Décision DCC 14-156 du 19 août pour violation de la Constitution: La Cour constitutionnelle condamne Fatouma Djibril et met fin au débat sur le 3ème mandat
Publié le samedi 23 aout 2014 | L`événement Précis
Les sept sages de la Cour constitutionnelle viennent de condamner désormais ex-ministre de l’Agriculture,Fatouma Amadou Djibril qui,dans une récente émission télévisée, s’était déclarée favorable à un troisième mandat pour Boni Yayi. Saisie de deux recours formulés contre elle sur le même sujet par les sieurs Armand Bognon et Jean Claude Dossa,la haute juridiction a indiqué que Fatouma Djibril a violé la constitution béninoise en faisant de telles déclarations. Lire ci-après l’intégralité de la décision.
DECISION DCC 14-156DU 19 AOÛT 2014
La Cour Constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 21 juillet 2014 enregistrée à sonSecrétariat le 22 juillet 2014 sous le numéro 1382/096/REC, parlaquelle Monsieur Jean Claude DOSSA forme un recours eninconstitutionnalité des « propos tenus par le Ministre del’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, Madame FatoumaAMADOU DJIBRIL, au cours de l’émission « Zone Franche » de laTélévision Canal 3 Bénin du dimanche 20 juillet 2014 » ;
Saisie d’une autre requête du 22 juillet 2014 enregistrée àson Secrétariat le 29 juillet 2014 sous le numéro 1422/098/REC,par laquelle Monsieur Armand BOGNON forme un recours contreles mêmes propos de Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL ;
VU la Constitution du 11 décembre 1990 ;
VU la Loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organiquesur la Cour Constitutionnelle modifiée par la Loi du 31mai 2001 ;
VU le Règlement Intérieur de la Cour Constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Madame Marcelline-C. GBEHA AFOUDA en sonrapport ;
Après en avoir délibéré,
CONTENU DES RECOURS
Considérant que le requérant Jean-Claude DOSSA expose :
«… En faisant fi des exigences de réserve et de mesure découlantde ses fonctions républicaines et en foulant aux pieds avec unelégèreté rarement égalée les idéaux qui ont présidé à la tenue enfévrier 1990 de l’historique Conférence des Forces Vives de laNation devenue depuis lors le point de repère de notre jeunedémocratie, Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL s’est renduecoupable d’un mépris condamnable à l’égard du principe delimitation du nombre de mandats présidentiels à deux consacrépar l’article 42 de notre Loi Fondamentale qui dispose : ‘’LePrésident de la République est élu au suffrage universel directpour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Enaucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandatsprésidentiels’’, en s’autorisant à envisager pour le Chef de l’Etaten exercice la possibilité d’un troisième mandat présidentiel à latête du Bénin, au soir de son second et dernier mandat encours. » ; qu’il poursuit : « Les extraits ci-dessous de sa sortiemédiatique font foi de cette méprise : ‘’ Je crois que le peuple vadécider. Le peuple va décider. Le Président ROOSEVELT enAmérique, c’était le Président le plus populaire de l’Amérique (…)
Si le peuple béninois le veut, pourquoi pas ? Donc, le peuple vadécider. Si le peuple veut que le Président Boni YAYI fasse untroisième mandat, pourquoi pas ? (…) C’est le peuple qui décideet c’est le peuple qui vote pour son chef. C’est ça la vraiedémocratie. C’est ça la vraie démocratie’’ ; ‘’Si le peuple estconscient du fait que le Président doit continuer ses actions, lepeuple peut décider. Je crois que le Chef de l’Etat doit faire aussila volonté de son peuple’’ ; ‘’ En respectant la Constitution, jecrois qu’on doit tenir compte de la volonté de son peuple’’ » ;
Considérant qu’il conclut: « Sans être partisan d’une quelconquerestriction de la liberté d’opinion à nos compatriotes, nous vousprions d’asseoir durablement dans la conscience collectivel’intangibilité à des fins partisanes des principes de laConstitution, pierre angulaire de notre modèle démocratique, encondamnant les propos incriminés pour violation de l’esprit et dela lettre de la Constitution du 11 décembre 1990 » ;
Considérant que Monsieur Armand BOGNON, quant à lui,expose : « Invitée le 20 juillet 2014 sur l’émission ‘’ZoneFranche’’ de la Télévision CANAL 3 à se prononcer sur les sujetsd’actualité, Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL, en sa qualitéde Ministre de la République, chargée de l’Agriculture et del’Elevage, a tenu des propos attentatoires à la démocratie et àl’Etat de droit auxquels le peuple béninois a solennellementaffirmé son attachement à l’occasion de la Conférence des ForcesVives de la Nation et même sur une question tranchée par laCour à travers sa Décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011.
