Après deux semaines de suspension, l’audience démarrée le 2 juillet dernier dans le cadre du procès de l’assassinat de Séverin Coovi, ex-premier président de la Cour d’appel de Parakou, a repris lundi 4 août. Les débats se sont achoppés sur l’absence du témoin attendu à la barre, Rachidi Gbadamassi, et la Cour d’assises a renvoyé la cause à ce jeudi 7 août pour sa comparution et la poursuite des débats.
Comme l’on s’y attendait, c’est autour de la comparution du député Rachidi Gbadamassi, maire de Parakou à l’époque de l’assassinat du juge Séverin Coovi en novembre 2005 et dont le nom est revenu plusieurs fois dans les témoignages, que les débats se sont déroulés lundi dernier. Après avoir constaté l’absence de l’intéressé à l’audience, le ministère public a expliqué que les diligences ont été bel et bien faites pour qu’il comparaisse. Le Parquet général a saisi à cet effet le ministère de la Justice qui a adressé une lettre transmise à l’Assemblée nationale le 22 juillet 2014 à 16h04, fait savoir l’avocat général Pascal Dakin. Dans cette correspondance, il est demandé qu’il plaise à l’autorité parlementaire de permettre au député Rachidi Gbadamassi de se présenter à l’audience du lundi 4 août dernier à 9 heures et ce, dans le souci d’une bonne administration de la justice. Le secrétariat et le président du Parlement ont fait le nécessaire et ont transmis le dossier au député pour « information », suivant les bordereaux dont les avocats de la partie civile et de la défense ont reçu copies.
Le ministère de la Justice en déduit que le président de l’Assemblée nationale n’a pas donné son autorisation pour que le député soit à la barre. Il propose alors l’application de l’article 616 du Code de procédure pénale qui dispose : « Lorsque la comparution n’a pas été demandée ou n’a pas été autorisée, la déposition est reçue par écrit dans la demeure du témoin, par le président de la Cour d’appel ou, si le témoin réside hors du chef-lieu de la Cour d’appel, par le président du tribunal de première instance de sa résidence. Il sera, à cet effet, adressé par la juridiction saisie de l’affaire, au magistrat ci-dessus désigné, un exposé des faits sur lesquels le témoignage est requis, ainsi qu’une liste de demandes et questions ». « Transmission pour information n’est pas autorisation », dira l’avocat général Pascal Dakin. La réaction des avocats de la partie civile et de la défense ne s’est pas fait attendre.
Partie civile et défense rejettent
Me Hugues Pognon de la partie civile rejette ces réquisitions du ministère public et fait deux observations : l’une technique et l’autre particulière. Primo, il fait remarquer qu’en raison du statut du témoin Rachidi Gbadamassi, c’est par voie hiérarchique que sa convocation devrait se faire. Et, qu’en la matière, le secrétariat et le président du Parlement ont bel et bien été saisis et transmis le dossier à l’intéressé pour information. Pour l’avocat, c’est déjà une forme d’autorisation en ce sens que si le président de l’Assemblée ne voulait pas l’autoriser, il ne lui transmettrait pas le dossier.De plus, l’article n’a pas précisé dans quelles formes l’autorisation doit être donnée, ajoute-t-il. « Il ne faut pas distinguer là où la loi n’a pas distingué », indique Me Hugues Pognon.
Ainsi donc, nous tombons sous le coup de l’article 615 qui stipule : « Lorsque la comparution a lieu en vertu de l’autorisation prévue à l’article précédent (NDLR : article 614), la déposition est reçue dans les formes ordinaires ». L’article 614 en son alinéa 3 dispose que : « Les membres des autres institutions constitutionnelles (NDLR : en dehors du gouvernement) ne peuvent comparaître comme témoins qu’après autorisation du premier responsable de l’institution concernée ». « Si Rachidi Gbadamassi ne se présente pas à la barre, la Cour devra faire application de l’article 329 du Code de procédure pénale », en déduit Me Hugues Pognon. Ledit article souligne : « Lorsqu’un témoin cité ne comparaît pas, la cour peut, sur réquisitions du ministère public ou même d’office, ordonner que ce témoin soit immédiatement amené par la force publique devant elle, ou renvoyer l’affaire à la prochaine session. En ce dernier cas, il peut être ordonné que le témoin soit amené par la force publique devant la cour à la date à laquelle l’affaire sera appelée. Dans tous les cas, le témoin qui ne comparaît pas ou qui refuse, soit de prêter serment, soit de faire sa déposition peut, sur réquisitions du ministère public, être condamné par la cour à une amende qui n’excédera pas deux cents mille (200.000) francs. La voie de l’opposition est ouverte au témoin condamné qui n’a pas comparu. L’opposition s’exerce dans les quinze (15) jours de la signification de l’arrêt faite à la personne ou à son domicile. La cour statue sur cette opposition soit pendant la session en cours, soit au cours d’une session ultérieure ».Secundo, Me Hugues Pognon fait observer particulièrement qu’Ibrahim Akibou, magistrat et conseiller à la cour constitutionnelle, s’est présenté spontanément devant la Cour et a comparu pour la manifestation de la vérité, sans même que les dispositions de l’article 614 soient appliquées. « Je pense que le Parlement a joué son rôle et c’est l’individu qui fait de la résistance », laisse entendre Me Hugues Pognon.
