on peut sans risque de se tromper que ce sont les femmes des marchés qui sont maîtresses de la politique de prix sur le marché. S’il en est ainsi, le consommateur final ne pourra que ressentir doublement le choc.
Une fois en hausse, les prix ne chutent plus
Beaucoup de consommateurs approchés ont fait remarquer que la plupart des commerçants profitent des périodes d’inflation pour maintenir à la hausse les prix des produits de première nécessité. « Quand les prix montent, ils ne baissent plus généralement. Le phénomène se remarque surtout au niveau du prix de l’essence. Quand ça monte, les prix des produits aussi suivent. Mais on ne remarque pas la même chose quand ça revient à la normale », remarque Antonin, consommateur. Idem chez Patrice, fonctionnaire d’Etat. Il rappelle la récente période de crise alimentaire qui a entraîné une forte inflation. « Les prix des produits de première nécessité ont monté en son temps, mais depuis, ça n’a pas vraiment changé en dépit de la maîtrise de la situation », a-t-il fait remarqué. Les contextes évoluent et les coûts avec. Mais la réaction des consommateurs citadins contraste un peu avec la réalité dans les Communes où l’on cultive ces matières premières. Pour Dame Mahinou, vendeuse à la sauvette à Ouinhi, le constat des consommateurs citadins n’est pas vérifié. « La mesure du haricot rouge n’a jamais dépassé 250 FCfa ici alors qu’on me dit qu’en ville cela va jusqu’à 400 voir 500 FCfa. Actuellement, la mesure du maïs est à 150 ici. Mais je comprends, là bas c’est la ville », a-t-elle conclu.
Et l’Etat ?
Face à cette latitude donnée aux commerçants d’être maitres du processus de fixation des prix, des voix se sont élevées entre temps pour demander à l’Etat de prendre en main la politique de régulation des prix sur le marché. La question ne manque pas d’intérêt mais les textes sur ce plan sont clairs. Selon Fidèle H, cadre en service à la direction de promotion du commerce intérieur du Ministère du commerce et des petites et moyennes entreprises, les dispositions prévues en la matière interdisent à l’Etat de s’immixer dans la politique de prix pour ce qui est des produits de première nécessité comme le vivrier. Il appartient aux acteurs déclare-t-il, d’organiser leur secteur et de définir un prix qui tienne compte des réalités du marché. L’Etat à travers les structures du ministère du commerce ne joue selon le cadre, que le rôle de superviseur en veillant à une uniformité au plan national. « Excepté certains produits particuliers pour lesquels l’Etat doit intervenir, la politique de prix pour ce qui est des produits de première nécessité revient exclusivement aux acteurs du secteur que sont les commerçants. L’Etat n’a pas le droit de s’immixer. Les textes à propos sont clairs. Nous sommes dans un régime libéral. Toutefois, l’Etat surveille et des équipes du ministère sillonnent presque quotidiennement tous les marchés du Bénin pour recueillir les coûts. L’objectif est de veiller à une uniformité sur le marché. Notre travail s’arrête là », a-t-il fait savoir. Toutefois, cette interdiction faite à l’Etat d’intervenir directement dans la politique de prix ne l’empêche pas de soutenir la consommation. « L’Etat peut décider de subventionner certains produits de première nécessité. C’est ce qui se fait d’ailleurs à travers l’Office nationale de la sécurité alimentaire (Onasa) pour ce qui est du riz et du maïs », a-t-il fait savoir. Avec les prix subventionnés par l’Onasa et les baisses relatives notées sur le marché, personne ne devrait en principe se plaindre de la hausse des couts des produits de première nécessité. Mais qu’est-ce qui peut bien expliquer la plainte ?
Et le salaire ?
Il ne sera pas inutile de faire le lien entre les prix sur le marché et le revenu net du citadin pauvre. Selon les derniers acquis des travailleurs au sortir des négociations gouvernement syndicat, le Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) est porté à 40 000 FCfa. A faire un calcul rapide, on se situe autour de 1300 FCfa par jour pour le fonctionnaire qui est payé à ce prix. Avec une famille à charge, un loyer à payer, une moto à entretenir, il est évident que ce travailleur ressente durement la hausse qu’un autre qui perçoit 5 ou fois ce qu’il gagne la fin du mois. La hausse doit donc être relativisée au regard de la bourse des plus vulnérables. Ce qui est davantage préoccupant, c’est qu’un grand nombre de béninois perçoivent moins de ce minimum garanti (25.000, 30 000 FCfa). Le plus effarant, c’est la catégorie des ouvriers qui vivent à la tâche, souvent au gré de l’humeur des entrepreneurs alors même qu’ils ont des bouches à nourrir. Cette frange de la population ressent durement la hausse de la mesure de gari qu’un bureaucrate bien payé. La mesure du gouvernement de dynamiser l’Onasa est la bienvenue. Il faudra réfléchir à un accroissement de la production ce qui permettra une couverture intégrale en vivres et une disponibilité permanente pour les bénéficiaires.