En effet, au cours de l’émission, interrogée sur la véracitédes rumeurs qui font état de marches à venir pour solliciter untroisième mandat au Président Boni YAYI, la Ministre n’a pasdémenti lesdites rumeurs. Mieux, elle a implicitementconfirmé que des manœuvres sont en cours pour permettre auPrésident Boni YAYI, en fin de son second et dernier mandatconstitutionnel, d’en solliciter un troisième en des termes plusqu’évocateurs. Lorsque le journaliste lui demande : ‘’… est-ceque vous, vous êtes pour un troisième mandat du Chef del’Etat ?’’, la réponse de la Ministre a été : ‘’ troisième mandat (…)le Chef de l’Etat est un homme de parole. Troisième mandat… Jesais que partout ailleurs, les producteurs veulent manifesterleur joie au Président de la République parce que les autresannées, ce n’est pas à cette date que les producteurs à 100%sont payés…’’. Insistant sur la question, Madame FatoumaAMADOU DJIBRIL a fini par dire : « …Je crois que le peuple vadécider. Le peuple va décider. Le Président ROOSEVELT enAmérique, c’était le Président le plus populaire de l’Amérique (…)
Si le peuple béninois le veut, pourquoi pas ? Donc, le peuple vadécider. Si le peuple veut que le Président Boni YAYI fasse untroisième mandat, pourquoi pas ? (…) C’est le peuple qui décideet c’est le peuple qui vote pour son chef. C’est ça la vraiedémocratie. C’est ça la vraie démocratie’’. De plus, pour confirmeret conforter sa position, elle laissa entendre : ‘’ Si le peuple estconscient du fait que le Président doit continuer ses actions, lepeuple peut décider. Je crois que le Chef de l’Etat doit faire aussila volonté de son peuple’’. Pour corroborer son propos, elledéclara dans un langage péremptoire : ‘’… en respectant laConstitution, je crois qu’on doit tenir compte de la volonté de sonpeuple…’’ » ;
Considérant qu’il ajoute : « Subséquemment aux propos deMadame Fatouma AMADOU DJIBRIL en date du dimanche 20 juillet, et pour colmater les brèches, le Ministre d’Etat FrançoisAdébayo ABIOLA est passé le lendemain 21 juillet 2014 sur laTélévision ORTB au cours d’une autre émission pour déclarer,entre autres, ce qui suit : ‘’… j’apporte un démenti formel. LePrésident de la République n’est ni demandeur ou accepteur d’untroisième mandat. Ma collègue s’est certainement laissée aller.C’est une déclaration très grave. YAYI n’a jamais demandé à macollègue d’aller dire ça. Vous me voyez aller dans le Plateau pourmarcher pour un troisième mandat de YAYI ? Jamais … !’’. Il apar ailleurs, pour apaiser, soutenu et insisté sur le fait que ‘’ leChef de l’Etat, Boni YAYI, n’est pas demandeur d’un troisièmemandat. Il n’est pas dans cette logique. Madame la Ministre s’estmal prise. Je veux savoir si le Chef de l’Etat lui avait fait desconfidences. Une déclaration pareille est grave dans un pays oùla démocratie est en permanente construction. Moi, je ne peuxpas lui demander s’il revient pour un troisième mandat, car il l’arefusé à plusieurs reprises …’’.
