L’indépendant en Afrique francophone (ou plutôt dans l’Afrique appartenant à la France) c’est un pays dont la monnaie est battue quelque part à Paris ; qui pour mater une rébellion interne doit recourir à l’intervention directe de l’armée française ; qui ne peut s’adresser aux institutions financières internationales sans le parrainage du tuteur à travers le club de Paris ; qui ne peut mobiliser des investisseurs internationaux pour son développement qu’à partir d’une table ronde à Paris ; dont le port et les rails ne peuvent être contrôlés que par Bolloré, les puits de pétrole par Elf ou Total, les mines d’uranium par Areva. La politique étrangère d’untel pays ne se conçoit que pour s’aligner derrière les résolutions et les positions françaises à l’Onu. En cas de docilité béate, le chef d’Etat a la latitude de tripatouiller la constitution en vue de s’éterniser au pouvoir et d’y faire asseoir, si possible, ses rejetons après départ du pouvoir. Ils sont 14 en Afrique à s’illustrer ainsi quotidiennement dans la décadence, les dynasties régnantes, l’impunité, les guerres civiles tribales, les coups d’Etat sanglants, le recul démocratique. Les seuls au monde à partager une monnaie commune dont ils ignorent tout.
Loin de moi l’envie de jouer au rabat-joie pendant que des centaines de millions de nos impôts sont engloutis dans le jouissif annuel du 1er aout. Il parait que l’Etat du Bénin a 54 ans. Tous les Etats au monde se sont choisis une date dans l’année consacrée à une commémoration nationale. Si ce n’était pas le 1er aout, le Bénin allait se trouver une autre date et peut-être un autre événement que la proclamation d’indépendance. Néanmoins, on ne peut passer sous silence, en ces jours spéciaux, le malheur d’être tombé sous le joug d’un colon retors, kleptomane et manipulateur. Ces 14 pays auraient connu un autre colon que leurs trajectoires respectives seraient tout autre. Des scandales sur le pétrole angolais dont les ristournes serviraient à financer des campagnes électorales au Portugal sont très rares. Pareil pour des affaires autour du pétrole nigérian siphonné pour le compte des apparatchiks en Grande Bretagne. Rien à voir avec la fréquence et l’ampleur des rapports incestueux entre le milieu politique français et les diamants centrafricains, le pétrole congolais ou gabonais…
C’est indéniable qu’avec la qualité des gérants actuels de cette « Afrique de la France », il est inutile de songer à une initiative de l’intérieur pour inverser la tendance. Nos devises n’ont pas assez souffert de la mainmise de l’ancien colon, de même que notre diplomatie, nos armées, nos programmes d’enseignement, nos gouvernements et nos politiques dits de développement. Mais l’autre évidence, c’est qu’en contribuant à la clochardisation de ses anciennes colonies, la France s’est tiré, elle-même, un plomb dans les ailles. En effet, un Angola prospère sert de réceptacle naturel à l’exode des Portugais confrontés à la crise économique et financière. De la même manière, l’Anglais peut s’établir plus facilement au Ghana, au Nigéria, au Kenya ou en Tanzanie en plein boom ; l’Afrique qui marche.
A l’inverse, la France ne peut rien espérer de ses dominos qu’elle a vampirisés et largement aidés à se désagréger. Pendant que la Chine peut compter sur son milliard et demi de citoyens, la Grande Bretagne sur ses anciennes colonies devenues florissantes (Canada, Etats-Unis, Australie, Inde etc…), la Russie sur son empire tapi de fabuleuses richesses minières, les Etats-Unis sur leur superpuissance économique et technologique, la France quant à elle ne peut que compter sur des « éclopés » sur la scène internationale. Son débouché naturel en Afrique est devenu un vaste champ d’incertitude, d’approximation et de gabegie. Partout ailleurs les indépendances ont rimé avec défi, lutte et reconstruction. En Afrique francophone indépendance veut dire fête, célébration et danse comme le 1er aout au Bénin.