Il faudra attendre encore des mois pour connaître avec exactitude le mobile, les circonstances et les auteurs du crime crapuleux sur le juge Séverin Coovi, ex-premier président de la Cour d’appel de Parakou. L’audience ouverte le 2 juillet dernier a été clôturée hier jeudi 7 août sans le verdict définitif de la Cour d’assises. Elle a renvoyé la cause à une prochaine session et ordonné le maintien en détention des trois accusés en attendant la poursuite des débats.
Les accusés Clément Adétona, Raïmi Moussé et Ramane Amadou resteront encore en prison pour un délai non encore déterminé avant de connaître le sort à eux réservé dans l’affaire assassinat du magistrat Séverin Coovi crapuleusement exécuté en novembre 2005. Après cinq semaines de procès, soit seize journées d’audience, la Cour d’assises de la Cour d’appel de Parakou n’est pas arrivée à atteindre la vérité tant recherchée aussi bien par les juges que par la partie civile et la défense. La cour a rendu hier une décision à travers laquelle elle renvoie la cause à une session ultérieure suivant le souhait exprimé par les avocats de la partie civile et de la défense face au blocage noté depuis quelques semaines en ce qui concerne l’audition du témoin Rachidi Gbadamassi et autres. Attendu hier pour sa comparution, l’ancien maire de Parakou à l’époque des faits et actuellement député à l’Assemblée nationale, a brillé par son absence à la barre. En effet, à l’appel de son nom par le président de la cour d’assises, c’est un silence de cimetière qui a répondu. C’est alors que le ministère public est sollicité pour faire ses observations. L’avocat général Pascal Dakin requiert qu’il plaise à la Cour de poursuivre les débats surtout que l’intéressé n’est convoqué qu’en qualité de témoin. La partie civile oppose un avis d’objection et insiste sur la comparution de Rachidi Gbadamassi dont le nom est cité à plusieurs reprises dans les dépositions de certains témoins entendus depuis le début du procès. Me Hugues Pognon fait remarquer que sur les 75 témoins attendus au départ, à peine le tiers des personnes citées à comparaître s’est présenté à la barre. Il sollicite que la cour fasse application de l’article 348 du Code de procédure pénale qui dispose : «En tout état de cause, la cour peut ordonner d’office ou à la requête du ministère public ou de l’une des parties, le renvoi de l’affaire à une prochaine session». Me Alfred Pognon enfonce le clou pour insister que le témoignage de Rachidi Gbadamassi est capital pour la manifestation de la vérité. Pour lui, on ne saurait se baser sur les seules déclarations «variées» de Clément Adétona qui se dit «œil de la justice» dans cette affaire. Ses versions sont restées constantes quant à «l’imputation forcenée» de Raïmi Moussé et Ramane Amadou et il se refuse de dire ce qu’il a vu ou fait dans la nuit du 6 novembre 2005 en se cachant derrière une affaire de «noix magique» croquée, indique l’avocat de la partie civile. Aussi, des éléments nouveaux sont-ils apparus au dossier au sujet des liens fraternels entre Clément Adétona et le témoin Ernest Lalou qui a bénéficié d’un non-lieu après plusieurs années de prison, de l’inexistence de confrontation entre Rachidi Gbadamassi et le témoin Sahada Issifou qui l’aurait entendu tenir certains propos au téléphone dans la nuit du crime d’une part, entre lui et Abdoulaye Nassirou d’autre part. «Une chose est que la famille Coovi soit dédommagée mais une autre est de connaître la vérité sur le crime pour l’honneur de nous tous», fait savoir Me Alfred Pognon. Il fait remarquer aussi que de nombreux manquements ont émaillé depuis l’enquête préliminaire le dossier qu’il estime «bâclé» par des autorités judiciaires qui ont «délibérément choisi de brouiller les pistes pour la manifestation de la vérité». A sa suite, la défense sollicite et obtient par le biais de Me Mohamed Barè, une suspension de 10 minutes pour concertation.