Sans vouloir dénier à Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL,Ministre, la liberté d’opinion et d’expression, les propos deMadame la Ministre Fatouma AMADOU DJIBRIL, ès qualité,violent la Constitution en plusieurs dispositions et tendent mêmeà remettre en cause votre jurisprudence » ;
Considérant que le requérant fait observer : « … Les déclarationsde Madame la Ministre prônent des options auxquelles le peuplebéninois a définitivement tourné dos à la Conférence Nationale et,par conséquent, violent le Préambule de la Constitution. En effet,dans le Préambule de la Constitution, il est écrit : ‘’ … laConférence des Forces Vives de la Nation tenue à Cotonou du 19au 28 février 1990, en redonnant confiance au peuple, a permisla réconciliation nationale et l’avènement d’une ère de Renouveau
Démocratique.
Au lendemain de cette Conférence, NOUS, PEUPLEBENINOIS, réaffirmons notre opposition fondamentale à toutrégime fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, lacorruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, laconfiscation du pouvoir et le pouvoir personnel …’’ ; …vousconvenez avec moi qu’en sa qualité de Ministre de la République,exerçant une partie des prérogatives du Président de la République, garant du respect de la Constitution, Madame laMinistre Fatouma AMADOU DJIBRIL ne saurait tenir de cesgenres de propos dans l’exercice de ses prérogativesconstitutionnelles. Qu’un Ministre du Gouvernement en exercicedise sur une chaîne de télévision que ‘’ Si le peuple est conscientdu fait que le Président doit continuer ses actions, le peuple peutdécider… je crois que le Chef de l’Etat doit faire aussi la volontéde son peuple’’ est un acte qui viole la Constitution du 11décembre 1990, étant entendu que l’article 42 de notreConstitution dispose que ‘’ Le Président de la République est éluau suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans,renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercerplus de deux mandats présidentiels’’. S’il est constant que lePrésident YAYI Boni est en train d’exercer son deuxième etdernier mandat, il est inacceptable qu’un Ministre de sonGouvernement annonce publiquement cette possibilité de luipermettre de faire un autre mandat. Cette déclaration qui peutcréer des troubles dans notre pays est attentatoire à notre Etat dedroit en construction au Bénin » ;
Considérant qu’il poursuit : « Mieux, tirant moyens de votrejurisprudence, les déclarations du genre ne sauraient être faitesde plus par un Ministre de la République d’autant plus que lesujet en question a définitivement été tranché par la Cour.Imaginer et annoncer publiquement que le peuple béninois peutdemander au Président Boni YAYI de refaire un troisième mandatviole la jurisprudence de la Haute Juridiction, notamment laDécision DCC 11-067 du 20 octobre 2011 dans laquelle votreCour a dit et jugé que : ‘’ Considérant que l’examen de la loi faitressortir que l’article 6 est contraire à la Constitution en ce qu’ilne cite pas toutes les options fondamentales de la ConférenceNationale de février 1990 et qui sont reprises par les articles 42,44 et 54 de la Constitution ; qu’il s’agit du nombre de mandatsprésidentiels, de la limitation d’âge pour les candidats à l’électionprésidentielle et de la nature présidentielle du régime politiquedans notre pays ; que l’article 6 doit donc être reformulé commesuit : Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre auréférendum, les options fondamentales de la ConférenceNationale de février 1990, à savoir :
- la forme républicaine et la laïcité de l’Etat ;
- l’atteinte à l’intégrité du territoire national ;
- le mandat présidentiel de cinq ans renouvelable une seule fois ;
- la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour toutcandidat à l’élection présidentielle ;
- le type présidentiel du régime politique au Bénin’’ » ; qu’ildemande à la Cour de condamner Madame le Ministre FatoumaAMADOU DJIBRIL également pour violation de l’article 35 de laConstitution aux termes duquel : « Les citoyens chargés d’unefonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir del’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement etloyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun. » ;
INSTRUCTION DES RECOURS
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction de laCour, Madame le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et dela Pêche, Fatouma AMADOU DJIBRIL, écrit : « … Les faits etéléments de droit : …le dimanche 20 juillet 2014, au cours del’émission « Zone Franche» de la Télévision Canal 3 du Bénin, j’aiexpliqué de long en large comment le Gouvernement a réussi àredonner la confiance aux producteurs du coton, aux égreneurset aux transporteurs.
