Le renvoi à une prochaine session de l’affaire assassinat du juge Séverin Coovi, précédemment premier président de la Cour d’appel de Parakou, a été salué à l’unanimité par les avocats de la défense et de la partie civile. Cependant, ils n’ont pas caché leur amertume par rapport au second volet de la décision de la cour, relatif au rejet de la demande de mise en liberté provisoire des accusés Raïmi Moussé et Ramane Amadou pourtant acceptée par le ministère public. Des inculpés qui, selon eux, n’ont plus leur place dans le box des accusés au regard des conclusions des débats. Voici les appréciations des uns et des autres au terme de la session supplémentaire de la Cour d’assises de Parakou consacrée au dossier.
Propos recueillis par Claude Urbain PLAGBETO A/R Borgou-Alibori
Huguette Théodora Balley-Falana, président de la cour«Faire faire confiance à la justice»
«Je voudrais faire part aux familles concernées et surtout à la partie civile, de mes regrets de ne pas pouvoir mener les débats à leur terme. Je ressens et suis sensible à l’amertume des uns et des autres. Mais la recherche de la vérité est au prix de cette souffrance infligée depuis des années et depuis ces longues journées que nous avons eues à passer ensemble. Le dénouement de cette affaire n’a pas certes comblé toutes les attentes. Mais il ne peut malheureusement pas en être autrement. Chaque Béninois doit pouvoir être fier de sa justice et lui faire confiance. Un Etat de droit digne de ce nom doit reposer sur une justice impartiale et juste. Je ne peux m’empêcher de reconnaître l’aide appréciable dont a bénéficié la cour de la part des conseils. Je les remercie encore une fois pour l’esprit et leur engagement au cours de cette session. Il y a eu certes quelques accrochages mais tout cela a fait progresser le débat…».
Delphin Chibozo, représentant du ministère public «Un atterrissage tactique et technique pour atteindre la vérité»
«C’est un dossier prévu pour durer quelques jours mais qui nous a amenés à plus d’un mois, certainement à cause de la qualité des débats. La longueur du procès se justifie du fait de la qualité de la victime. Oui. C’est la première fois au Bénin que nous vivons une telle procédure. C’est pour cela que je félicite les conseils des accusés que ce soit de la partie civile ou de la défense. Ils ont abattu un travail énorme. Je les remercie pour la quête de cette vérité que nous attendons tous. Nous avons recherché cette vérité mais malgré les nombreux jours que nous avons consacrés à cela, nous n’avons pas atteint le bout du tunnel. C’est pourquoi aujourd’hui, nous avons amorcé un atterrissage : un atterrissage, je dirai tactique et technique, pour comprendre davantage ce qui s’est réellement passé».
Alfred Pognon, avocat de la partie civile «Un goût un peu amer d’inachevé»
«Première chose, je me réjouis de la bonne conduite que les débats ont connue, de la bonne tenue des assises. Deuxième chose, c’est le goût un peu amer d’inachevé, partiellement inachevé en tout cas que je ressens par rapport à la deuxième partie de votre décision à savoir la question de liberté de deux personnes qui n’ont plus rien à faire dans cette affaire, même s’il était absolument nécessaire que nous poursuivions les débats, que nous recommencions pratiquement toute la procédure. Ceux qui ont à faire dans cette procédure, ils doivent être recherchés, trouvés, poursuivis et ramenés devant la cour. Donc c’est cette amertume-là que je ressens quelque peu, avec rien de sentiment de culpabilité en disant peut-être que si on n’avait pas voulu aller au cœur de la vérité…, je n’en sais rien. Nous les avocats, nous ne sommes que des demandeurs, ce sont les juges qui décident. Ces deux personnes totalement innocentes, c’est ma conviction, n’ont pas pu être libres aujourd’hui malheureusement».
Igor Cécil Sacramento, avocat de Raïmi Moussé «La défense a une vive douleur»
«On ne vous surprend pas à la défense si on vous dit que nous avons une vive douleur, une vive douleur parce qu’en cinq semaines de travail abattu pour pouvoir déjouer tous les schémas qui nous auraient empêché d’atteindre la vérité, nous estimons avoir atteint seulement une partie de la vérité. Et cette partie de la vérité concerne les accusés, notamment deux d’entre eux. Nous estimons que de notre point de vue, la lecture objective du dossier aurait permis qu’ils bénéficient d’une liberté provisoire. Hélas ! Ce ne fut pas la lecture de la cour. A chacun son boulot : aux avocats de défendre, aux juges de juger. Les avocats ont défendu, les juges ont jugé. La défense vous remercie en dépit de tout et tirera les conséquences en ce qui la concerne de cette session».
Me Mohamed Barè, avocat de Raïmi Moussé «C’est dommage…!»
«La loi oublie parfois la souffrance des hommes, leurs peines, leurs douleurs. Surtout lorsque ces douleurs sont indues et ne sont pas justifiées, la loi cesse d’être la loi. C’est dommage que monsieur Raïmi Moussé restera en prison jusqu’à la prochaine session. La vérité des débats que nous avons suivis depuis plus d’un mois, aurait bien voulu le voir dehors. Les débats ont prouvé qu’il n’a pas sa place dans le box des accusés. C’est pourquoi la défense est amère et j’espère qu’à la prochaine session, Dieu tout puissant au nom de qui vous les hommes rendez justice, saura vous éclairer».
Me Laurent Mafon, avocat de Ramane Amadou «La Cour est passée à côté»
«La cour est véritablement passée à côté tout simplement. Je voudrais que la chance nous soit donnée de revenir très vite parce que s’il va falloir que ces gens-là qui ont déjà passé en détention sept ans pour l’un et neuf ans pour l’autre, croupissent en prison pendant encore de longues années, ce serait dommage. Ils ne méritent plus d’être dans le box des accusés, ils ne méritent plus d’être en prison».