Plaidoiries pour la libération provisoire des accusés
A la reprise, les avocats de la partie civile et de la défense des accusés Raïmi Moussé et Ramane Amadou sont restés unanimes pour demander l’ajournement des débats mais aussi et surtout la mise en liberté d’office ou provisoire de ceux-ci. Pour les avocats Hugues et Alfred Pognon de la partie civile, ces deux accusés n’ont pas leur place dans le box des accusés et à partir de cet instant, ils doivent désormais bénéficier de leur liberté d’aller et de venir. Cette libération n’empêchera en rien la manifestation de la vérité, selon eux.Me Igor Cécil Sacramento, membre du conseil de défense de l’accusé Raïmi Moussé, fera observer lui aussi les incohérences, les manquements, les convocations mal parties ou envoyées à des adresses inexactes, l’absence de certaines pièces au dossier ainsi que la volonté manifeste de certains témoins de «se foutre» de la cour et de la «ridiculiser» en refusant de se présenter devant elle. «Nous marchons vers la vérité mais nous n’avons eu qu’une partie de la vérité jusque-là cachée», laisse-t-il entendre. A l’en croire, aucun élément du dossier ne permettait même de mettre son client Raïmi Moussé et l’autre accusé, Ramane Amadou, en garde à vue. Hélas ! D’ailleurs, poursuit-il, aucun mobile ne justifie que Raïmi Moussé s’en prenne à «son ami, son sauveur» : Séverin Coovi. «Il est en prison à cause de la jalousie et son maintien en détention n’est plus nécessaire pour la manifestation de la vérité», conclut-il.Il sera appuyé par Me Evelyne da Silva Ahouanto qui évoque les articles 147, 158 et 447 du Code de procédure pénale. Elle souligne qu’il n’y a aucun élément matériel tangible qui puisse permettre d’asseoir l’accusation de Raïmi Moussé dans ce dossier. Elle plaide la libération d’office ou provisoire de son client Raïmi Moussé et de Ramane Amadou, après avoir réitéré la demande de renvoi du dossier à une session ultérieure de la Cour d’assises. «Faire le contraire, ce ne serait pas honorer la justice», selon elle.«Vous n’avez pas droit à une erreur judiciaire qui participerait à la honte de la justice», lance Me Mohamed Barè, également avocat de Raïmi Moussé. Autrement, estime-t-il, «Nous aurons ça sur notre conscience parce qu’il n’a rien à voir dans ce dossier». «Que vaut la parole d’un repris de justice, un philosophe diabolique et démoniaque face à la parole d’un Raïmi Moussé ?», s’interroge-t-il. Il plaide que la cour ait le courage de rendre justice en ordonnant sa liberté ainsi que celle de Ramane Amadou en attendant la réouverture du dossier pour son réexamen. L’avocat de ce dernier, Me Laurent Mafon, n’est resté en marge. Il soutient la demande de renvoi et celle de libération des deux accusés Ramane Amadou et Raïmi Moussé. Il fait observer que les inculpés ayant fait respectivement sept ans et neuf ans environ déjà en prison, le délai de cinq ans maximum de détention provisoire préconisé par le Code de procédure pénale est largement dépassé.
Le ministère public cède en partie à la requête, mais en vain
Me Cosme Amoussou, avocat de l’accusé principal Clément Adétona, a plaidé aussi pour la mise en liberté provisoire de son client qui selon lui, au-delà des préjugés, n’est pas «un criminel» et n’a participé à aucun crime. A noter que l’annonce pour sa prise de parole a été accueillie par un ricanement de l’assistance comme à chaque fois quand son client, le sieur Clément Adétona, est convoqué à la barre. «Ne suivez pas la direction qu’on vous montre. Evitez les ‘’a priori’’ et les préjugés», lance-t-il à la Cour.Dans ses réquisitions, le ministère public demande au principal la poursuite des débats et au subsidiaire le renvoi du dossier à une autre session avec la mise en liberté provisoire des accusés Raïmi Moussé et Ramane Amadou, mais assortie du versement d’une caution de 500 000 F CFA chacun. En ce qui concerne Clément Adétona, le Parquet général s’oppose à la mise en liberté de celui qu’il qualifie de «multirécidiviste de 42 ans, qui a déjà passé 21 ans en détention et n’a ni femme ni enfant».Du retour du délibéré, la Cour présidée par Huguette Théodora Balley Falana a accédé en partie à la requête des avocats de la partie civile et de la défense en renvoyant la cause à une session ultérieure. Mais elle ordonne le maintien en détention des trois accusés: Clément Adétona, Raïmi Moussé et Ramane Adétona. A l’annonce de cette décision qui a surpris plus d’un, un silence pesant s’est emparé de la salle d’audience. Même les avocats de la partie civile et de la défense, les plus prolixes, sont restés un instant sans voix avant de retrouver leur verbe pour s’en indigner. Des larmes sont perceptibles sur certains visages dans la salle.«Je ne peux cacher mon amertume à voir deux personnes totalement innocentes qui doivent retourner en prison», lâche Me Alfred Pognon. «Nous sommes dans une vive douleur… Les avocats ont défendu, les juges ont jugé…», laisse entendre Me Sacramento. «C’est dommage que Raïmi Moussé et Ramane Amadou restent en prison. Nous aurions voulu les voir dehors mais hélas !...La défense est amère. Dieu saura éclairer la Cour», se désole Me Mohamed Barè. «Le deuxième volet de votre décision m’est resté au travers de la gorge. La cour est passée à côté. Allez-vous nous donner une chance de revenir très tôt réitérer notre demande?», confie pour sa part, Me Laurent Mafon. Soulignons qu’en raison de la décision n° DCC 14121 de la Cour constitutionnelle qui déclare contraire à la Constitution la nomination d’Edouard Ignace Gangny comme conseiller à la Cour d’appel de Parakou, la cour qui s’est penchée hier sur le dossier, a connu une modification. Le magistrat en question qui était 1er assesseur du président de la Cour d’assises dans l’examen de l’affaire assassinat du juge Coovi, a été remplacé hier à l’entame de la 16e journée du procès. Le suppléant Séidou Boni Kpégounou a fait son entrée dans la cour désormais composée du président Huguette Théodora Balley Falana, des assesseurs Aleyya Gouda Baco et Séidou Boni Kpégounou et des jurés Clarisse Dogo, Razack Dou-gbé, Narcisse T. Djanguédé et Mazou Issa.Dans la soirée, lors du prononcer de la décision de renvoi du dossier, le fauteuil du ministère public a été occupé par Delphin Chibozo.