Par ailleurs, au cours de l’émission, nous nous sommesfocalisés sur les objectifs atteints de part et d’autre et sur ce quenous pensons faire de notre filière coton. C’est à la fin del’émission que les journalistes, entre autres, ont demandé si lePrésident allait faire un troisième mandat. Alors, j’ai commencépar répondre en disant que le Président est un homme de parole,que devant le Président OBAMA et le Pape il avait donné sa parolesur le respect de deux (02) mandats, mais sans l’articuler ; maispar la suite, avec l’insistance des journalistes, j’ai dit queFranklin Délano ROOSEVELT devrait faire deux (02) mandats,mais avec la volonté du peuple, il en avait fait plus. C’est endonnant cet exemple que j’ai dit pourquoi pas un troisièmemandat si le peuple le demande, bien sûr sans grande conviction,dans la mesure où ce sujet n’était pas du tout à l’ordre du jour.
Je signale que mes propos sont incompris, que je n’ai jamaisvoulu dire que le Président devrait faire un troisième mandat enviolation de notre Loi Fondamentale. Mes propos ne se sontjamais focalisés sur un hypothétique troisième mandat duPrésident de la République.
Le requérant, Monsieur Jean-Claude DOSSA, sort mespropos de leur contexte ; c’est l’insistance et la question dirigéedes journalistes qui ont suscité les réponses que j’ai émises. Jesuis restée strictement dans le cadre des questions qui me sontposées. Je suis très respectueuse de notre Loi Fondamentale etl’analyse de Monsieur DOSSA me paraît sommaire, inacceptableau fond, empreinte de mauvaise foi.De même, mes propos de fin d’émission n’ont pas étéavancés de manière constante, ne constituent pas des appels à ladéstabilisation des Institutions, voire à s’écarter des principesdémocratiques, à tourner dos à la Constitution… les allégationsde Monsieur Jean-Claude DOSSA ne sont aucunement fondées.
La Haute Juridiction doit le débouter. » ;
Considérant qu’elle poursuit : « Examen de la procédureentreprise par le requérant et ses moyens : …en ce qui concernele ‘’ contrôle de la conformité à la Constitution’’, le RèglementIntérieur du 5 juillet 1993 de la Cour Constitutionnelle en sonarticle 29 alinéa 2 dispose: ‘’Pour être valable, la requête émanantd’une organisation non gouvernementale, d’une association oud’un citoyen doit comporter ses noms, prénoms, adresse préciseet signature’’ … la modification de l’article 29 alinéa 2 duRèglement Intérieur de la Cour Constitutionnelle du 18 novembre1997 dispose : ‘’Pour être valable, la requête émanant d’uneorganisation non gouvernementale, d’une association ou d’uncitoyen doit comporter ses nom, prénoms, adresse précise etsignature ou empreinte digitale’’ … il ressort de ces dispositionsprécitées que la Cour dans son analyse doit déclarer la requête durequérant irrecevable s’il s’avère qu’un seul élément manque, ence qui concerne les nom, prénoms, adresse précise et signatureou empreinte digitale du requérant. » ; qu’elle ajoute : « … lerequérant ne fait pas mention des articles de la Constitution quisont violés, … ses allégations sont sans base légale et doiventdonc être rejetées … mes propos ne doivent pas être interprétéscomme une violation de la Constitution, mais pris strictementdans le contexte de l’émission et des questions qui me sontposées … l’article 23 alinéa 1 de la Loi Fondamentale dispose :‘’ Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, dereligion, de culte, d’opinion et d’expression dans le respect del’ordre public établi par la loi et les règlements. L’exercice du culteet l’expression des croyances s’effectuent dans le respect de lalaïcité de l’Etat’’ … il résulte de ces dispositions que mes proposne doivent pas être interprétés comme pouvant porter atteinte àla paix et à la cohésion nationale et ne peuvent être considéréscomme contraires à la Constitution. De même, mes propos neviolent