Fermeté et intransigeance
Il sera appuyé par Me Evelyne da Silva Ahouanto, avocat de la défense, qui insiste que l’article 616 du Code de procédure pénale ne peut être appliqué parce que le postulat qui se pose ici montre, à l’en croire, que l’autorisation est donnée à Rachidi Gbadamassi de se présenter devant la Cour d’assises. Elle prie la cour d’en tirer alors les conséquences de droit. A sa suite, l’avocat de la partie civile, Me Alfred Pognon, enfonce le clou. « A moins que la Cour d’assises soit réduite à protéger des intérêts particuliers d’un individu… ! ». Pour lui, la voie utilisée par le président de l’Assemblée nationale, c’est le mécanisme par lequel les autorisations sont toujours données. « Autrement, nous délivrerons une sommation au président de l’Assemblée nationale pour demander pourquoi il n’a pas autorisé Rachidi Gbadamassi à se présenter devant la Cour », avertit Me Alfred Pognon. « Nous sommes prêts à aller plus loin si possible », insiste-t-il plein de fermeté. Faisant allusion à des « manigances » qui auraient eu cours pour noyer le dossier, l’avocat estime que certains magistrats se jouent de la justice et bloquent sciemment la manifestation de la vérité sur le crime crapuleux commis sur leur propre collègue.
« Autrement, c’est la cour qui se rendra coupable de la violation des Droits de l’Homme et de la défense », lance-t-il.Après une suspension annoncée pour 30 minutes mais qui aura duré finalement quatre heures de temps, la cour présidée par Huguette Théodora Balley-Falana, a tranché que la transmission pour information du dossier au député Rachidi Gbadamassi ne saurait être considérée ni comme une autorisation à se présenter devant la cour, ni comme un refus. La cour a ordonné le renvoi de la cause à ce jour jeudi 7 août pour la comparution du sieur Rachidi Gbadamassi et la poursuite des débats.
« Ce n’est pas que nous avons peur », dixit Rachidi Gbadamassi
« J’ai décidé délibérément de surseoir à mes activités politiques, de surseoir à tout ce qui peut prêter à confusion. Ce n’est pas en réalité une faiblesse ; ce n’est pas que nous avons peur. Mais c’est pour laisser les juges faire leur travail en toute quiétude, en toute responsabilité ». C’est ce qu’a déclaré le week-end dernier, le député Rachidi Gbadamassi sur une radio de la place à Parakou, interrogé sur son absence depuis quelques semaines dans sa circonscription électorale. L’élu souvent très actif dans la huitième circonscription électorale, a rappelé que la plupart de ses activités politiques sont menées à Parakou, Pèrèrè, N’dali et Tchaourou. Et que la Cour d’appel de Parakou est territorialement compétente par rapport à la 8e circonscription électorale et va même au-delà. « Vous comprenez avec moi que pour toute activité politique que je vais mener au niveau de la commune de Parakou, il y aura d’attroupements. Je suis un homme public, un homme du peuple. Ces attroupements peuvent prêter à confusion et ça peut mettre mal à l’aise ce qui se fait actuellement au niveau de la Cour d’appel de Parakou », a-t-il expliqué. « C’est pour ça que je n’ai pas voulu semer la confusion et j’ai décidé d’interrompre volontairement mes activités politiques et de m’éloigner des micros. A chaque fois que je parle, ça peut gêner. C’est un principe ; c’est une ligne de conduite que mon conseil m’a recommandée d’adopter. Ce n’est pas une faiblesse », a confié le député Rachidi Gbadamassi cité comme témoin dans l’affaire assassinat du juge Séverin Coovi après avoir été incarcéré puis bénéficié plus tard d’un non-lieu. C.U.P.