ni le Préambule de la Constitution qui fait partieintégrante du bloc de constitutionnalité ni la Constitution qui estla volonté du peuple. En effet, j’ai eu à dire au cours del’émission : ‘’En respectant la Constitution, je crois qu’on doitrespecter la volonté de son peuple’’. Effectivement, la volonté dupeuple est déjà dans la Constitution; ne pas comprendre ainsi,c’est me prêter des intentions. Aussi, en abordant ce sujet à la finde l’émission ai-je commencé par dire que le Président est unhomme de parole, que devant le Président OBAMA et le Pape … ilavait donné sa parole pour le respect des deux (02) mandats … ilressort de tout ce qui précède que le Juge constitutionnel doitrejeter les allégations soulevées dans la requête incriminée parceque non fondées. » ;
Considérant qu’elle conclut : « Il est de jurisprudence constanteque le Juge constitutionnel doit rejeter les allégations durequérant parce que non fondées. (cf. Décision DCC 14-126 du 08juillet 2014 et Décision DCC 14-099 du 22 mai 2014)… dans lecas d’espèce, mes propos ne demandent pas de s’écarter desprincipes démocratiques, ne demandent pas de tourner dos à laConstitution ou de violer les principes démocratiques » ;
Considérant que Madame Berthe CAKPOSSA, Directrice de laTélévision Canal 3 Bénin a, quant à elle, en réponse à la mesured’instruction qui lui a été adressée, transmis à la Cour de céansun CD portant enregistrement vidéo de l’émission ‘’ ZoneFranche ‘’ du dimanche 20 juillet 2014 dont Madame FatoumataAMADOU DJIBRIL était l’invitée ;
ANALYSE DES RECOURS
Considérant que les deux recours sous examen portentsur le même objet et tendent aux mêmes fins ; qu’il y alieu de les joindre pour y être statué par une seule etmême décision ;
Considérant qu’aux termes des articles 34 et 42 de laConstitution : « Tout citoyen béninois, civil ou militaire, ale devoir sacré de respecter en toutes circonstances,la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsique les lois et règlements de la République. » ; « Le Président dela République est élu au suffrage universel direct pour unmandat de cinq ans, renouvelable une seule fois.En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deuxmandats présidentiels. » ; que selon l’article 124 alinéas 1et 3 de la même Constitution : « Les décisions de la CourConstitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutesles autorités civiles, militaires et juridictionnelles » ;
Considérant que la Constitution, en tant que LoiFondamentale de l’Etat, met en oeuvre une idée de droitqui innerve toute l’organisation de la vie politique,économique, sociale et le fonctionnement des pouvoirspublics ; que l’idée de droit dégagée par la Conférencedes Forces Vives de la Nation de février 1990, fondatricedu Renouveau Démocratique, est l’alternancedémocratique ; que cette idée de droit constituel’essence même de la Constitution adoptée par lePeuple béninois en décembre 1990 ; qu’ainsi, dans lePréambule de la Constitution, le Peuple béninois aaffirmé son opposition fondamentale à tout régime politiquefondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, laconcussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscationdu pouvoir et le pouvoir personnel. » ; que ce principeest confirmé par l’article 42 de la Constitution quiprécise qu’en aucun cas, nul ne doit exercer plus dedeux mandats présidentiels ; que depuis 1990, tousles Présidents de la République ont respecté cetterègle de l’alternance démocratique ;
Considérant que lors de sa prestation de serment le 06avril 2011, serment reçu par le Président de la CourConstitutionnelle devant l’Assemblée Nationale et laCour Suprême, le Président de la République a déclaré : « … Ces réformes constitutionnelles ne remettrontpas en cause les dispositions des articles 41 et 42 denotre Loi Fondamentale relatifs à la limitation dunombre de mandats à deux et à la limitation d’âge à70 ans. C’est donc le lieu de vous rappeler, mes cherscompatriotes, que le mandat que vous venez de merenouveler est bel et bien le second et le toutdernier…» ; que dans sa Décision DCC 11-067 du 20octobre 2011, la Cour, saisie du contrôle deconstitutionnalité de la loi organique portant conditionsde recours au référendum, a exclu de toute révisionde la Constitution les options fondamentales de laConférence des Forces Vives dont, entre autres, lalimitation à deux du nombre de mandatsprésidentiels ;
Considérant qu’il ressort des éléments du dossier que MadameFatouma AMADOU DJIBRIL, Ministre de l’Agriculture,de l’Elevage et de la Pêche, a déclaré au cours del’émission « Zone Franche » sur la chaîne de TélévisionCanal 3 le dimanche 20 juillet 2014 : « … Je crois quele peuple va décider. Le peuple va décider… Le PrésidentROOSEVELT en Amérique, c’était le Président le pluspopulaire de l’Amérique … il a été de façon spécialeaussi reconduit… Si le peuple béninois veut, pourquoipas ? Donc, le peuple va décider. Si le peuple décide quele Président Boni YAYI fasse un troisième mandat,pourquoi pas ? … C’est le peuple qui décide et c’est lepeuple qui vote pour son chef. Voilà. C’est ça la vraiedémocratie. C’est ça la vraie démocratie … Si le peupleest conscient du fait que le Président doit continuer sesactions, le peuple peut décider. Je crois que un Chef del’Etat doit faire aussi la volonté de son peuple … Mêmeen respectant la Constitution, je crois que on doit tenircompte de la volonté de son peuple…» ;
Considérant que dans sa Décision DCC 13-071 du 11juillet 2013, la Cour a dit et jugé que si « l’usage de laliberté d’expression ne saurait constituer en lui-mêmeune violation de la loi … le contenu de la parole peutêtre de nature à enfreindre la loi y compris la loiconstitutionnelle » ; que tout citoyen béninois, et Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL, prise en saqualité de Ministre, jouit de la liberté de pensée,d’opinion et d’expression reconnue à tout citoyen par laConstitution ; que cependant, cette liberté d’opinionconsacrée par la Constitution n’exonère pas lecitoyen du respect de la Constitution ; que cetteexigence de respect de la Constitution est encore plusgrande s’agissant d’un Ministre de la République dontl’impact de l’opinion sur la conscience collective est plusfort que celui d’un citoyen ordinaire ; que les propos duMinistre Fatouma AMADOU DJIBRIL s’analysentcomme une invitation à soumettre au Peuple béninoisla question de la limitation à deux du nombre demandats présidentiels ; que remettre en cause leprincipe de la limitation du nombre de mandatsprésidentiels prévu par la Constitution constitue uneviolation, non seulement de l’article 42 de laConstitution, mais aussi de l’article 124 alinéa 3 de laConstitution, la Haute Juridiction ayant dit et jugé quesont exclues de toute révision de la Constitution lesoptions fondamentales de la Conférence des ForcesVives dont, entre autres, la limitation à deux du nombrede mandats présidentiels ; qu’eu égard à tout ce quiprécède, il échet pour la Cour de dire et juger queMadame Fatouma AMADOU DJIBRIL, Ministre del’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, a, dans sespropos tenus au cours de l’émission « Zone Franche » du20 juillet 2014 sur la chaîne de Télévision Canal 3, violéles articles 34, 42 et 124 précités de la Constitution ;
DECIDE :
Article 1er.- Le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et dela Pêche, Madame Fatouma AMADOU DJIBRIL, a violéla Constitution.
Article 2.- La présente décision sera notifiée à Messieurs Jean-Claude DOSSA, Armand BOGNON et à MadameFatouma AMADOU DJIBRIL, Ministre de l’Agriculture,de l’Elevage et de la Pêche et publiée au Journal Officiel.
Ont siégé à Cotonou, le dix-neuf août deux mille quatorze,